B
aby-boomeurs, génération X,
génération Y, génération Z...
L’alphabet ne suffira bientôt plus
à décrire la réalité des effectifs de
l’entreprise. Avec le recul de l’âge de
départ à la retraite, et donc l’allonge-
ment de la durée de travail, des seniors
qui ont vu le jour au milieu des années
1950 côtoient des petits jeunes nés à la
fin des années 1990, voire, depuis peu,
au tout début des années 2000. Quand
les premiers ont grandi durant la
période faste des Trente Glorieuses, les
derniers n’ont jamais connu le monde
sans l’Internet haut débit, le wi-fi et
vivent avec un smartphone solidement
rivé au creux de la main.
Pour les entreprises, ces écarts généra-
tionnels entre quatre, voire cinq classes
d’âge très différentes ne sont pas sans
poser de profonds défis organisation-
nels. « Pourtant, nuance Xavier
d’Aumale, associé services digitaux et
financiers chez Russell Reynolds Asso-
ciates, réfléchir en termes de générations
ne constitue pas forcément une matrice
adéquate car elle cloisonne et segmente
alors que les entreprises ont besoin de
solutions pour faire travailler tous leurs
salariés ensemble. » D’autant que les
attentes des uns infusent parfois auprès
des autres et provoquent un change-
ment global. « La classification baby-
boomeurs, X, Y, Z est pratique, mais ne
retrace pas le réel. Beaucoup de facteurs
- les diplômes, le niveau hiérarchique,
l’environnement socio-économique –
viennent la complexifier », confirme le
sociologue du travail Jean-Yves Boulin.
Tour d’horizon des points de conver-
gence et de divergence à travers cinq
thématiques structurantes.
1
ENGAGEMENT
Les seniors ont une double posture,
qui peut sembler contradictoire. Agés
de 45 à plus de 64 ans, ils constituent un
groupe non homogène de baby-boo-
meurs et de membres de la génération X
(nés entre 1960 et 1980). Réputés enga-
gés dans l’entreprise – ils n’en ont pas
remis en cause les principes –, ils se
retrouvent, l’âge venant, confrontés à
des stéréotypes négatifs : manque de
dynamisme, moindre contribution,
voire manque de productivité. Les
baby-boomeurs et les plus âgés des X,
qui ont fièrement porté des valeurs de
réussite professionnelle, témoignent
alors d’un moindre intérêt pour l’entre-
prise ; notamment lorsque le plafond de
verre de l’âge empêche une évolution de
carrière et qu’il devient plus difficile
d’aller voir ailleurs. « Dans de nombreu-
ses organisations, si vous n’êtes pas déjà
arrivé à un certain poste à 45 ans, c’en est
fini pour vous. Vous ne serez plus direc-
teur du marketing, il fallait l’être
avant! », décode Anne Thévenet-Abit-
bol, à l’origine du programme intergé-
nérationnel Octave de Danone.
Cet enjeu ne concerne pas les seuls
seniors, mais, pour accroître leur enga-
gement, des leviers spécifiques ont déjà
fait leurs preuves, comme la mobilité
horizontale ou la transmission des
savoirs aux plus jeunes. A ces derniers
dont il est volontiers dit qu’ils sont
volages et plus prompts à claquer la
porte de leur entreprise, histoire de voir
si l’herbe est plus verte ailleurs. En
vérité, les salariés issus des généra-
tions Y et Z sont surtout en quête d’une
reconnaissance que leurs aînés ont
souvent des difficultés à leur accorder.
Pour doper l’engagement de ces salariés
plus mobiles et, ère numérique oblige,
davantage sujets à l’ennui et à l’impa-
tience, leurs managers doivent dévelop-
per la culture du feed-back (voir ci-con-
tre), qu’il soit positif ou négatif, leur
faire confiance et les responsabiliser. A
la clef : une meilleure considération et
un taux de fidélisation plus important.
2
QUÊTE DE SENS
« Ce qui est frappant dans nos ses-
sions, c’est de constater les points com-
muns qu’ont ces différentes générations.
Les jeunes arrivent en disant : “Nous
sommes en quête de sens !” Mais ils ne
sont pas les seuls : les seniors ne sont pas
de bons petits soldats sans aspiration »,
témoigne Anne Thévenet-Abitbol. A la
croisée du volontariat et du mécénat, le
mécénat de compétences prospère
depuis plusieurs années auprès des
salariés. Toutefois, c’est sans doute par
l’intermédiaire de la génération X
que cette quête de sens a commencé à
infiltrer le milieu du travail. Porteurs
des valeurs de l’entreprise, les X se
sentent investis de la mission de les
intégrer pleinement à leur travail.
Les membres des générations Y et Z
vont plus loin. Ils cherchent un travail
en adéquation avec leurs propres
valeurs. Certains observateurs relatent
des préoccupations inédites lors
d’entretiens de recrutement. Les jeunes
y questionnent les recruteurs sur
leur bilan carbone ou les tancent parce
qu’ils utilisent des bouteilles en plasti-
que. Il y a quelques mois, 30.000 Z ont
franchi un cran supplémentaire. Tous
issus des plus grandes écoles françaises,
ils ont signé le Manifeste étudiant pour
un réveil écologique et se sont engagés à
ne pas travailler pour des entreprises
qui ne respecteraient pas leurs convic-
tions environnementales. Au-delà de
ces considérations de fond, les mana-
gers doivent sérieusement veiller à
considérer ces jeunes comme des per-
sonnes à part entière et non de simples
rouages de l’organisation.
3
HIÉRARCHIE
Pas de doute, les seniors ont intégré
les contraintes et les exigences de
l’entreprise. Mais leur mode de manage-
ment, lorsqu’ils sont en responsabilité,
peut manquer d’écoute et de souplesse
face à des managés qui attendent échan-
ges et reconnaissance de la part de leurs
supérieurs hiérarchiques. Les généra-
tions Y et Z apprécient ce rapport très
« vertical » avec un regard critique.
Selon une étude récemment publiée par
YouGov, seuls 35 % des plus de 55 ans
trouvent que la génération Y est respec-
tueuse de la hiérarchie et 54 % estiment
que ces jeunes salariés refusent l’auto-
rité. Les entrants sur le marché du
travail respectent, en vérité, moins le
statut que les compétences. .../...
Avec l’allongement de la durée
de travail, quatre classes d’âge
se côtoient aujourd’hui au sein
des entreprises. Tour d’horizon
de leurs points de convergence
et de divergence à travers
cinq thématiques structurantes.
L
es baby-boomeurs? Oh, ceux-là sont
réfractaires au changement. La génération X,
qui leur a succédé à partir de 1960? Elle
manque de souplesse. Les millennials, nés entre 1980
et 1995? C’est simple, ils remettent tout en question et
peuvent quitter l’entreprise du jour au lendemain.
Quant aux plus jeunes, les Z, avec leur rapport
décomplexé à la hiérarchie, difficile de les gérer! Qui
n’a pas entendu ces réflexions?
Pour la première fois, les entreprises invitent quatre
générations de salariés à travailler ensemble. Mais
pour manager avec succès cinq classes d’âge,
s’affranchir des stéréotypes est la première et la plus
sage des décisions à prendre. C’est aussi la plus
pertinente si l’objectif poursuivi est de transformer le
creuset professionnel en un lieu d’échanges et de
forte créativité. Un trésor quand l’entreprise fait face
à un trop-plein d’imprévisibilité, de concurrence et de
complexité. Après tout, manager une large palette
d’âges ne revient-il pas à procéder comme avec
n’importe quel autre type de diversité? Certes, pour
autant, ce n’est pas une sinécure.
Car de l’inventivité, il va en falloir une bonne dose
pour les prochaines années. L’âge du départ à la
retraite reculant, il devient urgent de multiplier les
chemins de carrière. Comment d’ailleurs, dans ces
conditions, continuer de qualifier de « seniors » des
salariés de 45 ans? Jeune comme plus âgé, chacun
sait quelque chose que l’autre ne connaît pas. Or tout
le monde ne pouvant ou ne souhaitant pas devenir
manager, l’entreprise va devoir imaginer des
passerelles qui valorisent différents savoir-faire et
promeuvent l’expertise, le coaching, le mentorat, les
aptitudes comportementales ou « soft skills », etc.
Manager une équipe composée de salariés issus de
différentes générations requiert donc une flexibilité
d’esprit inégalée. Sachant qu’en définitive, dans leur
travail, tous recherchent les mêmes choses – du sens,
des sources d’engagement et de valorisation ainsi que
des moyens de rétribution –, cela revient
nécessairement, en fonction des interlocuteurs, à
varier les attitudes comportementales et les façons de
travailler, les formats de rencontre, les modes de
communication et aussi à réfléchir à des formes
inédites de rémunération... Les générations les plus
âgées ont souvent d’abord cherché du sens dans leur
vie personnelle tout en accomplissant un travail qui
ne correspondait pas forcément à leurs
aspirations. Les plus jeunes recherchent, quant à eux,
un travail le plus possible en phase avec leurs valeurs
personnelles. Un degré d’exigence en plus.n
De l’inventivité plutôt que des stéréotypes!
Comment
réussir à
manager
4 générations
MANAGEMENT
L' ÉDITO de Muriel Jasor
À SAVOIR
- Le feed-back
ou commentaire
professionnel, permet
de donner à chacun des
points de repère dans
son travail. Il prend trois
formes, selon les
circonstances : celle
d’une évaluation, d’un
accompagnement
constructif ou d’une
marque de reconnais-
sance.
Source : « Donnez et
obtenez du feed-back »
(Eyrolles), par Didier
Noyé et Luc Tardieu)
EXECUTIVES
LUNDI 7 OCTOBRE 2019 BUSINESS.LESECHOS.FR