Le Monde - 18.09.2019

(Ron) #1
0123
MERCREDI 18 SEPTEMBRE 2019

ÉCONOMIE  &  ENTREPRISE


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Le diagnostic inquiétant de Michelin


Le pneumaticien déplore une nette dégradation de la compétitivité de quatre de ses usines en France


clermont­ferrand ­
correspondant

C


hez Michelin, la compé­
tition est une belle vi­
trine, mais l’arrière­
boutique n’est pas relui­
sante. Dans l’atelier de Clermont­
Ferrand, qui fabrique les pneus
qui brillent sur les circuits, les ma­
chines accusent leur âge ; on en
trouve sur lesquelles est inscrite
la date de mise en service : 1921,
année de l’ouverture de la grande
usine clermontoise de Cataroux.
Le parc de machines est « obso­
lète » et « de moins en moins
adapté au besoin produit », cons­
tate un document interne de la di­
rection, daté de septembre 2019,
que Le Monde s’est procuré.
Si les 560 salariés du C2 – le
nom de leur atelier dans le jargon
de Bibendum – ont un savoir­
faire reconnu, leur absence de
« culture de productivité » est no­
toire. Résultat, les coûts de pro­
duction sont sans commune me­
sure avec les standards de Miche­
lin. Un cas isolé parmi les quinze
sites industriels français du
groupe? En réalité, non. Le nu­
méro deux mondial du pneu est
en fait confronté à une crise de
compétitivité en France.
L’évolution des marchés du
pneumatique et la pression con­
currentielle « ne permettent pas
d’envisager le maintien, à terme,
d’un tissu industriel aussi dense en
Europe de l’Ouest », tranche ce dia­
gnostic qui a été présenté aux
syndicats début septembre.

Une méthode inédite
Dans l’Hexagone, outre l’atelier
de Clermont­Cataroux, trois
autres usines ont de réels problè­
mes de compétitivité : celles de
Cholet (Maine­et­Loire, pneus
tourisme et camionnette), de la
Roche­sur­Yon (Vendée, poids
lourds) et d’Avallon (Yonne, re­
chapage poids lourds). Selon la
direction, il n’y a toutefois pas de
projet de fermeture pour ces
quatre sites, qui représentent en­
viron 2 000 emplois sur les
23 000 que compte le groupe en
France.
Au moment de sa prise de fonc­
tion en mai, Florent Menegaux,
président de la gérance de Miche­
lin, avait laissé entendre que des
restructurations n’étaient pas à
exclure. « Notre empreinte indus­
trielle doit évoluer pour accompa­
gner l’évolution des marchés »,
avait­il expliqué au Monde, ajou­
tant : « Il n’y a aucun site pérenne, à
l’Est comme à l’Ouest. »

Pour son premier grand dossier
industriel et social, M. Menegaux a
choisi une méthode inédite. En
échange d’un accord de confiden­
tialité, la direction a donné aux
syndicats des éléments stratégi­
ques sur l’évolution des marchés
et sur les performances techni­
ques et économiques de chaque
usine. Après huit réunions entre
mai et juillet, un diagnostic a été
dressé, dont la diffusion à l’en­
semble des sites a commencé
lundi 16 septembre. Avec, en ligne
de mire, l’ouverture de négocia­
tions pour aboutir à des accords
locaux.
Trois syndicats – la CFE­CGC,
SUD et la CFDT – ont accepté de
jouer le jeu. Mais pas la CGT. « La
confidentialité qu’on nous deman­
dait n’était pas acceptable, expli­
que Michel Chevalier, le délégué
syndical de la CGT. Nous sommes
les représentants du personnel et

nous ne devons rien leur cacher. Et
nous ne voulons pas avoir l’air de
cautionner des décisions qui ont
déjà été prises pas la direction. »
Pour Jean­Christophe Laourde,
le délégué CFE­CGC, l’exercice a
été utile. « Nous avons eu des in­
formations que nous n’avions ja­
mais eues avant, note­t­il. La
transparence est une chose, mais
l’aspect négatif, c’est qu’il y a des
craintes pour certains sites. L’en­
treprise se porte bien et il serait
pour nous inacceptable que des
activités soient arrêtées. »
Directeur de Michelin­France,
Jean­Paul Chiocchetti se refuse à
parler de sites en difficulté. « Nous
avons donné aux syndicats une
cartographie des sites où certains
apparaissent plus fragiles que
d’autres, explique­t­il. Mais ce
n’est pas l’essentiel, parce que tout
est une question de temporalité.
Ceux qui sont dans le rouge

aujourd’hui pourraient repasser
au vert en fonction du marché. No­
tre travail a été d’identifier, site par
site, mais aussi au niveau natio­
nal, des leviers permettant de pro­
téger nos usines à moyen terme
contre d’éventuels retournements
de l’activité. C’est la première fois
que nous avons le courage de par­
tager avec les organisations syndi­
cales et avec la direction des usines
une vision stratégique sur la tota­
lité d’un pays. Nous allons mainte­
nant faire descendre ce diagnostic
sur le terrain et solliciter l’ensem­
ble du corps social de chacune des
usines. Je suis confiant, nous allons
pouvoir trouver des solutions pour
améliorer nos performances. »
Le dialogue social comme
moyen de pérenniser l’activité in­
dustrielle en France? « La seule so­
lution pour préserver l’emploi, c’est
l’anticipation, estime Jérôme Lor­
ton, le délégué syndical de SUD­

Michelin. C’est le sens de notre par­
ticipation aux discussions avec la
direction. » La formule a déjà été
testée avec succès à Roanne (Loire)
où un « pacte d’avenir » a été signé
en mai 2015. En contrepartie d’une
nouvelle organisation du travail,
Michelin a investi 107 millions
d’euros dans de nouvelles machi­
nes. « Sans cet accord, qui a été rati­
fié par 95 % du personnel,
aujourd’hui, l’usine n’existerait
plus », estime M. Lorton.

Concurrence asiatique
A la Roche­sur­Yon, un « pacte
d’avenir » a également été signé,
en avril 2016. Mais ce n’est pas la
panacée. L’usine, qui fabrique des
pneus pour poids lourds est de
nouveau en difficulté. Elle doit
faire face à une baisse du marché
haut de gamme et à la concur­
rence asiatique. Elle souffre de
coûts de fabrication sensible­

Ultime sursis pour la compagnie aérienne Aigle Azur


L’avenir de l’entreprise semble suspendu aux deux seules offres encore en lice, celles d’Air France et d’Air Caraïbes


U


n ultime sursis pour
Aigle Azur et ses 1 150 sa­
lariés. Le tribunal de
commerce d’Evry a accordé,
lundi 16 septembre, un délai sup­
plémentaire de deux jours aux
candidats à la reprise de la com­
pagnie aérienne française pour
améliorer leurs offres. Ces der­
niers ont désormais jusqu’à mer­
credi 18 septembre minuit pour
peaufiner leurs projets de re­
prise.
Dans le même temps, les juges
ont prononcé la liquidation de
l’entreprise, qui pourra tout de
même poursuivre son activité
jusqu’au 27 septembre. Un vœu
pieu, car, dans les faits, Aigle Azur
a cessé brutalement de fonction­
ner depuis plusieurs jours. Des
milliers de passagers n’ont pas
pu prendre leur vol, notamment
en Algérie.

Avec ce sursis, le juge du tribu­
nal de commerce a semble­t­il
voulu aller dans le sens des syndi­
cats de la compagnie, qui, à l’ins­
tar de la CDFT, ont « demandé un
délai de quelques jours pour négo­
cier un accord de performances
collectives » avec les futurs repre­
neurs. Selon Raphaël Caccia, se­
crétaire général de la branche
transport aérien de la CFDT, cela
permettrait de « négocier les con­
ditions de reprise des salariés
d’Aigle Azur par Air France et Air
Caraïbes ».
Une solution de la dernière
chance qui devrait être très diffi­
cile à trouver. Selon le tribunal, les
comptes de l’entreprise sont en­
core plus exécrables que prévu.
Les juges ont en effet découvert
que le passif d’Aigle Azur attei­
gnait 148 millions d’euros pour
un chiffre d’affaires de seulement

300 millions. Et encore, le tribu­
nal a précisé que les comptes
n’étaient pas encore certifiés.
L’ampleur de ce passif, qui, il y a
quelques jours encore, était évo­
qué autour de 70 à 80 millions
d’euros, pourrait conduire le tri­
bunal de commerce d’Evry à de­
mander des comptes aux action­
naires et aux dirigeants actuels
d’Aigle Azur.

Propositions complémentaires
Du côté des syndicats, on s’inter­
roge aussi sur le rôle de la direc­
tion générale de l’aviation civile
(DGAC), dont l’une des missions
est « le suivi économique des com­
pagnies aériennes françaises ».
L’avenir d’Aigle Azur semble dé­
sormais suspendu aux deux seu­
les offres encore en lice, celles
d’Air France et du groupe Du­
breuil, propriétaire d’Air Caraïbes

et de French Bee. Le fonds améri­
cain Cyrus, qui s’est pourtant fait
une spécialité d’investir dans les
compagnies aériennes, a préféré
jeter l’éponge faute de temps pour
préparer son offre. De même, la
compagnie à bas coût britanni­
que easyJet n’aurait pas été plus
loin qu’une simple manifestation
d’intérêt.
Pour sauver ce qui peut encore
l’être, l’idée du nouveau secrétaire
d’Etat aux transports, Jean­Bap­
tiste Djebbari, est de constituer
une « offre combinée » d’Air
France et d’Air Caraïbes. Mardi
17 septembre, il signalait que
« l’Etat [menait] une discussion
exigeante avec Air France concer­
nant le dossier Aigle Azur. L’objectif
est qu’elle reprenne le maximum
d’emplois ».
En pratique, les plans de reprise
des deux compagnies semblent

se compléter. Air France s’inté­
resse à l’activité moyen­courrier
d’Aigle Azur, et notamment ses
créneaux de vols vers l’Algérie et
le Liban. A l’inverse, le groupe Du­
breuil lorgne les routes long­
courrier pour développer sa pré­
sence dans les Caraïbes, mais
aussi vers l’Afrique. Air France et
la filiale du groupe Dubreuil se
proposeraient de reprendre seu­
lement 80 % des salariés basés en
France, soit 515 pour Air France et
106 pour Air Caraïbes. Mais rien
ne dit que les deux candidats s’ac­
cordent avant mercredi minuit,
d’autant qu’ils sont concurrents
sur le long­courrier.
Leur intérêt pourrait être d’at­
tendre que la liquidation de la
compagnie soit définitivement
prononcée. Dans ce cas, les 10 000
créneaux de décollages et d’atter­
rissages dont dispose Aigle Azur à

Orly seront redistribués aux com­
pagnies opérant depuis cet aéro­
port au prorata de leur activité.
Première compagnie française,
Air France se taillerait la part du
lion, avec environ 25 % de ces cré­
neaux. Un niveau qui pourrait
être suffisant pour développer le
réseau de Transavia, la filiale à bas
coût d’Air France. Air Caraïbes,
elle aussi déjà présente à Orly, ne
serait pas oubliée dans cette re­
distribution.
Pour les salariés, le compte à re­
bours est enclenché. Les offres se­
ront examinées par le comité
d’entreprise de la compagnie
dans les prochains jours, avant
d’être présentées lors d’une nou­
velle audience du tribunal de
commerce, le 23 septembre. En­
fin, le jugement sera mis en déli­
béré au 27 septembre.
guy dutheil

ment plus élevés que dans les
autres usines du groupe. Une réu­
nion extraordinaire du comité so­
cial et économique (CSE) devait
avoir lieu mardi 17 septembre.
SUD­Michelin a d’ores et déjà
mis en garde : si une fermeture de
l’usine devait être évoquée, la
confiance serait rompue. « Nous
sommes à un moment crucial
pour le dialogue social chez Miche­
lin », affirme Jérôme Lorton.
A Avallon, l’usine spécialisée
dans le rechapage de pneus poids
lourds, la situation est également
difficile. Là encore, les coûts de
production sont élevés et les
pneus rechapés ne résistent pas à
la concurrence des pneus asiati­
ques d’entrée de gamme. Une si­
tuation similaire avait conduit,
en 2015, à l’annonce de la ferme­
ture de l’atelier de rechapage
d’une usine clermontoise après
l’échec des discussions entre syn­
dicats et direction.
Selon un responsable syndical,
une des surprises concerne
l’usine de Cholet (près de 1 300 sa­
lariés) essentiellement spéciali­
sée dans les pneus de camionnet­
tes. Assez peu réactive face aux
variations du marché, elle a aussi
des coûts de fabrication très défa­
vorables, comparés à ceux de
l’usine polonaise d’Olsztyn. Elle
bénéficie toutefois actuellement
d’une activité soutenue.
Selon Michelin, l’écart de salaires
entre l’Europe de l’Est et l’Europe
de l’Ouest est de un à quatre, ce qui
se traduit par une différence de
coûts de fabrication d’environ
25 %, poussant les fabricants de
pneus, à l’exception de Michelin et
de Goodyear, à transférer leurs si­
tes de production à l’Est. Une ten­
dance à laquelle Michelin veut en­
core résister. A des conditions que
M. Menegaux avait résumées
pour Le Monde : « Il faut être sur des
segments de spécialité à très forte
valeur ajoutée et être extrêmement
productif. »
manuel armand

Michelin France : 23 000 emplois dont 10 000 industriels
EFFECTIFS DES SITES DE PRODUCTION INDUSTRIELS (AU 31 DÉCEMBRE 2018)

SOURCE : MICHELIN

Sites présentant des problèmes
importants de compétitivité

Michelin en 2018


milliards d’euros
de chiffre
22 d’affaires

milliard
d’euros
de résultat net

salariés dans le monde

1,


sites industriels

(^69) dans 17 pays
125 000
Bourges
581
Gravanches
703
Le Puy-
en-Velay
632
Montceau-
les-Mines
1 074
Roanne
815
Troyes
832
Bassens
399
La Combaude
519
Golbey
511
Tours
225
Vannes
395
Cholet
1 289 salariés
Production de pneumatiques
pour les véhicules de tourisme
et les camionnettes
Cataroux
1 860 salariés
Production de pneumatiques
pour les véhicules de tourisme
et les camionnettes
La Roche-sur-Yon
647 salariés
Production de pneumatiques
pour les véhicules poids lourds
Avallon
415 salariés
Rechapage de pneumatiques
pour poids lourds
En échange d’un
accord de
confidentialité,
la direction
a donné aux
syndicats
des éléments
stratégiques
sur chaque site

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