passe au second plan. Le président
de Renault juge bien sûr essentiel
de choisir un manager capable de
remettre Nissan dans les clous le
plus vite possible. Mais à ses yeux
l’idéal est que l’heureux élu appar-
tienne à la troisième catégorie,
celle des dirigeants convaincus que
l’Alliance aidera Nissan à accélérer
son redressement, et qu’il faut aller
plus loin dans les synergies.
Explosion en vol
Au moment où l’industrie automo-
bile affronte des vents contraires,
Renault a plus que jamais besoin
de ce partenariat original. Le
patron de l’Agence des participa-
tions de l’Etat, Martin Vial, l’a rap-
pelé vendredi matin. « Nous ne nous
mêlons pas du processus de nomina-
tion du futur dirigeant de Nissan.
Mais ce qui est important à nos yeux,
c’est qu’il soit bien pro Alliance ». De
nombreux analystes estimaient à
l’automne dernier qu’un divorce
serait quasi-suicidaire p our
Renault comme pour Nissan,
compte tenu de l’imbrication
actuelle des opérations. Sans
même parler de l’idée du rappro-
chement toujours éventuel avec
Fiat Chrysler, qui n’a pas de sens
sans Nissan.
Depuis l’arrestation spectacu-
laire en novembre 2018 de Carlos
Ghosn, l’A lliance est au point mort,
ou presque. « Sur le plan opération-
nel, les choses n’avancent pas, les
décisions ne se prennent pas, témoi-
gne un cadre de Renault. Certains
ingénieurs commencent mainte-
nant à travailler sur des scénarios de
rupture! »
Pour reconstruire le partenariat,
les dirigeants de Renault et Nissan
avaient engagé des discussions au
cours de l’été, visant notamment à
réduire la participation du Losange
chez son partenaire et à remettre à
plat le Rama, le fameux accord
secret qui régit leurs relations. Le
départ d’Hiroto Saikawa mi-sep-
tembre les a interrompues. « Tout
est gelé, en attendant que la nouvelle
gouvernance soit installée », affirme
un bon connaisseur du dossier. Les
positions étaient encore assez éloi-
gnées, Renault n’étant pas prêt à
lâcher la minorité de blocage.
La présence de Jean-Dominique
Senard au comité des nominations
de Nissan, q ui d oit se mettre
d’accord sur un nom à l’unanimité,
devrait permettre d’éviter un scé-
nario catastrophe pour Renault.
« Mais tout peut arriver », confie un
bon connaisseur du dossier.
—A. F. et Y. R. à Tokyo
Un paramètre majeur du futur de Renault
Pile ou face? De quel côté la pièce
retombera-t-elle? Chez Renault,
beaucoup retiennent leur souffle,
tant le sort de l’alliance franco japo-
naise dépendra du profil du nou-
veau patron de Nissan. « C’est un
choix lourd, qui donnera un signal
clair pour l’avenir », insiste un pro-
che du Losange. Le président de
Renault, Jean-Dominique Senard,
n’a pas caché que l’engagement du
futur patron envers le partenariat
Plusieurs courants
s’affrontent au Japon,
reflétant une position
contrastée à l’égard de
l’Alliance. Selon le profil
choisi pour remplacer
Hiroto Saikawa, différents
scénarios pourraient se
dessiner : approfondisse-
ment, statu quo ou rupture.
Le juriste de
Carlos Ghosn
poussé
vers la sortie
Agenda chargé. Si les membres du
conseil de Nissan ont enchaîné les
entretiens avec les candidats au
poste de PDG, ils ont aussi multiplié
les échanges pour évoquer la mise à
l’écart rapide de cadres ayant joué un
rôle actif dans les malversations
reprochées à Carlos Ghosn.
« Le ménage n’a pas été complète-
ment fait. Tant que certaines person-
nes continueront d’occuper des postes
clefs, la situation sera très malsaine »,
souffle l’une des personnes asso-
ciées à ces échanges. Selon nos infor-
mations, ce dossier sera au cœur du
conseil programmé ce mardi à
Yokohama. Le 9 septembre, les
administrateurs avaient pris con-
naissance d’un rapport de 180 pages
faisant le point sur les malversations
commises au sein de la direction du
groupe depuis le milieu des années
- S’appuyant sur cet audit, ils
avaient poussé Hiroto Saikawa, le
PDG de Nissan, vers la sortie après
avoir découvert qu’il avait bénéficié
de bonus irréguliers. Mais ils ont
également pris conscience du rôle
crucial joué par Hari Nada, un
juriste longtemps rattaché au « CEO
Office » de Carlos Ghosn.
Cet avocat anglo-malais d’origine
indienne a participé, sur ordre de
son supérieur Greg Kelly, lui aussi
mis en examen au Japon, à plusieurs
des montages reprochés à l’ancien
patron. Il a notamment été l’un des
administrateurs de Zi-A Capital BV,
filiale de Nissan montée en 2010 aux
Pays B as. Officiellement, la structure
dotée de plus de 80 millions de dol-
lars devait servir à investir dans des
start-up. En réalité, elle a urait été uti-
lisée pour acquérir de luxueuses
résidences à Rio et Beyrouth.
Problème éthique
Si les enquêtes internes de Nissan,
auxquelles participait activement
Hari Nada, n’ont mis en lumière
aucun comportement illégal de sa
part, plusieurs membres du conseil
estiment que son maintien à la direc-
tion juridique pose un grave pro-
blème éthique. « Il savait ce qui se tra-
mait depuis des années mais n’a
décidé de dénoncer les malversations
qu’en 2018. Ce n’est pas sérieux »,
s’agace un cadre du groupe.
Hari Nada fut, en mai 2018, l’un
des deux responsables de Nissan à
révéler à Hidetoshi Imazu, l’auditeur
interne au conseil, les pratiques
orchestrées pour Carlos Ghosn. En
échange de leur coopération avec les
procureurs, le duo a été placé sous la
protection d’une procédure d e négo-
ciation de peine. Ils ne peuvent plus
être inquiétés par la justice. Une par-
tie de conseil craint que la défense de
Carlos Ghosn n’utilise ce maintien
d’Hari Nada et de certains de ses
adjoints à des postes de responsabi-
lités comme la preuve du complot
interne que leur client n’a cessé de
dénoncer. L’ancien dirigeant, qui nie
les accusations, assure qu’une poi-
gnée de dirigeants l’a fait tomber
dans un piège pour l’empêcher
d’accélérer le rapprochement avec
Renault et de changer une partie de
la direction. « On ne peut pas leur lais-
ser cette opportunité », souffle une
source proche du dossier.
—A. F. et Y. R. à Tokyo
Plusieurs administrateurs
de Nissan vont réclamer la
mise à l’écart d’Hari Nada,
le vice-président chargé des
affaires juridiques qui a parti-
cipé aux montages financiers
reprochés à Carlos Ghosn.
Les membres du comité de nomination, dont Jean-Dominique Senard, le président de Renault – ici avec Hiroto Saikawa, l’ancien patron de Nissan –
ont enchaîné ces derniers jours les entretiens avec des dizaines de cadres pour ne plus retenir qu’une poignée de postulants. Photo Akio Kon/Bloomberg
retrouver, une nouvelle fois, avant
la fin du mois à l’occasion d’un con-
seil d’administration exceptionnel
pour annoncer le résultat de leurs
recherches. Le comité de nomina-
tion, composé de six membres,
dont Jean-Dominique Senard, le
président de Renault, a enchaîné
ces derniers jours les entretiens
avec des dizaines de cadres pour ne
plus retenir qu’une poignée de pos-
tulants – chacun représentant
des lignes stratégiques légèrement
différentes.
Fin connaisseur
des arcanes de l’Alliance
Selon nos informations, trois noms
reviennent sur les listes. Le pre-
mier est Ashwani Gupta, l’actuel
numéro d eux de Mitsubishi
Motors. Cet ingénieur né en Inde
est passé chez Renault, après des
études à l’Insead, avant de rejoin-
dre l’Alliance, où il a longtemps
évolué au sein de la division tra-
vaillant aux achats de pièces com-
munes pour les deux construc-
teurs. Un temps sur la relance de la
société en s’appuyant sur les forces
de l’Alliance », analyse un cadre au
fait des débats chez Nissan. Le
groupe ne dévoilera ses résultats
trimestriels que le mois prochain,
mais les p remières données
remontées au siège montrent que
les ventes et la profitabilité conti-
nuent de se dégrader.
Pur produit maison
Face à Ashwani Gupta, le principal
concurrent semble toujours être le
pur produit de la maison Jun Seki,
ancien patron de Nissan pour la
Chine. Egalement ingénieur, il a fait
toute sa carrière au sein du groupe
et s’est imposé comme l’un des
meilleurs connaisseurs des mar-
chés asiatiques. Depuis mai der-
nier, il a travaillé aux côtés de
Hiroto Saikawa – désormais parti –
, sur le programme de redresse-
ment de la performance du groupe.
Si son profil séduit plutôt les diri-
geants japonais de Nissan, il est
plus questionné par les cadres de
Renault qui le connaissent mal (il
n’a jamais travaillé directement
pour l’Alliance) et s’interrogent sur
sa capacité à prendre des mesures
probablement très douloureuses.
Il apparaît plus partisan d’un
redressement basé sur Nissan uni-
quement que sur une stratégie
encourageant de plus grandes col-
laborations avec Renault, comme
le souhaiterait le Losange – tou-
jours propriétaire de 44 % du
groupe japonais et partisan d’un
rapprochement plus complet avec
son partenaire.
Si son nom est moins évoqué ces
derniers jours, Makoto Uchida,
l’actuel patron de Nissan en Chine,
resterait également en lice. Agé de
53 ans, il représente une nouvelle
génération et a occupé des fonc-
tions en lien avec Renault au sein
de RNPO, la société d’achats de
composants de l’Alliance, et de
Renault Samsung en Corée du Sud.
Certains administrateurs crai-
gnent qu’il ne dispose pas d’une
connaissance suffisamment vaste
de la société et des marchés étran-
gers pour organiser le rebond, qui
nécessitera plusieurs années. n
lLes administrateurs du constructeur nippon ont accéléré le processus de sélection du prochain
PDG du groupe mais hésitent entre des candidats portant des stratégies de redressement différentes.
lAshwani Gupta, Jun Seki et Makoto Uchida font figure de favoris.
La sélection du patron de Nissan réveille
les divergences entre Français et Japonais
Anne Feitz
@afeitz
et Yann Rousseau
@yansan
— Correspondant à Tokyo
Après avoir annoncé, début sep-
tembre, la démission de son PDG
Hiroto Saikawa, Nissan s’était
donné jusqu’à la fin du mois d’octo-
bre pour sélectionner son rempla-
çant. Mais devant la dégradation
rapide des résultats du groupe, son
conseil d’administration a accéléré
le travail de sélection avec l’espoir
secret d’être en mesure de dévoiler
un nom avant cette échéance. Les
plus optimistes ayant même espéré
une nomination à l’o ccasion de la
réunion, ce mardi, d’un conseil
d’administration à Yokohama.
A quelques heures de cette ren-
contre, les administrateurs ne
semblaient toutefois pas en
mesure de dévoiler le nom de leur
élu et ils pourraient convenir de se
AUTOMOBILE
marque Datsun et sur les véhicules
utilitaires, il avait été promu direc-
teur des opérations de Mitsubishi
en mars dernier.
A l’aise dans plusieurs langues,
c’est un fin connaisseur des arca-
nes de l’Alliance. Il est vu par plu-
sieurs administrateurs, notam-
ment Jean-Dominique Senard et
Thierry Bolloré, le PDG de Renault,
comme le plus à même d’organiser
la relance du constructeur, qui
souffre d’un effondrement de ses
performances.
« Un candidat comme Ashwani
Gupta, qui a une expérience globale,
serait à même de définir un plan
drastique de remise à plat de la
Ashwani Gupta
est vu par plusieurs
administrateurs
comme le plus
à même d’organiser
la relance du groupe.
Renault-Nissan-Mitsubishi consti-
tuait à ses yeux un critère fonda-
mental de choix.
Différents courants s’affrontent
toujours au Japon à l’égard du
constructeur français. Certains
s’agacent (pour ne pas dire qu’ils
s’exaspèrent) de voir que Renault,
lui-même détenu à 15 % par l’Etat
français, possède toujours 43,4 %
du capital de Nissan vingt ans après
le sauvetage qui a provoqué cette
situation. Et ce même si les pou-
voirs du Losange chez son parte-
naire ont largement été rabotés
depuis 2015. D’autres, sans être
« contre » Renault, estiment que la
priorité absolue doit être le redres-
sement de Nissan, en graves diffi-
cultés financières. Et que l’Alliance
ANALYSE
ENTREPRISES
Lundi 7 octobre 2019Les Echos