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SAMEDI 21 SEPTEMBRE 2019 france| 11
Quand Mélenchon oppose l’histoire à la loi
Le président de LFI est jugé à Bobigny pour rébellion et provocation lors d’une perquisition
suite de la première page
On les connaît, ces images de la
perquisition interrompue au
siège de LFI le 16 octobre 2018. On
les revoit, on les rerevoit, saisies
par les caméras d’une télévision,
par les téléphones des militants,
par celui de JeanLuc Mélenchon
luimême, par les policiers pré
sents lors de l’opération. Avec son,
sans son, hachées, continues,
sous tous les angles. Leur diffu
sion dure une matinée entière
dans la salle d’audience.
On en sait toutes les répliques
depuis l’arrivée tonitruante de
JeanLuc Mélenchon au siège de
son mouvement. Montée rapide
des escaliers. « Allez, enfoncezmoi
cette porte! On va voir si on va
m’empêcher d’entrer dans mon lo
cal! » Eructations face au gen
darme impavide qui garde l’en
trée. « C’est pas de la police que
vous êtes en train de faire, Mon
sieur! Ne me touchez pas! [« C’est
vous qui me touchez », répond cal
mement le gendarme] La Républi
que, c’est moi! Poussezvous de là!
Allez! On va voir qui va avoir le
dernier mot ici! »
La porte oscille sous la poussée
du groupe emmené par JeanLuc
Mélenchon, celle d’en face s’en
trouvre, le groupe se précipite :
« Allez, on pousse! On est chez
nous ici! », répètetil. On entend
des cris, une table se renverse, un
policier et un militant tombent, le
député Alexis Corbière vocifère,
on le retient, il crie plus fort. Dans
un autre angle de la pièce, Jean
Luc Mélenchon plaque le pro
cureur contre la porte, un policier
s’interpose. Encore quelques
échanges salés, puis l’atmosphère
se détend, mais la perquisition est
interrompue. « On ne peut pas
continuer dans ces conditions »,
constate un enquêteur.
Le président a tout de même
une question : « Quelque chose
m’étonne. Vous montez avec des
militants et, tout de suite, vous
criez. Pourquoi ne demandezvous
pas à rentrer calmement? »
JeanLuc Mélenchon a des ré
ponses, beaucoup de réponses.
« Les images? Mais elles mentent
depuis deux mille ans les images!
Et dans la vie il n’y a pas que les
gros plans. » Il évoque d’abord son
réveil, le matin même, chez lui, à
7 heures, par des « personnes ar
mées qui fouillent [ses] affaires, si
phonnent [son] téléphone. C’est un
moment d’extrême violence, de
confusion, de sidération. Je reçois
des informations sur ce qui se
passe au siège de mon parti, je res
sens un extraordinaire sentiment
d’humiliation. Je suis président
d’un groupe d’opposition. J’ai une
responsabilité morale qui m’en
gage par rapport à tous ceux qui
m’ont confié leurs noms, prénoms,
coordonnées. Je ne peux pas ne pas
avoir à l’esprit l’environnement po
litique de tout ça ».
Effet désastreux dans l’opinion
Tous ceux qui, dans les scènes qui
ont suivi, ont cru percevoir la
perte de nerfs d’un élu – avec l’ef
fet désastreux qu’elles ont produit
dans l’opinion sur l’image d’un
candidat aspirant aux plus hautes
fonctions de la République – se
sont trompés. Par manque de
culture, par ignorance politique.
Ce qui s’est produit ce jourlà, au
siège de LFI, était en réalité le fruit
d’une histoire et d’une stratégie,
explique JeanLuc Mélenchon.
Pour comprendre la fameuse
phrase qu’il a lancée aux policiers
lors de la perquisition de son do
micile – « Ma personne est sa
crée » –, il faut remonter à la grève
des tribuns du peuple quatre
cents ans avant l’ère chrétienne, à
Mirabeau et aux Etats généraux.
Pour saisir le sens de sa colère, il
faut savoir que « la politique, la
polémique, sont des violences
symboliques » alors que lui, Jean
Luc Mélenchon, est « sujet de vio
lences en permanence ». Et il
ajoute : « C’est moi, c’est nous qui
sommes violentés. »
Le prévenu martèle : « Ce procès
est un procès politique parce que
les motifs sont politiques ; On vou
lait me nuire et me flétrir. Je n’ai
bousculé, frappé, violenté per
sonne. Je n’ai fait que rappeler les
règles de la République. Je me suis
comporté comme un militant poli
tique dans une situation politi
que. » Il ajoute : « Accuser un “in
soumis” de rébellion, c’est quelque
part un pléonasme. »
Et puis, oui, reconnaîtil, il parle
fort. « Je suis d’une génération de
militants politiques qui parlait très
fort et faisait parfois plus que par
ler très fort. » A l’adresse des « pau
vres policiers » et du « malheureux
gendarme » qui se plaignent
d’avoir été agressés, JeanLuc Mé
lenchon affirme qu’il n’a fait que
leur rappeler « le respect dû aux
députés, non pas à leur personne,
mais à leur fonction. Voilà ce que
ça donne quand l’Etat se décom
pose! » Il ironise : « Maintenant, si
quand on est policier on tombe
malade parce que quelqu’un parle
trop fort... alors vous allez embas
tiller des milliers de gens! »
Du banc des parties civiles,
Me Eric DupondMoretti, qui dé
fend l’un de ces policiers, est le
premier à se lever. JeanLuc Mé
lenchon guette avec gourman
dise ses questions. Les deux hom
mes, qui ont déjà polémiqué à dis
tance les jours précédents, se re
niflent. « Quel est le problème,
Me Moretti? Où voulezvous en ve
nir? Arrêtez de me tailler vos peti
tes questions en rondelles comme
ça. Soyez offensif, quoi! » La salle,
tout acquise au président de LFI,
soupire d’aise. L’avocat s’agace :
« On ne va pas inverser les rôles.
C’est moi qui pose les questions. »
Le prévenu feint la confusion :
« Ah, c’est vrai, je ne connais pas les
usages, je n’ai jamais été con
damné. Je ne vais pas vous promet
tre d’apprendre. »
Me DupondMoretti évoque la
loi, le droit, M. Mélenchon répond
histoire et révolution : « J’ai pré
jugé que Me Moretti arriverait à
comprendre un discours qui vient
du fond des âges... Je ne me mou
che pas tous les jours avec le code
de procédure pénale. » « Présentez
vous vos excuses aux policiers? »,
l’interrompt l’avocat. M. Mélen
chon se tourne vers ceux qui ont
porté plainte : « Je regrette profon
dément de vous avoir perturbé par
mon niveau de décibels au point
qu’il vous a fallu sept jours pour
vous en remettre. »
« Ce n’est pas une agora, ici »
Les autres avocats des parties civi
les, Me François SaintPierre et
Me David Lepidi, se heurtent à leur
tour à la redoutable dialectique
du tribun. « Ce n’est pas une agora,
ici, c’est une enceinte judiciaire! »,
lui lance l’un d’entre eux. « Une
agora, c’est respectable. Vous ap
prendrez que c’est le lieu de nais
sance de la démocratie! », réplique
JeanLuc Mélenchon.
A la procureure Juliette Gest qui
lui demande quelle distinction il
opère entre insoumission et in
fraction, il répond par un cours
d’étymologie latine et une leçon
d’histoire du consentement à
l’autorité, de Dieu à la démocratie.
Ses coprévenus répètent ensuite,
avec moins de talent, les argu
ments de leur chef. Réquisitoire et
retour au code pénal vendredi
20 septembre en fin de journée.
pascale robertdiard
Deux hommes jugés pour avoir
vendu l’arme d’un féminicide
A La Réunion, en 2018, une femme, et son nouveau compagnon, avait
été abattue par l’exconjoint de celleci, qui s’était ensuite suicidé
saintdenis (la réunion)
correspondance
S’
ils avaient été intelligents,
ils auraient réagi autre
ment. Ils n’auraient pas
donné l’arme. » Dans sa maison de
L’EtangSalé, dans le sud de La
Réunion, Florida Imaho ne com
prend pas les deux hommes ayant
donné un pistolet.22 Long Rifle à
l’ancien compagnon de sa fille
Graziella. Mais elle refuse de les
accabler. Le 25 mai 2018, à l’aide de
cette arme et d’un fusil à canon
scié, Mickaël Payet a abattu cette
femme de 28 ans, et son nouveau
conjoint. Puis il s’est donné la
mort. Les deux enfants du couple,
Léo (les prénoms ont été chan
gés), 6 ans à l’époque, et Nathan,
9 mois, sont restés seuls toute
une nuit avec les trois cadavres.
Ce drame est l’un des cinq fémi
nicides qu’a connus La Réunion
en 2018, un des départements
parmi les plus touchés par ce
fléau. Il met aussi en lumière l’une
des particularités qui accompa
gnent souvent ces crimes, les
meurtriers se suicidant fréquem
ment dans la foulée : justice ne
peut être rendue. Ou alors, seule
ment, en interrogeant la respon
sabilité des seconds rôles.
JeanNoël Ethève et Simon Porto
faisaient face, jeudi 19 septembre,
devant le tribunal correctionnel
de SaintPierre, à l’accusation de
« cession et détention d’arme non
autorisée ». Florida Imaho reste
persuadée que les deux hommes
ne savaient pas que son gendre
« allait faire une chose pareille ».
« Pourquoi ne se sontils pas in
quiétés? Demandé s’il n’allait pas
faire une connerie ?, s’interroget
elle. Je ne suis pas dans leur tête.
Moi, j’aurais agi autrement. Là, il y
a eu un drame et deux orphelins. »
Agée de 51 ans, Florida Imaho a
obtenu la garde des deux enfants.
Elle se « bat pour qu’ils grandissent
dans la paix et l’harmonie » : « Ils
vont bien. La vie continue. Je fais
tout pour eux et pour qu’ils soient
heureux. Léo a de bonnes notes à
l’école. » Elle n’a pas voulu se
déplacer au tribunal pour
l’audience. Elle sait pourtant qu’il
n’y aura pas d’autres moments de
justice où elle aurait pu porter la
voix des victimes. « Je préfère aller
chez le coiffeur, voir mes amis pour
ne pas y penser. Depuis que je con
nais la date du procès, je ne suis pas
bien. C’est trop dur. »
A la barre du tribunal correction
nel, JeanNoël Ethève, 54 ans, un
planteur de canne à sucre et de ba
nanes, a reconnu qu’il avait aidé
son cousin éloigné, Mickaël Payet,
à se procurer le revolver. Ce der
nier lui avait affirmé qu’il cher
chait une arme pour tuer des
chiens errants qui venaient dans
son jardin. JeanNoël Ethève s’est
alors tourné vers le responsable de
la livraison de la canne à sucre à
l’usine du Gol de SaintLouis, Si
mon Porto. Celuici possédait
dans son bureau une arme qu’il
avait trouvée sur place. Ce dernier
a cédé le revolver 500 euros. Quant
à Ethève, il a réalisé un bénéfice de
100 euros lors de la revente.
Devant les juges, les deux quin
quagénaires aux casiers judiciai
res vierges semblent écrasés par
les conséquences. JeanNoël
Ethève dit ne plus dormir la nuit et
faire l’objet d’un suivi psychologi
que. Simon Porto explique qu’il
aurait voulu se débarrasser de
l’arme plutôt que la vendre. Le
technicien agricole aurait pu aussi
profiter de l’opération « Déposez
vos armes », mise en place par la
préfecture pour récupérer les ar
mes en circulation dans l’île con
tre une amnistie, souligne le vice
procureur, Benoît Bernard.
« Prise de risque extraordinaire »
Pour le magistrat, c’est l’appât du
gain qui a poussé les deux préve
nus à céder l’arme. « Comment
peuton vendre un revolver alors
qu’une lumière rouge s’est allu
mée? », lancetil. Car JeanNoël
Ethève a demandé deux fois à son
cousin éloigné s’il n’avait pas l’in
tention de tuer quelqu’un. « Il y a
eu une prise de risque extraordi
naire, déplore le viceprocu
reur. Vendre une arme, c’est pren
dre le risque qu’elle soit utilisée. Si
personne ne s’est posé de ques
tions, c’est à cause de billets. » En
défense, l’avocat de Simon Porto,
Me GeorgesAndré Hoarau, recon
naît que son client « a commis une
faute. Il doit être condamné pour
ça et pour rien d’autre ».
JeanNoël Ethève et Simon Porto
ont été condamnés à six mois de
prison avec sursis et à payer res
pectivement 500 et 1 000 euros
d’amende.
jérôme talpin
« Je me suis
comporté comme
un militant
politique dans
une situation
politique »
JEAN-LUC MÉLENCHON
président de
La France insoumise
Souvent, dans
ce type de crime,
la justice peut
être rendue
seulement
en interrogeant
la responsabilité
des seconds rôles
S A N T É
Un « essai clinique
sauvage » interdit
dans une abbaye
Un « essai clinique sauvage »,
réalisé dans une abbaye près
de Poitiers, a été interdit jeudi
19 septembre par l’Agence de
sécurité du médicament.
L’expérimentation consistait
à tester des patchs contenant
deux molécules aux effets in
connus sur au moins 350 ma
lades de Parkinson ou Alzhei
mer. Elle était menée par le
Fonds Josefa, dont le vicepré
sident est le Pr Henri Joyeux,
contesté par la communauté
médicale notamment à cause
de ses positions antivaccins.
L’Agence a saisi la justice. « Je
suis effondrée, horrifiée. Il y
aura des sanctions et des
poursuites », a réagi sur
France Inter la ministre
de la santé, Agnès Buzyn.
J U S T I C E
Le recours aux
audiences judiciaires
vidéos encadrées par le
Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel a
censuré, vendredi 20 septem
bre, une disposition du code
de procédure pénale qui per
met qu’en matière criminelle
une personne puisse être
maintenue en détention
provisoire pendant un an
sans rencontrer le moindre
juge. Saisi dans le cadre
d’une question prioritaire de
constitutionnalité soutenue
par de nombreuses associa
tions, le Conseil valide néan
moins le fait que les audien
ces sur les demandes de
remises en liberté se fassent
par vidéotransmission au
nom de la « bonne adminis
tration de la justice et au bon
usage des deniers publics ».