Le Monde - 18.09.2019

(Ron) #1
0123
MERCREDI 18 SEPTEMBRE 2019 planète | 9

Une nouvelle cartographie des


zones les plus polluées de Paris


L’interface permet de suivre, rue par rue, l’évolution de la qualité de l’air


E


n pleine campagne pour
les municipales, certains,
au sein de son équipe, lui
avaient conseillé de ne
pas en rajouter sur le thème de la
pollution de l’air. Trop anxiogène.
Anne Hidalgo ne les a pas écoutés.
La maire de Paris doit présenter,
mardi 17 septembre, un nouvel
outil permettant aux Parisiens de
connaître de façon plus précise et
plus simple la qualité de l’air qu’ils
respirent au quotidien.
Il se présente sous la forme
d’une cartographie accessible par
l’intermédiaire du site de la Ville
de Paris (Paris.fr). Le Monde a pu
l’éprouver avant sa mise en ligne.
Les deux premières cartes sont
constituées à partir des données
collectées par Airparif, l’orga­
nisme chargé de la surveillance de
la qualité de l’air en Ile­de­France.
Elles permettent de connaître les
niveaux des différents polluants
réglementés : les particules fines
PM10 (de diamètre inférieur à
10 micromètres, μm) et PM2,
(inférieures à 2,5 μm), dioxyde
d’azote (NO 2 ) et l’ozone (O 3 ).
La première carte offre, en un
coup d’œil, une photographie en
temps quasi réel de l’état de la pol­
lution à travers un code couleur
très clair : vert (très faible), jaune
(moyen), rouge (très élevé). Les
données sont actualisées chaque
heure avec une précision de
12,5 mètres. L’interface permet de
zoomer au niveau de chaque rue
et de constater que les niveaux de
pollution oscillent d’un point à
un autre et virent au orange ou au
rouge lorsque l’on se rapproche
des grands axes routiers et en

particulier du périphérique. Les
utilisateurs peuvent cliquer direc­
tement sur la carte ou entrer une
adresse pour connaître à la fois
l’indice de pollution (référence
européenne échelonnée de 1 à
100) et les concentrations (en
microgrammes par mètre cube)
des quatre polluants.
La deuxième carte est un outil
de prévision. Elle donne accès à
l’indice de pollution (et au princi­
pal polluant concerné) estimé
pour le lendemain, arrondisse­
ment par arrondissement.

Microcapteurs embarqués
La troisième carte est à la fois plus
révolutionnaire et plus expéri­
mentale. La mairie précise sur
son site que les données sont « en
cours de validation scientifique ».
A la différence des deux premiè­
res, constituées à partir de la mo­
délisation des mesures effectuées
par les stations fixes d’Airparif, la
carte de l’« expérimentation Pol­
lutrack » a été créée à partir de
capteurs mobiles. Ces microcap­
teurs sont embarqués sur 400 vé­
hicules électriques (300 d’Enedis
et 100 du VTC Marcel appartenant
au groupe Renault) qui sillonnent
Paris quotidiennement, y com­
pris la nuit et le week­end.
A raison d’un comptage toutes
les secondes et de cinq mesures
moyennes transmises chaque
minute par véhicule, plus de
60 millions de données ont été
compilées en un peu plus de deux
ans. Elles concernent exclusive­
ment les PM2,5, les plus dange­
reuses pour la santé car elles pé­
nètrent plus profondément dans

l’organisme. Seules quelques sta­
tions fixes d’Airparif étaient capa­
bles de les mesurer jusque­là. Il en
résulte une carte constituée à
partir de la moyenne des don­
nées collectées les sept derniers
jours. Matérialisée par des carrés
de couleur (toujours du vert au
rouge en fonction de la concen­
tration) d’une précision de
100 mètres, la carte Pollutrack fait
apparaître des « hot spots ».
Le Monde a eu accès aux don­
nées compulsées depuis le début
de l’expérimentation Pollutrack.
Elles montrent que ces « hot
spots », outre le périphérique qui
constitue un foyer de pollution
permanent, correspondent à des
sources très localisées : ici une ave­
nue congestionnée (le boulevard
Magenta), là une gare où certains
TER fonctionnent encore au diesel
(gares de l’Est et du Nord). Mais
aussi les sorties de parkings sou­
terrains, les bouches d’aération du
métro ou du RER, les dépôts de bus
de la RATP (encore majoritaire­
ment diesel) ou des zones où sta­
tionnent les bus sans couper leur
moteur (Opéra, Saint­Lazare) ou
les cars de tourisme (Concorde).
Ces « hot spots » peuvent égale­
ment correspondre à des bâti­
ments dont le chauffage au fioul
est défectueux, à des incinéra­
teurs. Enfin, des « hot spots »
éphémères se forment aussi
au gré des chantiers (autour de la
place de la Bastille, en rénovation).
Autre découverte de cette expé­
rimentation, la prédominance de
ces « hot spots » rive droite, dans
le nord­est de Paris qui cumule

forte densité de population, zo­
nes importantes de chalandise,
deux gares et de nombreuses rues
à « effet canyon » qui empêchent
l’air de circuler.
Deuxième enseignement, outre
des sources de pollution locales,
une « pollution secondaire » se for­
merait à distance par recombinai­
son des gaz d’échappement et no­
tamment des oxydes d’azote émis
par les diesels (encore largement
majoritaires dans le parc pari­
sien), analyse Eric Poincelet, à l’ori­
gine du dispositif Pollutrack avec
sa société PlanetWatch24.
Pour la maire de Paris, la publi­
cation de ces cartes répond à « une
demande des citoyens, de plus en
plus exigeants d’information et
d’action de la part des pouvoirs pu­
blics » et à « un besoin de connais­
sance scientifique sur les particu­
les fines, les plus dangereuses en
termes de santé publique ».

Risque pour les usagers
De l’expérimentation Pollutrack,
elle retient surtout la mise en évi­
dence des « bouches du métro »
comme sources de pollution. « Au­
delà du trafic automobile, il y a
trois cents points dans Paris qui re­
jettent des particules fines à des ni­
veaux de danger exceptionnels. Ce
sont les bouches d’aération du mé­
tro. Et jusqu’ici, on ne les avait pas
identifiés », explique au Monde
Anne Hidalgo. L’élue socialiste
promet de « saisir la direction de la
RATP et le ministère de la transition
écologique pour mettre en place un
plan de résorption ». En attendant,
elle recommande aux parents de
« ne pas laisser les enfants jouer au­
dessus de ces grilles ».
Une étude du CNRS avec l’asso­
ciation Respire qui doit être pu­
bliée mercredi rappelle que les
niveaux de particules fines peu­
vent en effet être élevés dans le
métro (et dans le RER) et qu’ils
font courir un risque aux usagers
et aux travailleurs. Aussi, l’ONG
réclame la mise en place d’un sys­
tème de surveillance de la pollu­
tion dans les stations et les trains,
ou le déploiement rapide de sys­
tèmes de dépollution dans les
gares ou sur les rames.
stéphane mandard

« Trois cents
bouches de
métro rejettent
des particules
fines à des
niveaux
de danger
exceptionnels »
ANNE HIDALGO
maire de Paris

Bois
de Vincennes

Bois
de Vincennes

Bois
de Boulogne

Bois
de Boulogne

19 e

20 e

12 e

13 e

14 e

15 e

16 e

17 e
18 e

8 e

7 e

6 e
5 e

11 e

9 e 10 e

2 e

1 er

P ARIS


HAUTS-
DE-SEINE VAL-
DE-MARNE

SEINE-
SAINT-DENIS

3 e

4 e
Notre-DameNotre-Dame

Tour EiffelTour Eiffel

Gare
Saint-Lazare

Gare
Saint-Lazare

Arc
de triomphe

Arc
de triomphe

Gare
Montparnasse

Gare
Montparnasse

Gare
du Nord

Gare
du Nord

Gare de l’EstGare de l’Est

Place d’ItaliePlace d’Italie

Cimetière
du Père-Lachaise

Cimetière
du Père-Lachaise

Centre PompidouCentre PompidouCentre Pompidou

Gare
de Lyon

Gare
de Lyon

La Seine

1 km

* d’après les relevés mobiles
Pollutrack, sur base horaire,

et le 21 mars 2019
Source : Ville de Paris
Infographie Le Monde

En
permanence

La moitié
du temps

Le nord-est le plus touché
Lieux où la concentration en particules fines
(PM2,5) était supérieure à la moyenne de la ville,
plus de la moitié du temps*
lors de l’hiver 2018-

Les particules ultrafines surveillées


Une station de nouvelle génération capable de compter les parti-
cules ultrafines (PUF), inférieures à 100 nanomètres de diamètre,
doit être installée à Paris. Plusieurs sites sont encore à l’étude
dont le parc des Halles qui, selon Airparif, l’organisme de sur-
veillance de la qualité de l’air en Ile-de-France, pourrait consti-
tuer un bon emplacement pour caractériser la pollution particu-
laire en condition de vie urbaine. Le financement, de 80 000 à
90 000 euros, est assuré par la région. Airparif souhaite installer
d’autres stations en 2020. A la différence des particules fines
PM10 (inférieures à 10 micromètres [μm]) et PM2,5 (inférieures
à 2,5 μm), les PUF ne sont pas réglementées et ne font donc
pas l’objet d’un suivi obligatoire, malgré leur dangerosité.

Les experts français


du climat aggravent leurs


projections pour 2100


Un vaste exercice de simulation doit servir
de référence au prochain rapport du GIEC

L


es canicules à répétition, re­
cords de température et
autres vagues de sécheresse
qui déferlent sur la planète ne
sont qu’un triste avant­goût de ce
qui attend l’humanité. Si rien n’est
fait pour limiter les émissions de
gaz à effet de serre, le réchauffe­
ment climatique pourrait attein­
dre 7 °C d’ici à la fin du siècle, en­
traînant des conséquences désas­
treuses pour les espèces et les éco­
systèmes. Ces résultats, qui
aggravent les précédentes projec­
tions, sont publiés, mardi 17 sep­
tembre, par les plus grands labora­
toires français de climatologie, en­
gagés dans un vaste exercice de si­
mulation du climat passé et futur.
Dans le cadre du programme
mondial de recherche sur le cli­
mat, une vingtaine de centres
américains, européens, chinois ou
encore japonais ont réalisé, ces
dernières années, des centaines de
modélisations pour mieux com­
prendre les changements climati­
ques mais aussi pour tester la fia­
bilité de leurs modèles en les com­
parant aux observations et à
d’autres modèles.
En France, la tâche colossale a
impliqué une centaine de cher­
cheurs et d’ingénieurs qui ont si­
mulé plus de 80 000 ans d’évolu­
tion du climat, en utilisant des su­
percalculateurs pendant une an­
née, nécessitant 500 millions
d’heures de calcul et générant 20
pétaoctets (20 millions de mil­
liards d’octets) de données. Leurs
conclusions serviront de réfé­
rence au sixième rapport d’éva­
luation du Groupe d’experts in­
tergouvernemental sur l’évolu­
tion du climat (GIEC), dont le pre­
mier volet sortira en 2021.
Les deux modèles que les Fran­
çais ont développés prédisent une
augmentation continue de la tem­
pérature moyenne du globe au
moins jusqu’en 2040, pour attein­
dre environ 2 °C, quelle que soit
l’évolution des émissions de gaz à
effet de serre – en raison de l’iner­
tie du système climatique. En­
suite, tout dépendra des politiques
mises en œuvre dès maintenant
par les Etats pour limiter ou non
les rejets carbonés. Dans le pire des
scénarios, celui d’une croissance
économique rapide alimentée par
des énergies fossiles, le thermo­
mètre grimpera en moyenne de
6,5 °C à 7 °C en 2100, soit un degré
de plus que ce que prévoyaient les
précédents modèles, en 2012.
« Nos nouveaux modèles ont
beaucoup progressé et reprodui­
sent mieux le climat observé. Ils si­
mulent plus de réchauffement en
réponse au CO 2 que l’ancienne gé­
nération, explique Olivier Bou­
cher, directeur adjoint (CNRS) de
l’Institut Pierre­Simon­Laplace.
L’une des raisons est une rétroac­
tion plus forte due à la vapeur
d’eau : un monde plus chaud est
aussi un monde plus humide ; or la
vapeur d’eau est un gaz à effet de
serre qui amplifie le réchauffe­
ment climatique. »
« C’est un réchauffement
énorme et surtout très rapide, sur
une centaine d’années », précise
Pascale Braconnot, spécialiste de
la modélisation du climat au La­
boratoire des sciences du climat
et de l’environnement. « Pendant
la dernière déglaciation, qui
s’était déroulée sur 10 000 ans, la
température avait augmenté d’en­
viron 3­4 °C à l’échelle globale »,
rappelle­t­elle.

Un seul des huit scénarios exa­
minés par les scientifiques permet
tout juste de respecter l’accord de
Paris adopté en 2015, qui prévoit
de limiter le réchauffement « bien
en deçà de 2 °C » et « si possible à
1,5 °C ». Suivre cette trajectoire im­
plique des efforts drastiques, afin
de diminuer immédiatement les
émissions de CO 2 jusqu’à attein­
dre la neutralité carbone à l’échelle
de la planète vers 2060. La tempé­
rature dépasserait alors la barre
des 2 °C, avant de se rapprocher
des 1,5 °C vers la fin du siècle, grâce
à une captation de CO 2 atmosphé­
rique de l’ordre de 10 à 15 milliards
de tonnes par an en 2100 – mais
dont la faisabilité à une telle
échelle reste très incertaine.
Cet emballement global des
températures cache des disparités
régionales. A la fin du siècle, le ré­
chauffement sera particulière­
ment marqué sur les hautes latitu­
des de l’hémisphère nord, notam­
ment en Arctique. En France et en
Europe de l’Ouest, l’augmentation
de la fréquence et de l’intensité
des vagues de chaleur, déjà à
l’œuvre, va se poursuivre au
moins dans les deux prochaines
décennies, quelle que soit la trajec­
toire des émissions. Après 2050,
dans les scénarios les plus émet­
teurs, l’été 2003 – dont la canicule
avait tué plus de 70 000 person­
nes en Europe – sera la norme.

Disparition de la banquise en été
Les deux modèles prédisent éga­
lement une disparition complète
de la banquise en fin d’été, dès
2080, en cas d’émissions élevées
de gaz à effet de serre. Mais, même
dans le cas de rejets limités, l’un
des modèles simule une quasi­
disparition des glaces marines es­
tivales, tandis que l’autre montre
un très faible englacement.
Côté précipitations, elles aug­
menteront dans les zones déjà hu­
mides, notamment une grande
partie du Pacifique tropical, sur les
mers australes et dans de nom­
breuses régions des moyennes à
hautes latitudes de l’hémisphère
nord. A l’inverse, le pourtour mé­
diterranéen s’asséchera, à l’image
de nombreuses zones semi­arides.
« Ces nouveaux modèles, même
s’ils ont un maillage qui a été affiné


  • de l’ordre de 100 ou 150 km –, ne
    peuvent pas représenter des phé­
    nomènes plus fins comme des cy­
    clones, remarque Pascale Bracon­
    not. Mais ils ont servi de base à une
    modélisation à une haute résolu­
    tion de 12 km que Météo­France a
    réalisée sur l’Europe et l’océan In­
    dien. » La régionalisation des mo­
    dèles permet de voir apparaître de
    nouveaux phénomènes. Comme
    les conséquences des politiques
    de lutte contre la pollution de l’air
    mises en place par la Chine : elles
    limitent la quantité d’aérosols
    présents dans l’atmosphère – qui
    ont un pouvoir refroidissant –, et
    par là peuvent paradoxalement
    aggraver le réchauffement.
    Toutes ces données climatiques,
    en libre accès, devront mainte­
    nant être revues, analysées et
    croisées afin d’affiner encore la
    compréhension des modèles et
    des incertitudes. Même si l’on en
    sait assez pour limiter les émis­
    sions et ce, depuis longtemps.
    audrey garric


Si rien n’est fait
pour limiter les
émissions de gaz
à effet de serre,
le thermomètre
grimpera de
6,5 °C à 7 °C
en 2100

Après 2050,
dans certains
scénarios, l’été
2003
sera la norme
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