Cahier du « Monde » No 23231 daté Jeudi 19 septembre 2019 Ne peut être vendu séparément
« Mia », de Renée Levi, au Musée
d’art contemporain de Lyon.
BRUNO AMSELLEM POUR « LE MONDE »
L’art prend le pouls inquiet du monde
En occupant un site industriel au lourd passé, la manifestation lyonnaise connaît un nouveau départ
O
n la craignait affaiblie, victime
de changements de cap politi
que, minée par le départ à la
retraite de son cocréateur his
torique, Thierry Raspail. Voilà
la Biennale de Lyon plus vivace
que jamais. Elle prend un nouveau départ
spectaculaire avec cette 15e édition, qui ouvre
ses portes mercredi 18 septembre. Son démé
nagement en est le signe le plus évident : si
elle reste ancrée au MAC, le Musée d’art
contemporain de la ville, elle dit adieu à La
Sucrière et à sa presqu’île, où se sont tenues
une dizaine d’éditions, mais dont le budget de
location pénalisait l’événement. Pour la pre
mière fois, elle investit les anciennes usines
Fagor, qui produisaient autrefois de l’électro
ménager : soit 29 000 mètres carrés de friches
au cœur du quartier Gerland. Désaffecté de
puis 2015, le site porte encore tous les stigma
tes de son passé industriel.
Quant à la direction artistique de la Biennale,
elle a été confiée à une institution, le Palais de
Tokyo, à Paris, plutôt qu’à une personnalité,
comme cela avait déjà été le cas, en 2003, avec le
Consortium de Dijon. Il se trouve que le méga
centre d’art parisien changeait lui aussi de mains :
son président, Jean de Loisy, étant parti fin 2018
pour l’Ecole nationale supérieure des beauxarts
de Paris, la nouvelle directrice, Emma Lavigne
- par ailleurs directrice artistique de la précé
dente Biennale –, n’a été nommée qu’en juillet.
Œuvres produites sur place
Double vacance du pouvoir, un nouveau lieu à
inventer? Cela faisait beaucoup de défis à relever
pour l’équipe curatoriale, constituée des sept
commissaires rattachés au Palais de Tokyo :
Adélaïde Blanc, Daria de Beauvais, Yoann Gour
mel, Matthieu Lelièvre, Vittoria Matarrese,
Claire Moulène et Hugo Vitrani. Mais ils sont
jeunes, vifs et prompts à prendre le pouls du
monde. Dès leurs premiers pas dans ces espaces
désertés par les ouvriers et les machines, ils ont
saisi leur potentiel. Invités longtemps en amont
à arpenter les halles désertes, les 55 artistes
qu’ils ont invités ont quasiment tout produit sur
place, portés par l’esprit du lieu. Là encore, c’est
inédit : on ne compte plus le nombre de bienna
les à travers le monde qui se contentent d’ali
gner des œuvres déjà vues mille fois.
« Cet effort a été permis par la forte augmenta
tion de notre budget cette année, précise Isabelle
Bertolotti, qui remplace, depuis un an, Thierry
Raspail à la tête du MAC, et coordonne à ce titre
la Biennale. Nous sommes montés à 10 millions
d’euros, soit deux de plus qu’avant. » Une hausse
due à l’investissement du monde économique,
avec des mécènes fidèles, comme le groupe
Partouche, et d’autres nouveaux, comme la
Fondation Total, qui a financé le programme de
production en collaboration avec les écoles et
les associations d’insertion.
Nul doute que le rôle de Jean de Loisy, passé
maître dans l’art de convaincre des entreprises
de soutenir la création, a été déterminant dans
ce processus. Mais les équipes de la Biennale et
du MAC comptent bien ne pas en rester là.
« Nous avons posé une bonne option pour
conserver par la suite ce lieu, qui appartient à la
métropole et accueille déjà le festival des Nuits
sonores, confie Isabelle Bertolotti. De telles
friches sont rarissimes à Lyon. Notre rêve, ce
serait d’en faire un lieu multiactivité : la Biennale
de danse y ferait ses défilés, le MAC pourrait y
organiser des performances et déployer sa collec
tion, dont nombre d’œuvres restent invisibles. »
C’est désormais aux politiques de trancher : leur
visite de cette 15e Biennale influera sans aucun
doute sur la décision.
emmanuelle lequeux
Ce supplément a été réalisé dans le cadre
d’un partenariat avec la Biennale de Lyon.
Biennale de Lyon
« là où les eaux
se mêlent »,
15 e édition
de la biennale
jusqu’au
5 janvier 2020