Le Monde - 18.09.2019

(Ron) #1

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RENDEZ-VOUS
LE MONDE·SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 18 SEPTEMBRE 2019

« Les mesures de prévention 


de la maladie d’Alzheimer 


sont efficaces à tout âge »


ENTRETIEN - En amont de la Journée mondiale de la maladie


d’Alzheimer, le 21 septembre, le médecin et chercheur


Philippe Amouyel évoque les nouvelles pistes thérapeutiques


L


a prévention serait­elle la meilleure
arme pour combattre l’épidémie de
maladie d’Alzheimer (MA)? Pourquoi,
malgré de gros efforts de recherche, ne
dispose­t­on toujours pas de traite­
ments pour cette affection neurodégénérative
qui, avec les autres démences, concerne environ
50 millions de personnes dans le monde, dont
900 000 en France? A quelques jours de la Jour­
née mondiale de la maladie d’Alzheimer, le
21 septembre, tour d’horizon des bonnes et
moins bonnes nouvelles de la science avec le
médecin et chercheur Philippe Amouyel. Profes­
seur de santé publique et spécialiste des mala­
dies du vieillissement au CHU de Lille, il est aussi
le directeur général de la Fondation Alzheimer.
En 2018, il a publié Le Guide anti­Alzheimer (édi­
tions Cherche Midi).

Cet été, deux publications ont renforcé l’idée
d’une prévention de la maladie d’Alzheimer.
Des chercheurs ont montré que les performan­
ces cognitives des seniors chutent moins
vite chez les plus actifs physiquement. Une
autre étude conclut qu’adopter un mode de vie
sain à 50 ans permet de préserver la santé
du cœur et du cerveau. L’épidémie de maladie
d’Alzheimer pourrait­elle être endiguée
par des changements de comportement?
Rappelons d’abord que le premier facteur de
risque de ces maladies est l’âge. Un autre para­
mètre très important est la durée des études :
plus elles sont longues, plus on est protégé. C’est
d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles l’inci­
dence de la MA, c’est­à­dire le nombre de nou­
veaux cas par an, commence à diminuer depuis
quelques années dans les pays riches.
Il est aussi devenu évident que les facteurs de
risque des maladies cardio­vasculaires jouent
un rôle majeur dans la dégénérescence du cer­
veau. C’est le cas du tabagisme, du diabète de
type 2, de l’hypertension artérielle, de l’obésité
et de la sédentarité. L’impact d’un excès de cho­
lestérol est plus discuté. En se fondant sur des
études épidémiologiques, des chercheurs esti­
ment qu’en agissant sur ces paramètres on
pourrait réduire d’un tiers l’incidence des mala­
dies d’Alzheimer et des autres démences, et de
moitié leur prévalence, c’est­à­dire le nombre
total de cas. Ainsi, sur 100 cas, 14 seraient évités
si personne ne fumait, 13 si l’on éliminait la sé­
dentarité, 5 par le traitement de l’hypertension
artérielle, et 3 par celui du diabète.

S’agit­il réellement d’empêcher la maladie,
ou juste de la retarder?
On sait que, lorsque les premiers symptômes
(troubles de la mémoire, difficultés intellectuel­
les...) apparaissent, le processus de la MA a dé­
buté de dix à trente ans auparavant. Mais il a été
montré que les individus sont d’autant plus

résistants qu’ils ont une réserve cognitive im­
portante. Cela signifie que des connexions neu­
ronales performantes permettent de compenser
plus longtemps sans symptôme une altération
des fonctions cognitives. L’idée générale est
donc d’augmenter cette réserve cognitive, par
des stimulations intellectuelles et une bonne
hygiène de vie. En décalant de cinq ans les pre­
miers symptômes, on diminuerait de moitié le
nombre de malades, selon des estimations.

Quand débuter cette prévention, et comment?
A partir de 40­45 ans, beaucoup prennent
conscience d’un ralentissement de leurs perfor­
mances intellectuelles, et cela me paraît une
bonne fenêtre de tir pour se motiver. Un point
important est qu’il s’agit d’une prévention
multifactorielle, ce qui signifie que l’on peut
jouer sur plusieurs paramètres en même
temps. Autre élément positif, c’est une stratégie
efficace quel que soit l’âge. Il n’est donc jamais
trop tard pour s’y mettre. Même quand les pre­
miers symptômes sont apparus, les mesures de
prévention ont un impact, elles peuvent ralen­
tir le déclin cognitif.
En pratique, il est fondamental de stimuler
quotidiennement son cerveau. Le principe est de
le faire sortir de sa zone de confort, avec des acti­
vités nouvelles qui requièrent un effort intellec­
tuel et créent de nouvelles connexions cérébra­
les. Cela peut passer par l’apprentissage d’une
nouvelle langue, le fait de se priver quinze minu­
tes par jour de l’usage de sa main directrice.
Le deuxième axe est la lutte contre les facteurs
de risque avec arrêt du tabac, traitement de l’hy­
pertension artérielle et du diabète, lutte contre
le surpoids, activité physique... Cette dernière
agit sur le cerveau par trois mécanismes. Outre
son effet protecteur sur les artères, l’activité
physique stimule des facteurs de croissance des
neurones, tel le BDNF. Enfin, on sait désormais
que bouger réduit la charge amyloïde, et agit
donc directement sur un des processus fonda­
mentaux de la maladie d’Alzheimer.

Quid du rôle d’une inflammation des gencives,
évoqué ces dernières années? Est­ce là aussi
une piste de prévention, voire de traitement?
Les gingivites chroniques semblent favoriser la
maladie d’Alzheimer, mais aussi d’autres patho­
logies comme les anévrismes (anomalies de la
paroi) de l’aorte abdominale. Dans le cerveau de
patients avec une MA, des chercheurs ont re­
trouvé des bactéries Porphyromonas gingivalis,
qui sont des germes impliqués dans les gingivi­
tes. Et il a été montré, chez l’animal, que des pro­
téines synthétisées par ces bactéries, les gingipaï­
nes, augmentent les plaques amyloïdes.
Si l’hygiène dentaire est importante, elle n’est
pas forcément suffisante pour se débarrasser
d’une gingivite chronique installée.

Un laboratoire américain, Cortexyme, déve­
loppe une molécule bloquant les gingipaïnes. Du
fait de sa petite taille, celle­ci peut passer la bar­
rière hémato­méningée et diffuser dans le cer­
veau. Après des résultats préliminaires encoura­
geants, un essai de phase II­III est en cours, chez
près de 600 patients avec une forme légère à
modérée d’Alzheimer. A terme, cette approche
pourrait constituer un traitement, au moins
adjuvant. En tout cas, c’est une piste de recherche
intéressante et sérieuse.

Régulièrement, des chercheurs annoncent des
essais prometteurs d’une nouvelle molécule
chez la souris, ou chez quelques malades. Puis,
quand elle est testée sur des effectifs plus im­
portants, on apprend que l’essai est interrompu
à cause de problèmes de toxicité, ou d’ineffica­
cité. Comment expliquer ces échecs successifs?
Effectivement, tous les laboratoires pharma­
ceutiques qui travaillent sur la maladie d’Alzhei­
mer stoppent de grands essais thérapeutiques
en cours de route. Cela a encore été plusieurs fois
le cas ces derniers mois, avec des anticorps mo­
noclonaux. Jusqu’ici, les produits testés dans la
MA visent surtout deux cibles. La plus ancienne
est celle des peptides béta­amyloïdes, qui s’accu­
mulent en plaques entre les neurones. Le déve­
loppement de molécules agissant sur tau, une
protéine neuronale qui se transforme anormale­
ment chez les patients, est plus récent.
Nous en avons appris beaucoup ces dernières
années sur ces maladies, mais il est probable que
des mécanismes nous échappent. Ainsi, on sait
désormais que les peptides amyloïdes, qui
jouent un rôle important dans la MA, s’accumu­
lent dans le cerveau dès la naissance. Mais les
techniques d’imagerie montrent que certaines
personnes en ont des quantités importantes
sans avoir aucun symptôme. Comme pour
d’autres maladies, il est possible que la solution
ne vienne pas d’une molécule unique, mais
d’associations. Dans le VIH, c’est la trithérapie
qui a changé la donne pour les malades, alors
que chacun des antiviraux prescrits en mono­
thérapie était peu efficace.

Quelles sont les prochaines échéances
dans la recherche de thérapeutiques?
On guette avec impatience les résultats d’un es­
sai clinique en cours chez des centaines de pa­
tients avec une forme familiale de MA, due à une
prédisposition génétique. Ils sont traités à une
phase précoce, par des anticorps monoclonaux
anti­amyloïdes. Ce protocole permettra de savoir
si un traitement mis en route assez tôt dans
l’évolution de la maladie permet de la ralentir.
C’est très important, car l’une des hypothèses
pour expliquer les échecs en série est que les trai­
tements seraient peut­être commencés trop
tard, alors que la MA est déjà très évoluée. Les ré­
sultats de cet essai sont attendus au premier tri­
mestre 2020. S’ils étaient négatifs, il y aurait une
grosse remise en question dans la profession.

Une étude récente a mis en évidence des mar­
queurs sanguins de la maladie. Peut­on envisa­
ger un dépistage par une simple prise de sang?
Ces travaux ont montré que des marqueurs
sanguins peuvent prédire une pathologie amy­
loïde [la présence de plaques dans le cerveau]
presque aussi bien que l’imagerie cérébrale, mais
cela ne veut pas forcément dire qu’une maladie
d’Alzheimer va se déclarer. Actuellement, le
diagnostic repose sur des examens : tests neuro­
cognitifs, imagerie, marqueurs du liquide
céphalorachidien... Un test de dépistage sanguin
est un Graal, mais, aujourd’hui, on n’y est pas.
propos recueillis par
sandrine cabut

Le professeur
Philippe Amouyel
dans son laboratoire,
au CHU de Lille,
en 2016.
INSTITUT PASTEUR-LILLE

ZOOLOGIE


D


e tout temps, l’anguille électrique a
fasciné les scientifiques. Décrite
pour la première fois par Linné,
en 1766, popularisée par Humboldt, en 1805,
après son voyage en Amérique du Sud, elle
inspira Volta pour son invention, en 1800, de
la première pile, puis Faraday, dans son étude
de la nature de l’électricité (1830). Rien que ça!
Ce qui n’a pas empêché ces savants d’induire
le grand public en erreur : si l’anguille électri­
que est bien électrique, elle n’est pas une an­
guille. Seule son allure allongée peut prêter à
confusion. Pour le reste, elle s’apparente plu­
tôt au poisson­chat ou à la carpe.
Sa famille – la vraie – se nomme les gym­
notiformes : une tribu de quelque 250 espè­
ces, vivant dans les rivières sud­américaines
et capable de générer de l’électricité. Toutes
se contentent de produire des décharges de
quelques volts, qui leur permettent de
s’orienter ou de communiquer entre elles.
Toutes sauf une : Electrophora electricus.
Chez elle, les chocs de plusieurs centaines de
volts, créés par trois organes successifs, de­
viennent une arme redoutable capable de
repousser les prédateurs et d’immobiliser,
voire de tuer, les proies.
Seule dans son genre, donc. C’est du moins
ce que l’on pensait jusqu’ici. Dans une étude
publiée mardi 10 septembre, dans la revue
Nature Communications, une équipe interna­
tionale pilotée par le Musée Smithsonian, à
Washington, a annoncé que derrière l’an­
guille électrique se cachaient trois espèces dif­
férentes, distinctes anatomiquement, écolo­
giquement, mais surtout génétiquement.

Lancés, depuis cinq ans, dans un grand pro­
gramme de description des gymnotiformes,
les chercheurs américains et brésiliens ont
capturé 109 spécimens sur 49 localités du Bré­
sil, du Surinam, de Guyane et du Guyana. En
analysant leur génome, ils ont « découvert des
différences allant jusqu’à 6,5 % sur l’ADN mito­
chondrial, précise Carlos David de Santana,
chercheur associé au Smithsonian et signa­
taire de la publication. A partir de 2 %, comme
entre le chimpanzé et l’humain, on estime que
l’on dispose de deux espèces distinctes. »

Examens génétiques
En réexaminant les individus, les chercheurs
ont constaté de subtiles différences physi­
ques correspondant aux groupes dégagés par
les examens génétiques. L’organisation spa­
tiale des pores, sur le côté du corps, le nombre
de raies de la nageoire pectorale, et même la
forme de la tête, présentaient des variations
caractéristiques. Mieux, celles­ci recoupaient
les provenances des poissons. Ainsi E. electri­
cus, loin de peupler toutes les rivières du nord
de l’Amérique du Sud, se trouve en réalité
confinée aux eaux claires du plateau des
Guyanes. Sa nouvelle cousine, E. voltai, peuple
les rivières du bouclier brésilien, plus au sud.
Quant à E. varii, elle nage dans des eaux plus
turbides des profondeurs de l’Amazonie.
Les scientifiques ont enfin constaté une dif­
férence de puissance des décharges émises
entre les trois espèces. A ce jeu, la nouvelle
E. voltai s’est détachée du lot, avec des chocs
record de 860 volts (contre 650 volts pour
E. electricus et 570 volts pour E. varii). Pour les
scientifiques, cette performance s’explique
par la nature des eaux qu’elle traverse. Plus
claires, et donc moins conductrices, elles
imposent une tension supérieure pour obte­
nir un même résultat.
D’après les comparaisons génétiques, E. va­
rii aurait divergé il y a 7,1 millions d’années.
Quant à E. electricus et E. voltai, elles se se­
raient séparées il y a 3,6 millions d’années. Les
chercheurs entendent détailler les différents
systèmes électriques pour voir ce qui les diffé­
rencie. Mais aussi traquer d’autres nouvelles
espèces. « Si l’on peut encore découvrir un nou­
vel animal de 2,50 mètres de long après deux
cent cinquante ans d’exploration de cette
région, vous imaginez ce qu’il doit rester, inter­
roge Carlos de Santana, et ce que l’on pourrait
perdre si on ne la protégeait pas? »
nathaniel herzberg

L’anguille électrique, 


famille nombreuse


« E. voltai » vit en Amérique du Sud. LEANDRO SOUSA
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