Le Monde - 08.09.2019

(Ron) #1
0123
DIMANCHE 8 ­ LUNDI 9 SEPTEMBRE 2019 économie & entreprise| 13

Volkswagen,


une métamorphose


électrique


Le premier constructeur automobile mondial sera la vedette


du Salon de Francfort, déserté par ses grands rivaux.


L’occasion pour le groupe aux douze marques de montrer


toutes les transformations opérées depuis le « dieselgate »


wolfsburg (allemagne)

D


ans la nuit du
lundi 9 au mardi
10 septembre,
une équipe de
techniciens pro­
cédera au rem­
placement de l’immense logo VW
qui s’élève au­dessus du siège
d’une quinzaine d’étages et do­
mine, tel un grand œil bleu,
l’usine Volkswagen de Wolfs­
bourg, dans le nord de l’Allema­
gne. Au même moment, 370 kilo­
mètres plus au sud, à Francfort,
lors de la traditionnelle soirée du
groupe qui précède chaque
ouverture des grands salons auto­
mobiles, le logo redessiné de la cé­
lèbre marque automobile sera ré­
vélé aux dizaines d’invités. Plus
simple, plus direct – plus modeste
aussi –, le nouveau cercle frappé
des initiales de la voiture du peu­
ple sera comme un point final
mis à quatre années d’une in­
croyable transformation. Le sym­
bole discret de la mue profonde
d’une marque et d’un groupe.
Car, entre le Salon automobile
de Francfort de 2015 et son édition
2019, qui ouvre ses portes aux
professionnels et à la presse
mardi 10 septembre, VW s’est pro­
fondément transformée. « C’est
un changement à 180 degrés qu’a
opéré Volkswagen », résume Ferdi­
nand Dudenhöffer, directeur du
Centre de recherche sur l’automo­
bile de l’université de Duisburg.
Il y a eu, bien sûr, entre­temps,
l’onde de choc du « dieselgate »,
qui éclata en plein Salon de Franc­
fort, précisément le 18 septem­
bre 2015. Le monde apprenait
alors, médusé, que le groupe Volk­
swagen, sous le coup d’une en­
quête aux Etats­Unis, avait utilisé
un logiciel truqueur installé sur
11 millions de véhicules pour faire
passer ses voitures diesel plus pro­
pres qu’elles ne l’étaient en réalité.

L’ID3, CLOU DU SPECTACLE
Ironie de l’histoire, le perturba­
teur d’il y a quatre ans devient la
vedette de 2019 et le rendez­vous
de Francfort, cette année, sera un
peu la grand­messe Volkswagen.
En perte de vitesse, comme ses
homologues de Paris, Genève ou
Detroit, le Salon de Francfort est
boudé cette année par bon nom­
bre de constructeurs et en parti­
culier les rivaux mondiaux de VW
que sont Toyota, Renault­Nissan­
Mitsubishi et General Motors.
Tous les regards seront donc
tournés vers le géant allemand,
numéro un mondial de l’auto,
avec ses douze marques, ses
600 000 employés et ses
10,8 millions de véhicules vendus
dans le monde en 2018. Le vrai
clou du spectacle – et le signe le
plus tangible du changement –
sera la révélation de l’ID3, la nou­
velle Volkswagen électrique des­
tinée au grand public. Une voi­
ture qui, dans l’esprit des diri­
geants de la marque et du groupe,
doit être un futur best­seller, des­
cendant en droite ligne de ses glo­
rieuses ancêtres : la Coccinelle de
1938 et la Golf de 1974.
Cette ID3, qui sera commerciali­
sée au printemps 2020, est un
événement en soi. Elle est la pre­
mière automobile produite sur la
plate­forme industrielle du
groupe dévolue à l’électrique, dite
MEB (Modular Elektro Baukas­
ten), conçue pour faire passer

Volkswagen de l’époque du diesel
de masse à l’ère de l’électrique
pour tous. Grâce aux synergies in­
dustrielles, l’ID3 pourra être ven­
due à un prix sensiblement com­
parable à celui d’une Golf classi­
que, soit environ 30 000 euros.
Au­delà des symboles (on
pourra aussi voir à Francfort la
toute première Porsche sans mo­
teur thermique !), les chiffres de
l’ambition électrique de Volkswa­
gen donnent le tournis. Trente
nouveaux modèles des quatre
marques les plus diffusées du
groupe de Wolfsburg (VW, Audi,
Skoda, Seat) seront lancés sur la
fameuse plate­forme MEB au
cours des trois prochaines an­
nées. Au total, 70 nouveaux véhi­
cules électriques verront le jour
avant 2030, Volkswagen espé­
rant avoir vendu 22 millions de
voitures à batterie à cet horizon.
Quant aux investissements, ils
sont en proportion : 30 milliards
d’euros d’ici à 2023.
Comment a pu se produire un
tel virage stratégique? Il a fallu,
évidemment, l’électrochoc du
« dieselgate » pour que ce groupe
tentaculaire, fermé, hypercentra­
lisé, pétri de certitudes, accom­
plisse cette métamorphose. Avant
l’automne 2015, Martin Winte­
rkorn, alors PDG, ne cachait pas
son aversion pour tout ce qui était
mû par un moteur électrique. On
trouvait bien deux véhicules à
batterie au catalogue, l’e­Golf et la

petite e­Up !, mais ces modèles
étaient loin d’être prioritaires.
« Je suis venu à Wolfsburg parler
véhicule électrique quelques mois
avant que le scandale du “diesel­
gate” n’éclate, se souvient un
fournisseur français. J’étais mo­
tivé, parce que le responsable qui
me recevait venait d’accorder une
belle interview sur l’e­Golf dans la
presse française. La première
chose qu’il me dit en m’accueillant,
c’est : “L’électrique, ça ne marchera
jamais !” » A l’époque, les diri­
geants de Volkswagen ont une
idée fixe : développer le diesel, en
particulier aux Etats­Unis, où,
contrairement à ce qui se passe en
Europe au même moment, les
moteurs à essence restent surdo­
minants. Ils ont alors la convic­
tion que leur stratégie est la
meilleure et la seule possible.
Et puis vint le coup de tonnerre
de septembre 2015. « Nous avons
tous réalisé que ce qui était en
train de se produire était plus
qu’un tremblement de terre », se
rappelle Ralf Brandstätter, nu­
méro deux actuel de la marque
Volkswagen. « Fin 2015, c’était pa­
nique à bord, confirme notre four­
nisseur français. Les dirigeants
qui se confiaient à moi n’étaient
pas sûrs que l’entreprise serait tou­
jours là dans cinq ans. »
Lors d’une réunion des princi­
paux cadres, dans une taverne de
Wolfsburg, en octobre 2015, puis,
un mois plus tard, au cours d’un

séminaire stratégique sur l’île
grecque de Rhodes, des décisions
majeures sont prises, non sans
d’intenses discussions. Première
résolution : il faut une version
électrique de la plate­forme MQB,
sur laquelle le groupe produit ses
véhicules les plus vendus, et qui
fait la force de frappe industrielle
de la firme. Ce sera la MEB, dont
l’architecture est entérinée dès
octobre.

UN NOUVEL HOMME FORT
La crise est aussi l’occasion pour
tous les manageurs de faire face à
une réalité : la rentabilité de la
marque VW est dangereusement
faible. Le taux de marge 2015­
est inférieur à 2 %, quand les ri­
vaux font tous plus de 5 %. Un
plan sévère de restauration de la
performance économique est
donc mis sur pied, après d’inten­
ses négociations avec le syndicat
IG Metall, cogestionnaire de l’en­
treprise. Il implique, en particu­
lier, la suppression de plus de
20 000 emplois, par non­rempla­
cement des départs à la retraite
(soit 10 % des effectifs de la mar­
que Volkswagen).
Entre­temps, l’ouragan « diesel­
gate » a emporté avec lui deux pa­
trons du groupe : Martin Winter­
korn, balayé dès la fin septem­
bre 2015, puis Matthias Müller,
sorti, lui, en avril 2018. Et puis il y a
la facture du scandale : 30 mil­
liards d’euros au bas mot.

Le nouvel homme fort du
groupe, c’est Herbert Diess. Pa­
tron de la marque Volkswagen,
lorsqu’il a remplacé M. Müller à la
tête de la firme (tout en restant
président de la marque), M. Diess
n’est pas un « VW boy ». Arrivé de
BMW quelques semaines seule­
ment avant le scandale, il a insuf­
flé une nouvelle culture, plus
ouverte et plus détendue, dans le
fonctionnement du groupe. Il a,
par exemple, renforcé les parte­
nariats extérieurs (avec Ford en
particulier), ce qui n’était pas dans
les habitudes avant lui. On l’a
même vu, en juin, accepter l’invi­
tation de Markus Lanz, animateur
star de l’un des talk­shows de la
ZDF, et admettre que Volkswagen
avait triché. Une scène inimagi­
nable quatre ans auparavant.
Mais le patron a encore du pain
sur la planche : la baisse de la con­

joncture automobile mondiale,
en particulier en Chine, où le
groupe réalise 40 % de ses ventes,
complique la donne. Le premier
constructeur mondial a eu aussi
toutes les peines du monde, l’an
passé, à se mettre en conformité
avec les nouvelles normes antipol­
lution européennes, dites WLTP. Et
la menace d’énormes amendes
pour non­respect des objectifs
européens de CO 2 risque d’ampu­
ter encore la rentabilité du groupe.
A Wolfsburg, en cette fin d’été,
l’atmosphère n’est pourtant pas
tellement à l’inquiétude. Ici, dans
cette bourgade de Basse­Saxe où
l’aventure VW a commencé, c’est
surtout le sentiment que la pros­
périté automobile va perdurer.
Ici, la ville vit, respire et même
mange Volkswagen. Littérale­
ment : dans l’immense usine – la
plus grande d’Europe –, qui a sorti
les premiers prototypes de la
« voiture du peuple » conçue
en 1938 par Ferdinand Porsche,
on continue à faire fabriquer par
des ouvriers maison les tradi­
tionnelles saucisses au curry qui
nourrissent les 50 000 salariés du
cru. A quelques centaines de mè­
tres, l’Autostadt, sorte de parc de
loisirs du groupe, est une des at­
tractions touristiques de la ré­
gion et, par là même, un gros em­
ployeur local.
Quant au site historique – qui
porte encore les stigmates des
bombardements alliés de la se­
conde guerre mondiale –, il
tourne certes un peu au ralenti,
mais c’est parce qu’on réalise les
travaux pour le lancement de la
production de la nouvelle Golf 8.
Pourtant, les ouvriers de Wolfs­
burg auraient de quoi être un peu
préoccupés. Ils devraient, en effet,
passer à côté de la révolution élec­
trique. L’ID3 sera assemblée à
Zwickau, au sud de Leipzig, en ex­
Allemagne de l’Est, et non ici,
dans l’usine mère de VW.
« Même si les syndicats restent
très influents en Allemagne, les dé­
cisions de Volkswagen seront
peut­être encore socialement lour­
des de conséquences, estime
M. Dudenhöffer. Mais le risque
aurait été encore plus grand de ne
pas les prendre, y compris pour les
salariés. Je crois qu’on peut dire
que, au bout du compte, le “diesel­
gate” aura été davantage une
chance qu’une calamité pour
Volkswagen. Une façon un peu
brutale de lui montrer clairement
le chemin de l’avenir. »
éric béziat

Dans l’esprit
des dirigeants,
l’ID3 doit être
la descendante
de ses glorieuses
ancêtres :
la Coccinelle
de 1938
et la Golf de 1974

A Wolfsburg,
bourgade
de Basse-Saxe
où l’aventure
a débuté, domine
le sentiment
que la prospérité
automobile
va perdurer

PLEIN  CADRE


Des employés de Volkswagen travaillent sur une maquette de la nouvelle ID3, un modèle électrique, à Wolfsburg, le 5 juillet. BLOOMBERG/BLOOMBERG VIA GETTY IMAGES
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