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DIMANCHE 8 LUNDI 9 SEPTEMBRE 2019 culture| 15
Mathilde Monnier offre une relecture
pleine de fougue du « Bal »
« El Baile », inspiré par le spectacle de JeanClaude Penchenat, ose tout au Théâtre du RondPoint
DANSE
C
ela ne ressemble pas
vraiment à un bal à l’an
cienne. Encore moins à
une fiesta endiablée qui
fait grimper sur la table. Pas plus
à une carte postale de Buenos
Aires, où le spectacle a été conçu
en 2017. El Baile, imaginé par la
chorégraphe Mathilde Monnier
avec l’écrivain argentin Alan
Pauls, se pose en terrain plus in
certain, plus morcelé, proche de
la réalité chahutée de ses onze in
terprètes argentins.
Le spectacle, à l’affiche jusqu’au
15 septembre du Théâtre du
RondPoint, à Paris, est une
étrange aventure. Il se faufile
dans les traces de la fameuse pro
duction Le Bal, créée en 1981 par
le metteur en scène JeanClaude
Penchenat et la compagnie du
Théâtre du Campagnol, qui
donna lieu au film d’Ettore Scola
en 1983. C’est la première fois que
Penchenat donne les droits pour
une nouvelle version. Parmi ses
sources d’inspiration, il évoquait
le chefd’œuvre de Pina Bausch,
Kontakthof (1978), dont on sent
aussi la présence fantomatique
planer sur El Baile. Contact frontal
avec le public, jeu de chaises em
blématique d’une salle de bal
comme de l’esthétique de la cho
régraphe allemande.
Patchwork de gestes
Le plateau d’El Baile est cerné par
une bordure de sièges noirs. Cet
espace, comme un ring, va con
centrer le pingpong d’éclats, de
bribes, de numéros que balancent
les interprètes assis face à face.
Chansons populaires a cappella,
joutes hiphop, similiduo, siffle
ments, cris, rap et rock. Les diago
nales de danses se croisent. Styles
urbains mais aussi traditionnels
comme le malambo, la chacarera,
le chamamé ou la samba argen
tine. Le tango aussi irrigue El Baile
et s’offre ici une relecture collec
tive dans une très jolie chenille.
Le charme de ce spectacle tient
pour beaucoup à celui de ses in
terprètes. En baskets ou talons
tango, jogging et short, ils accro
chent les spectateurs les yeux
dans les yeux et avec le sourire, se
jettent avec fougue et grâce dans
ce patchwork de gestes et de sen
sations. Ils osent tout faire : dan
ser, chanter, jouer de la guitare
dans un même flux généreux.
L’atmosphère de Buenos Aires,
son tremblement, sa gamme
d’intensités, sa violence, se reflè
tent dans cette soirée hétéroclite
tenue ferme par les danseurs. Si
le temps prend parfois un peu
trop son temps en étirant certai
nes scènes, les musiques, de No
Soy un Extraño de Charly Garcia
au tango d’Osvaldo Pugliese, en
passant par des cumbias dont
Kumbia Queers, se chargent de
fouetter El Baile.
C’est la première fois que
Mathilde Monnier est à l’affiche
du Théâtre du RondPoint, qui
choisit la danse avec force pour
cette rentrée. JeanClaude Gallotta,
autre figure de premier plan de la
scène chorégraphique, artisteas
socié du lieu depuis 2015, y est
aussi invité pour la cinquième fois
avec L’Homme à tête de chou
(2009), hommage à Serge Gains
bourg et Alain Bashung. Dans la li
brairie, une quinzaine de photos
de spectacles chorégraphiques si
gnées Benoîte Fanton sont expo
sées jusqu’au 30 septembre.
rosita boisseau
El Baile, de Mathilde Monnier et
Alan Pauls. Jusqu’au 15 septembre.
L’Homme à tête de chou,
de JeanClaude Gallotta.
Du 17 au 29 septembre.
Au Théâtre du RondPoint, Paris.
Le rappeur Nemir
sur sa bonne voix
Le chanteur, accompagnateur de Nekfeu
et du collectif L’Entourage sur leurs tubes,
publie son premier album. Une réussite
MUSIQUE
C
ela fait six ans que Nemir
fait patienter son monde.
Le chanteur de Perpignan
a d’abord publié des duos avec les
rappeurs du collectif L’Entourage,
auquel appartient Nekfeu.
En 2013, il rappe aux côtés de
Deen Burbigo sur le titre Ailleurs.
Les critiques sont unanimes et lui
promettent un avenir dans le rap.
Lui est persuadé de sortir « un al
bum dans la foulée », mais seuls
des duos suivront, dont Mon
Crew avec S. Pri Noir, ou Princesse
et Elle pleut avec Nekfeu où – sur
prise – il chante, apportant beau
coup de tendresse à des mor
ceaux tout en technique.
Depuis le 6 septembre, on peut
enfin entendre sa voix feutrée sur
tout un disque. Attablé à la ter
rasse d’un café parisien, Nemir
porte la barbe naissante, les che
veux blonds et longs. « Je me con
naissais mal, reconnaîtil pour ex
pliquer ce retard. Je ne me savais
pas si compliqué, si exigeant, si fei
gnant aussi. Je me suis découvert
très peureux d’affronter la critique
des autres. » Pendant six ans, Ne
mir s’est enfermé avec son com
positeur Enzo et son pote rappeur
Gros Mo, effaçant ce qu’il avait en
registré la veille, passant d’une
obsession à l’autre, perfection
nant sa voix « en l’abîmant ».
Le résultat est là : un album tout
en finesse où le chant fragile et
émouvant s’essaie sur une gui
tare gitane, une rumba, du jazz.
Comme pour mieux se protéger,
Nemir s’est entouré des copains
de ses débuts : Alpha Wann pour
le jovial Sur ma vie, S. Pri Noir
pour Rock N’Roll, Nekfeu sur le
très funk DPLT (Depuis le temps).
« Quand je suis arrivé à Paris
en 2011, se souvientil, ce sont les
premières personnes que j’ai ren
contrées. On se croisait sur les scè
nes en freestyle. Ils débarquaient
en équipe, personne n’avait encore
de carrière. Ils rappaient bien
aussi, moi aussi. Inviter L’Entou
rage sur mon album, c’est la re
connaissance de toute une pé
riode de ma vie. »
Nemir, qui a choisi son nom de
famille comme pseudonyme
d’artiste et comme titre de son
premier album, a grandi dans le
quartier SaintJacques, à Perpi
gnan, entre la communauté gi
tane, dont il parle la langue et ses
parents algérien et marocain.
Enfant unique, il se rappelle
avoir toujours apprécié de mon
ter sur scène : « J’aime être au
centre de tout. Je crois que je
pourrais me passer de rap mais
pas d’être sur scène. »
Dans sa famille marocaine, ori
ginaire de Meknès, on joue de la
musique pour toutes les occa
sions : retour au pays, circonci
sion, mariage... Les cousins, l’on
cle, batteur, jouent dans des
groupes gnawa qui passent à la
télé. Sa mère chante avec ses
sœurs et cultive une passion se
crète pour la chanteuse algé
rienne Cheikha Rimitti : « Elle
faisait des réunions avec ses copi
nes à la maison. Elles attendaient
que les maris partent et elles re
gardaient les cassettes vidéo de
Rimitti. Elles avaient une certaine
excitation à regarder ça entre el
les, et j’ai grandi dans l’intimité
de cet univers féminin. »
Phrasé percutant
A l’adolescence, il a déjà un joli
timbre mais se refuse à chanter :
« A 12 ans, j’étais gêné d’entendre
ma voix. Je m’étais construit de fa
çon très virile. Dans mon quartier,
on rappait un point c’est tout, et
j’adorais ça. Mes premiers excès de
confiance sont venus grâce au
rap. » De ces années, il reste un
phrasé percutant.
Aujourd’hui, Nemir, qui a
écouté avec obsession du rap
français puis la neo soul améri
caine de D’Angelo et Musiq Soul
child, est surtout fier d’avoir
réussi à se débarrasser de ses pu
deurs d’adolescent : « Accepter
ma voix, sa résonance, cela a été
une révolution. Quand on rappe,
c’est la résonance des mots qui est
importante, mais ma voix trans
met parfois plus d’émotions que ce
que je dis, que ce je peux racon
ter. » C’est avec cette émotion
qu’il parle de son quartier, de ses
errances dans le milieu de la nuit,
des longues disputes avec sa pe
tite amie pour mieux se retrou
ver. Nemir aura su se faire désirer,
mais pour la bonne cause.
stéphanie binet
Nemir, Capitol/Universal.
Le 20 septembre à La Machine
du Moulin Rouge, à Paris, dans le
cadre du Red Bull Music Festival.
G A L E R I E
M AT H I L D E D E N I Z E
Galerie Pauline Pavec
Rare plaisir : la première exposition
dans une jeune galerie parisienne
d’une jeune artiste qui n’en fait
qu’à sa tête. Mathilde Denize, née
en 1986, pratique simultanément
la peinture, la performance et la
sculpture en céramique émaillée.
En modelant puis en peignant les
volumes au fil de la cuisson, elle
obtient des formes où l’on peut
reconnaître, selon les cas, une
vertèbre de mammouth, un crâne
d’alien, une cervelle d’être
inconnu, le profil d’un homme
poisson et celui d’un homme
batracien ou des autels pour des
cultes peutêtre préhistoriques.
Les couleurs font plus que
rehausser les formes : elles les font
bouger, vibrer, vivre. A qui comparer? A personne. Chaque
pièce est une expérience nouvelle qui attire dans une
direction différente. Aussi Denize montretelle encore deux
pièces murales nommées Contours, qui sont des justaucorps
féminins fabriqués avec des fragments de ses toiles
découpées et un tissu métallisé qui brille. Ils suggèrent
évidemment un corps jeune et sexy conforme aux canons de
la mode. Sous leur air charmeur, ils symbolisent froidement
la condition de la femme artiste telle que la société du
spectacle s’obstine à la vouloir : artiste certes, mais
séduisante, forcément séduisante. philippe dagen
« Blue Print », galerie Pauline Pavec, 45, rue Meslay, Paris 3e.
Du mercredi au samedi de 14 heures à 19 heures.
Jusqu’au 28 septembre. Paulinepavec.com
« Contours », de
Mathilde Denize. COURTESY
GALERIE PAULINE PAVEC/ERWAN FICHOU
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