Le Monde - 18.09.2019

(Ron) #1
0123
MERCREDI 18 SEPTEMBRE 2019

styles

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low cost, mais


malus écologique


L’indéniable succès des modèles bon marché


pourrait se fissurer avec le prochain


durcissement des normes environnementales


pour cause de motorisation trop polluante.


Seule planche de salut : l’électrification


AUTOMOBILE


L


es objectifs de réduction
des émissions de dioxyde
de carbone s’accommodent
mal du succès galopant des
SUV, trop gourmands. Il apparaît
que l’essor des voitures à bas coût
n’est pas davantage en phase avec le
prochain durcissement des normes
environnementales. Cette incom­
patibilité risque de s’imposer dou­
loureusement à Renault, qui a déve­
loppé avec succès sous la bannière
Dacia une offre de modèles bon
marché. Depuis 2005, ces véhicules,
produits essentiellement en Rou­
manie, ont rencontré un public très
large – plus de 500 000 ventes,
en 2018, en Europe contre un peu
plus de 100 000 dix ans aupara­
vant –, mais la poursuite de cette in­
solente réussite se trouve désor­
mais fragilisée.
Selon le consultant Evercore ISI,
les émissions moyennes de CO 2 au
kilomètre de la gamme Dacia se si­
tuaient en 2018 quelque 25 gram­
mes au­dessus de la moyenne fati­
dique des 95 grammes, seuil au­delà
duquel de lourdes sanctions seront
imposées dès 2020. Un score bien
supérieur à celui de la moyenne de
la maison mère Renault (une quin­
zaine de grammes au­dessus de
l’objectif fixé par l’Union euro­
péenne), qui va fortement se dégra­
der lorsqu’il faudra réintégrer le
score de Dacia. Selon la banque d’in­
vestissement Jefferies, le montant
annuel des amendes imposées à Re­
nault pour cause de dépassement
des normes pourrait représenter
450 millions d’euros. « Soit 17 % du
bénéfice prévu par le constructeur
l’année prochaine », estime l’institu­
tion financière. Le low cost serait­il
devenu un boulet? Sollicité, Renault
ne s’est pas exprimé.

Dacia n’a pourtant pas rechigné à
moderniser ses motorisations four­
nies par la firme au losange. Depuis
le début de l’année, un nouveau mo­
teur essence d’entrée de gamme TCe
100 (1 litre de cylindrée pour 100 ch)
et un nouveau diesel (1,5 litre, 95 ch)
sont apparus. Or, si le second
échappe au malus, le premier n’y
parvient toujours pas, avec ses 125 g
de CO 2 au kilomètre. Quant au tout
nouveau 1,3 litre essence dévelop­
pant 150 ch, il ne peut faire mieux
que 138 g de CO 2 au kilomètre, ce qui
lui vaut une pénalité de 540 euros.
Ce moteur, qui se destine davantage
à des marchés comme la Russie, est
en outre étouffé par une boîte de vi­
tesses trop longue, seul moyen de li­
miter les dégâts en termes de con­
sommation (un peu plus de 8 litres
aux 100 km lors de notre essai). Au
total, seules les versions diesel
échappent aux rigueurs du malus
écologique.

Une rentabilité alléchante
Confrontés aux mêmes difficultés,
d’autres constructeurs ont expurgé
de leur offre les modèles « économi­
ques ». Opel ne vend plus sa petite
voiture bon marché, Karl, et Ford a
annoncé le retrait de la KA +. Rivale
directe de la Dacia Sandero, cette
dernière était importée du Brésil de­
puis 2016, avec un petit trois­cylin­
dres efficace, mais crachant tout de
même 120 g de CO 2. Malgré une dif­
fusion non négligeable en Europe
(environ 50 000 unités par an), Ford
a préféré jeter l’éponge. « Pour ne
pas dégrader la moyenne d’émis­
sions de la marque, il aurait fallu
équiper la Ka+ d’une tout autre mo­
torisation, bien plus sophistiquée, ce
qui n’était pas envisageable compte
tenu de sa faible marge », souligne le
constructeur américain. Fiat, inter­
rogé sur l’avenir de la Tipo, autre

modèle à bas coût, s’en tient lui
aussi au silence radio.
La baisse drastique des émissions
dès 2020­2021 (le mouvement devra
se poursuivre pour atteindre le seuil
de 59 grammes en 2030) déstabilise
le modèle économique du low cost
automobile, qui dégage peu de bé­
néfice unitaire, mais affiche globa­
lement une rentabilité alléchante
compte tenu des volumes de pro­
duction. Pour proposer des prix ac­
cessibles (le tarif de la Logan débute
à 7 900 euros), Dacia s’en remettait
jusqu’alors aux coûts réduits de la
main­d’œuvre de ses usines rou­
maines ou marocaines, mais aussi
au recours à des technologies, et
donc des mécaniques, largement
amorties. C’est­à­dire pas tout à fait
tombées de la dernière pluie. Ce
schéma ne pourra plus fonctionner.
Pour Renault, la seule issue con­
siste à électrifier les modèles de sa
gamme Entry, qui regroupe les ver­
sions les plus accessibles et pèse glo­
balement autour de 20 % de ses ven­
tes. La marque dispose pour cela de
l’inédit système hybride e­Tech, qui
va équiper la nouvelle Clio et pour­
rait apparaître chez Dacia en 2021.
Des améliorations qui vont coûter
cher. Mettre à niveau les modèles
Dacia, a calculé Evercore ISI, repré­
senterait une dépense de
1 269 euros par véhicule. Le groupe
entend mettre le cap sur la concep­
tion de voitures 100 % électriques à
prix cassé (autour de 10 000 euros)
dans le sillage de la K­ZE, son petit
modèle lancé en Chine. Mais cela
prendra quelques années.
Le verdissement du low cost cons­
titue certes une bonne nouvelle
pour l’environnement, mais voir les
prix monter en flèche dans un pro­
che avenir va accélérer le glissement
vers une gentrification de l’automo­
bile, en passe de redevenir un pro­
duit difficilement accessible au plus
grand nombre. Dans une note pu­
bliée en mai par la Fondation Jean­
Jaurès et consacrée au mouvement
des « gilets jaunes », Jérôme Four­
quet rappelle que la Sandero est le
modèle le plus vendu auprès des
particuliers. Pour le directeur du dé­
partement opinion de l’IFOP, l’avè­
nement de la « France des Dacia »
(141 000 immatriculations dans
l’Hexagone en 2018) constitue l’un
des indices de « la disparition de la
grande classe moyenne » et de « l’ap­
parition d’une offre calibrée (à l’ins­
tar du hard­discount) pour les caté­
gories populaires et la frange infé­
rieure des classes moyennes ».
jean­michel normand

SELON LE CONSULTANT 


EVERCORE ISI, LES 


ÉMISSIONS MOYENNES 


DE CO 2  AU KILOMÈTRE 


DE LA GAMME DACIA 


SE SITUAIENT EN 2018 


QUELQUE 25 GRAMMES 


AU­DESSUS DE 


LA MOYENNE FATIDIQUE 


DES 95 GRAMMES, 


SEUIL AU­DELÀ DUQUEL 


DE LOURDES 


SANCTIONS SERONT 


IMPOSÉES, DÈS 2020


La Prius, hybride


avant l’heure


LE LONG APPRENTISSAGE DE LA PROPRETÉ  3 | 4
Les alternatives au moteur thermique
ne datent pas d’hier. La mère de toutes les
hybrides, la Toyota Prius, lancée dès 1997,
ne sortira de la marginalité qu’en 2009

C’


est un joli coup de com. C’est aussi le signe
d’un changement d’époque. Le 10 décem­
bre 1997, la Toyota Prius est dévoilée lors
de la journée de clôture de la Conférence de Kyoto
sur le climat. Ce modèle dit « hybride » se veut écolo­
giquement responsable ; la marque japonaise re­
vendique sa responsabilité environnementale. Sans
renoncer, par ailleurs, à inonder les marchés avec
des moteurs gavés aux hydrocarbures.
Toyota n’a pas inventé l’hybride (nombre de cons­
tructeurs, dont Renault, ont travaillé sur de telles
mécaniques sans pousser très loin les recherches),
mais la firme nippone est la première à prendre le
risque d’une commercialisation à grande échelle.
Cette technologie consiste à faire fonctionner si­
multanément un moteur thermique (à essence) et
un autre, électrique. Ce dernier est alimenté par des
batteries, rechargées par le moteur à combustion
interne et lors des décélérations. Un calculateur
électronique répartit l’effort entre les deux sources
afin de soulager le moteur principal pendant les
phases d’accélération. Lors de son arrivée en Eu­
rope, la Prius affiche une consommation d’à peine
plus de 5 litres aux 100 km pour 120 grammes de CO 2
au kilomètre. Impressionnant, à l’époque, pour une
voiture de gabarit moyen.

Snobée par l’Europe
La Prius (nominatif singulier de prior, qui signifie
« premier » en latin) vise surtout le Japon et les Etats­
Unis, plus particulièrement l’Etat de Californie, qui
impose des objectifs de réduction de la consomma­
tion. Plus économe en usage urbain que sur route,
elle se conduit comme n’importe quel véhicule,
évolue dans un registre très silencieux, et son prix
(15 000 dollars en 1998) n’est pas très démocratique
mais pas tout à fait dissuasif. A son débit, il faut citer
la taille réduite du coffre (et l’impossibilité de bas­
culer la banquette) à cause de la présence des batte­
ries et une chasse au poids qui impose, notamment,
de faire l’économie de vitres électriques. La ligne ex­
térieure, conçue par le bureau de style américain de
Toyota, est assez ingrate. L’habitacle science­fiction­
nesque, avec son écran qui reproduit les flux d’éner­
gie, est une réussite.
La Prius fait un certain effet sur ses marchés­cibles
mais l’Europe la snobe. En 2000, pour la première
année complète de diffusion en France, Toyota­
France vise prudemment 250 immatriculations. On
en comptera 79. La mère de toutes les hybrides, il est

vrai, s’attaque au totem du diesel. A l’époque, rouler
au gazole c’est, officiellement, protéger la planète
sans se ruiner puisque ce carburant, sous­taxé et
dopé par les systèmes de bonus, crache moins
d’oxyde de carbone que l’essence. Pourtant, la
deuxième génération de la Prius (2004) n’émet que
104 grammes de CO 2 et en plus, elle n’est pas déplai­
sante à regarder. S’afficher à son volant vous pose
comme un amateur de technologie éclairé, doublé
d’un modèle de conscience écologique.
Alors que s’accumulent les études sur la nocivité du
diesel – qui, on l’avait oublié pour le bien de l’indus­
trie automobile européenne, émet aussi des parti­
cules et des oxydes d’azote –, la Prius troisième du
nom (2009) sort définitivement de la marginalité. La
preuve : elle devient la coqueluche des taxis. Lancée il
y a trois ans, la quatrième génération (70 g de CO 2 au
kilomètre) au style étonnamment provocateur, n’est
plus qu’un modèle hybride parmi d’autres. La con­
currence s’est ralliée à l’hybride, qu’elle aura long­
temps considéré avec commisération, raillant le fait
que la Prius faisait perdre des sommes considérables.
Toyota, qui a vendu en moins de vingt ans 13,7 mil­
lions de véhicules à double motorisation, s’en est très
bien remis. Au point de prendre quelques distances
avec la vocation de l’hybride : constituer le chaînon
manquant vers le « zéro émission ». Il aura fallu at­
tendre début juin 2019 pour voir la marque annoncer
un véritable programme de futurs véhicules 100 %
électriques.
j.­m. n.

Prochain article : Du glamour dans le lithium­ion.

Au grand pique­nique
Dacia, à l’abbaye
de Chaalis, dans l’Oise,
le 30 juin.
L’OEIL DU DIAPH

La première génération de Prius. TOYOTA
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