Le Monde - 08.09.2019

(Ron) #1
D I M A N C H E 8 - L U N D I 9 S E P T E M B R E 2 0 1 9

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S’AIMER COMME ON SE QUITTE


Le Dernier Tango à Paris a vécu : en 2019,


plus question d’infliger des scènes


de sexe surprise à des actrices de 19 ans.


Ni d’ailleurs à des acteurs de 29, 59, 99 ans.


#metoo a révolutionné les coulisses,


adieu l’artiste-tyran! Et bienvenue aux
coordinatrices d’intimité, chargées
de sécuriser la mascarade sexuelle sur
des plateaux de tournage, ou de théâtre,
aux contenus de plus en plus explicites.
Au risque de liquider nos dernières illusions,
le cochon dans l’art est désormais
chorégraphié chez HBO (depuis 2018) et
Netflix (depuis cette année). Les contrats
sont examinés à la loupe, l’alchimie entre
protagonistes est répétée, on discute
jusqu’au nombre de va-et-vient nécessaires
à la crédibilité d’un missionnaire. Et pas

question que les acteurs se touchent
« pour de vrai »! Même quand ils sont nus
comme des vers.
Pour tourner une scène torride, on
recouvrira ainsi leurs parties génitales.
Le slip invisible pour hommes s’appelle
le hibue – pour les femmes, on dit shibue.
Cette seconde peau sans lanières, lavable,
adhérant directement au corps, se décline
en trois couleurs de peau, pour la modique
somme de 21 euros. Pratique pour les
modèles de nu, strip-teaseurs, ou adeptes
de pantalons extra-super-slim.

Les acteurs et actrices portent aussi,
le cas échéant, des genouillères,
faux pénis, cache-tétons, protections
génitales... et contre l’effet poupée Barbie,
des merkins, perruques pubiennes aux
faux poils foisonnants (existe aussi pour les
aisselles). Le corps est ainsi dévoilé, revoilé,
réinventé. On peut trouver ces artifices
ridicules : ils s’appuient pourtant sur les
fondements de notre érotisme.

L E S M O T S D U S E X E

Hibue


Par Maïa Mazaurette

« Je ne me vois pas sortir


avec un Blanc riche »


Deux jours dans la vie des amoureux. Le premier parce que tout s’y joue, le dernier
parce que tout s’y perd. Lorraine de Foucher a recueilli ces moments-clés. A chacun
de deviner ce qui s’est passé entre-temps. Cette semaine, Alice, 42 ans, témoigne

Je suis dans la tourmente. Je viens d’être virée du cabinet pour le­
quel je travaille. C’est ma première expérience professionnelle, je
m’y suis trop investie. J’ai eu une enfance difficile, je suis en re­
cherche de famille. Je crois que mes collègues sont un peu ma fa­
mille, et que j’ai tout perdu. Je suis triste et malheureuse, je réagis
physiquement à l’événement : je perds du poids et mes cheveux.
Je dois chercher un nouveau boulot, j’achète mon premier ordinateur
d’occasion, dont l’immense écran a la taille d’une télé, le clavier à part,
et la grande tour. Il est planté dans mon studio.
C’est samedi soir, je ne sors pas, je me connecte à Internet, j’ar­
rive sur la page d’accueil de Wanadoo. Il y a la boîte mail, la météo,
mais aussi l’accès à un chat. Une sorte de grande salle de discussion
dans laquelle tout le monde peut poster quelque chose, ou sinon on
peut correspondre directement avec un inconnu. Il y en a un, « bulle
de savon », qui attire mon attention. On s’écrit tout de suite beau­
coup, toute la soirée, puis tard dans la nuit. C’est plus facile de
raconter sa vie à quelqu’un qu’on n’a jamais vu. Je ne me rappelle plus
ce qu’on s’écrit exactement, mais je sens qu’il accède à ma sensibilité,
qu’il comprend ce que je ressens. Je ne parle jamais aux gens du fond,
de ce que je suis, je ne suis pas habituée à la bienveillance. A 4 heures
du matin, je suis fatiguée, je veux aller me coucher, je lui propose
qu’on se retrouve le lendemain dans l’après­midi.
Rendez­vous est pris devant un café chic, mais je n’y vais pas
pour lui plaire, je suis simplement curieuse. J’ai mis une casquette
de base­ball pour cacher mes cheveux que je perds, le jogging trop
grand de mon cousin qui fait 1,80 mètre. Je ne suis pas jolie, laide
même. Sur le trottoir, je le vois, et je le trouve étranger à moi, je
pense : « Qu’est­ce qu’il est blanc » ; je suis noire. J’ai grandi à Sarcel­
les, dans le Val­d’Oise, l’une des dix villes les plus pauvres de France,
où il y avait un grand mélange racial. Je ne voyais pas les gens blancs
comme couleur, mais comme symbole de la réussite. Il est blanc
comme à la télévision – avec sa mèche, il me fait penser à James
Dean, un peu comme Dylan dans la série télé Beverly Hills 90210.
Blanc avec ses beaux habits, son langage propre, et sa dégaine de
gendre idéal. Blanc comme on pourrait dire blond. Il est au­dessus
de moi d’un point de vue social, cela me semble terriblement exoti­
que. Il est bien élevé, genre petite bourgeoisie de province ; je suis
une jeune de banlieue, fille de femme de ménage.
On s’assoit dans la brasserie banale à côté de l’établissement
trop raffiné pour nous. Il me raconte sa vie de provincial venu
d’Evreux, dans l’Eure, ses premières dragues sur Internet, le fait
qu’il faut toujours demander « ASV » pour âge­sexe­ville quand tu
commences à échanger – ce que je n’ai pas fait. On va ensuite au
cinéma, et on se quitte sur le trottoir : on sera copains, car on ne
vient pas de la même planète.
« Hésite pas à m’appeler », m’a­t­il répété pendant ce mois où
nous nous voyons plusieurs fois. Je ne me rends pas compte que je
suis en train de m’attacher à lui. Un soir, on va au restaurant, c’est une
belle soirée de fin d’été, le repas passe tellement vite que les serveurs
nous mettent dehors, nous sommes les derniers. Il me raccompagne
à la station de métro, puis au tourniquet, puis sur le quai. Plus notre
séparation approche, plus mon cœur se serre, je ne veux pas qu’il
parte. Le train s’engage dans le tunnel, « ah non il va partir », et je l’em­
brasse. Il monte dans le train avec moi jusqu’à la gare, puis repart.

Sur le trajet du retour, j’ai un peu peur, je ne suis jamais sortie
avec un Blanc. J’appréhende cette mentalité américaine qui s’est
développée dans ma banlieue, cette idée qu’il ne faut pas se mélan­
ger, qu’il sera mal regardé parce qu’il est blanc. Je suis influencée par
la fracturation raciale qui se met peu à peu en place. Je ne me vois pas
sortir avec un Blanc au sens de blond, un Blanc riche, alors qu’avec un
Blanc de cité, sans problème. Nos univers sont très différents, j’ai
l’impression de sauter dans la piscine en apnée. Je suis perturbée
mais touchée. Je suis amoureuse.

Premier jour


C’est une banque comme toutes les banques de France. Un gui­
chet où l’on se rend pour clôturer notre compte commun. On
sort de l’agence, puis il s’en va. Il n’y a pas de dernier baiser, pas
d’accolade en mode « merci, c’est fini, mais c’était bien ».
J’efface tout, ses messages, son numéro, je le mets en mode
indésirable, je pratique la politique de la terre brûlée.
Je ne suis pas une romantique, il m’a fait souffrir, il doit s’en al­
ler. Il y avait déjà eu la première rupture parce qu’il m’avait trompée.
J’avais déménagé toute seule. Puis il m’avait demandée en mariage, of­
fert une bague de fiançailles, alors il était revenu dans mon apparte­
ment. En réalité, je m’effondre de l’intérieur. Un matin, je me réveille
en pensant à un collègue de bureau, je me fais belle pour lui. Je le dis à
mon compagnon, que ça ne va pas, que je ne suis pas censée faire ça.
Notre relation s’enlise, devient une sorte de tandem sur
lequel chacun roule de son côté, ni avec toi, ni sans toi. Il y a cette
Shirley aussi, qui l’appelle souvent. Je suis obligée de lui demander
trois fois « c’est qui? » sur un ton de plus en plus fort. « C’est quel­
qu’un que j’ai rencontré, elle est belle et féminine. » Il est sur le point
de me tromper, et c’est de ma faute, parce que je ne serais pas assez
femme. C’est vrai quoi, je ne mets pas de talons­aiguilles, ni de per­
ruques comme mes cousines. Je suis noire sans gros seins ni grosses
fesses, quelle arnaque...
Je ne suis pas féminine aussi, en fait, parce que, à ses yeux, j’ai
les attributs de la masculinité : je suis manageuse, je gagne plus
d’argent que lui, je suis propriétaire, je lis plus de livres. Je ne suis pas
à la place de petite femme fragile à laquelle je devrais être. C’est un
peu révoltant de foirer son couple pour cause de domination mascu­
line. Je croyais bêtement qu’aimer mon homme, c’est l’aimer pour ce
qu’il est, tel qu’il est, une belle personne créative et sensible, intelli­
gente, fan de Polnareff, attirée par la musique et l’art plastique. Mais
bon, j’ai compris que faire cela, c’est mal aimer son homme.
La veille de la rupture, je suis encore en train de lire des bou­
quins de psychologie pour apprendre à sauver son couple. Je l’ouvre,
je me sens lourde ; je le ferme, je me sens légère. Je vais chez Picard
acheter à manger, et un songe me traverse : je vois cet homme me
manquer de respect devant mes enfants. J’appelle ma mère, cela
m’apparaît comme un signe. Je rentre, je le regarde manger sa
barquette en plastique, et je parle. De cette rupture comme issue
logique. Il pleure, prend sa moto, et s’en va sans que j’aie même le
temps de finir. Je me couche benoîte et le rappelle le lendemain :
« On s’arrête vraiment là. » Il vient chez moi chercher ses affaires,
avec cette tête d’acceptation fâchée. Il met la clé dans la boîte aux
lettres, on va à la banque et c’est fini.
Un an après, j’ai déjeuné avec ce collègue pour lequel je me
suis pomponnée un matin. Il a une copine et va fonder une famille
avec elle. Dire que je lui plaisais... Pas de chance pour moi.

Dernier jour


L E M O T D E L A S E M A I N E

Club


N. masc.

Si ce terme anglo-saxon


signifiait au départ « bâton »,


le club s’est mis par la suite


à désigner un ensemble de per-


sonnes partageant un tenace


intérêt commun. La récente


disparition de l’animatrice


Ariane Carletti est ainsi venue


rappeler à de nombreux


adultes, attristés par la nou-


velle, qu’ils étaient encore


membres du « Club Dorothée ».


LE BLOC-NOTES

CHERCHE


NAPOLÉON


SAINTE-HÉLÈNE, petite île britannique
de l’Atlantique Sud, a fait savoir qu’elle
cherche à recruter un homme « qui présente
bien » pour jouer le rôle de Napoléon lors
de différentes cérémonies commémorant
le séjour de l’empereur, qui seront
organisées de 2019 à 2021. Candidatures
à déposer avant le 25 septembre.
([email protected])

LA  FORCE 


EST  AVEC  EUX


Le Cercle d’escrime du
Havre a ouvert à la rentrée
une académie de sabre
laser. Reconnu par la
Fédération française
d’escrime en février, le sabre
laser sportif se rapproche
de l’art martial et se décline
sous différentes formes, de
la chorégraphie au combat.
L’arme légendaire pourra
être maniée par tous les
apprentis Jedi de 13 ans
ou plus, durant une heure
et demie chaque semaine.

7 %


C’est la proportion des
Britanniques qui pensent
que le terme « sauternes »
est le nom d’une planète,
selon une étude comman-
dée par le Wine & Spirit
Education Trust. 30 % de ces
sondés estiment par ailleurs
que le mot « terroir » fait
référence à une catégorie
de films d’horreur français.

POUDLARD
À LONGWY

Douze ans après la f in
de l’histoire, la saga
Harry Potter suscite
toujours autant
d’émois. Accusés de
« déclencher les mau­
vais esprits », les sept
tomes de J. K. Rowling
ont été retirés
de la bibliothèque de
St. Edward, école catho­
lique de Nashvi lle, aux
Etats­Unis. A l’inverse,
cer tains établissements
français ont vu en
Poudlard un modèle
pédagogique, si bien
qu’un collège de la vi lle
de Longwy, en
Meur the­et­Moselle,
a répar ti ses élèves
en huit « maisons »
pour cette rentrée 2019.

SIMON LANDREIN
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