- Courrier international — n 1510 du 10 au 16 octobre 2019
Le jeu vidéo, nouvelle
spécialité polonaise
Divertissement. En Pologne, le studio CD
Projekt, auteur de la série de jeux
e Witcher, est devenu l’emblème
d’un secteur en pleine ébullition.
Les investisseurs tout comme
les créateurs s’y pressent.
Sciences ....... 46
Signaux ....... 47
—Polityka (e x t r a i t s)
Varsovie
L
es adeptes de jeux vidéo
et les investisseurs atten-
daient avec impatience une
nouvelle production à la hauteur de
The Witcher 3 [le jeu de rôle, sorti
en 2015, a reçu de nombreuses
récompenses internationales et
a été vendu à plus de 20 millions
d’exemplaires]. Auteurs de ce
succès, les dirigeants – et prin-
cipaux actionnaires – du studio
polonais CD Projekt ont savam-
ment entretenu le mystère sur
leur nouveau projet.
Ce sera Cyberpunk 2077, un jeu
d’action qui se déroulera non pas
dans un univers fantasy de l’époque
préslave, mais dans une sombre
Californie du futur. Néanmoins,
l’échelle et le budget du projet
seront comparables à ceux de The
Witcher. De l’accueil que réserve-
ront à Cyberpunk 2077 les joueurs
du monde entier dépendra l’ave-
nir de CD Projekt.
C’est pourquoi la société a
décidé d’en confi er le rôle princi-
pal à la star hollywoodienne [de
nationalité canadienne] Keanu
Reeves, le mémorable Neo des
films Matrix. De fait, les jeux
d’action classés “triple A” [à gros
budget] ressemblent de plus en
plus à des superproductions ciné-
matographiques. À l’écran, ce sera
certes un avatar numérique de
Reeves qui évoluera, mais son
de la demande. Toutefois, si ce
premier produit marche et que
l’équipe se révèle capable de fournir
de bonnes idées, peut-être qu’elle
ira plus loin et fondera son propre
studio. Et alors, qui sait?
“Selon mes calculs, un jeu sur sept
marche et rapporte de l’argent. C’est
pourquoi il faut en produire beau-
coup et les mettre rapidement en
vente, car un jeu réussi peut cou-
vrir les coûts de plusieurs échecs”,
explique Krzysztof Kostowski,
fondateur, président et action-
naire principal de PlayWay,
un producteur et édi-
teur de jeux coté en
Bourse. Sa stra-
tégie consiste à
identifier de
jeunes créa-
teurs, à leur
a p p o r t e r
un soutien
f i n a nc ier
et tech-
nique, puis
à éditer et
promou-
voir les pro-
duits fi nis. “Nous
avons cinquante
fi liales qui créent des jeux
pour nous”, ajoute-t-il.
Mécano. Lui-même n’est pas
joueur, par conséquent il ne se
fi e pas à ses propres goûts mais
cherche des jeux qui ont un poten-
tiel sur le marché, par exemple les
jeux de simulation. Quand il a eu
l’idée de Car Mechanic Simulator
(dans ce secteur, l’anglais est la
langue de base), une simulation
de garage automobile, personne
n’y croyait : qui allait se prendre
pour un mécano dans un garage
virtuel, même reproduit de façon
assez réaliste, quand on peut dans
d’autres jeux trouver des épées
magiques et faire la peau à des
hordes de zombies?
Malgré tout, le produit s’est
vendu à des centaines de milliers
d’exemplaires à travers le monde
et a généré des millions
de bénéfi ces. PlayWay
mise donc sur les
jeux de simulation
et en propose beau-
coup, dont certains
sont assez particu-
liers. Les joueurs
peuvent ainsi
entrer dans la peau
d’un sans-abri,
d’un huissier, d’un
voleur, voire... d’un
trans-
versales.
économie
image, ses gestes et son compor-
tement ont été reproduits avec
précision grâce aux mêmes tech-
niques de capture de mouvement
que celles utilisées dans les fi lms.
Lorsqu’il a été annoncé, au cours
du salon Gamescom de Cologne,
que Cyberpunk 2077 sortirait en
avril 2020, le cours de l’action CD
Projekt s’est mis à grimper rapide-
ment, et il avoisine aujourd’hui les
60 euros. Cela signifi e qu’en ce qui
concerne sa valeur boursière, le
studio pèse autant que les quatre
plus grands énergéticiens polo-
nais réunis.
Pourtant, il y a encore une
dizaine d’années, les actions CD
Projekt valaient moins de 1 euro,
et les créateurs The Witcher étaient
proches de la faillite. Alors que les
banques leur refusaient des fi nan-
cements, un homme d’aff aires a
pris le risque d’investir. Lorsque
le cours a rebondi à 1,60 euro, il a
revendu ses parts en pensant faire
une excellente aff aire. Il a reconnu
plus tard qu’il s’agissait là d’un
geste stupide : s’il avait attendu...
À présent, les investisseurs
attendent volontiers, et traitent
les jeux vidéo non plus comme
des jouets, mais
comme un secteur
à part entière de l’in-
dustrie du divertissement,
plus sûr que les centrales énergé-
tiques et les mines. Les parcours de
Marcin Iwinski, de Michal Kicinski
et de Piotr Nielubowicz, les trois
fondateurs de CD Projekt, entrés
au classement des plus grandes for-
tunes polonaises, sont de vraies
sources d’inspiration pour des
milliers de jeunes passionnés qui
veulent suivre leur exemple.
Pour débuter, il suffi t d’avoir
une idée intéressante et de s’en-
tourer d’une poignée de personnes
ayant des notions de programma-
tion et de graphisme. “Au départ,
il n’est pas indispensable d’avoir
un superordinateur ou des logiciels
professionnels qui coûtent un bras.
On peut créer un jeu vraiment pas
mal avec des outils dis-
ponibles sur Internet
et qui sont parfois
gratuits, comme
le moteur Unity.
C’e st l’é lé me nt le
plus important
du programme
grâce auquel le
jeu pourra fonc-
tionner. Si on
a besoin, il est
toujours pos-
sible de poser sa
question sur la Toile, car Unity est uti-
lisé dans le monde entier”, explique
Piotr, étudiant et joueur qui veut
devenir développeur, c’est-à-dire
créateur de jeux. Il a une idée et
est justement en train de former
une équipe. Bien sûr, il connaît ses
limites, ce ne sera donc pas un projet
gigantesque, plutôt un jeu récréatif
et destiné à des joueurs occasion-
nels. Sur ce marché, il y a toujours
↙ Dessin de Falco,
Cuba.
“Un jeu sur sept
rapporte de l’argent.
Il faut donc en
produire beaucoup.”
Krzysztof Kostowski,
FONDATEUR DE PL AY WAY