Le Monde - 07.09.2019

(Barré) #1
7septembre 2019—MLemagazine du Monde

favori de Nicolas Sarkozy,achanté ses louanges au chef de
l’État. La ministre de la culture, Christine Albanel, traîne des
pieds au moment de conclure l’affaire. Son remplaçant rue de
Va lois, Frédéric Mitterrand, nommé en juin 2009, s’exécute
sans broncher.«Unconseiller culturel de l’Élysée m’avait dit :
“Vous savez, leprésident aimerait beaucoupque ça soit lui”,
raconte l’ancien présentateur de télévision.Alors j’ai rencontré
Jean-François Colosimo, et j’ai compris une chose:iln’était
pas du tout d’extrême droite comme chacun le disait. »
Le soutiendePatrick Buisson fait tache dans le milieu de la
culture, franchement de gauche. Aujourd’hui encore, il l’embar-
rasse. Buisson, un ami?«Je ne sais pas, il ne dîne pas chez moi
en famille si c’est la question »,assure Colosimo.L’ embauche au
CNL d’Antoine Cassan, ami et associé de Buisson au sein de sa
société de sondages Publifact, relèverait donc du hasard:l’édi-
teur jure tout ignorer des liens entre les deux hommes. Le
Mozart du Dictaphone, pour sa part, nous affirme considérer
Jean-François Colosimo comme un ami, un vrai.«C’est juste-
ment parce que c’est un ami que je ne parlerai pas àM»,dit-il.
Cependant, croisé par hasard un jour de juin dans les couloirs de
TF1oùilétait invité par David Pujadas sur LCI, l’ancien patron
de la chaîne Histoire, les yeux plissésetl’air inquisiteur,procède
ànotre interrogatoire :«Vous avez fait quoi comme études?Vous

travailliezoùavant?Depuis quand?»Sur son ami, il consent
tout justeàdire que«c’est quelqu’un d’éminemment fin et subtil.
Vo us le verrez, si vous ne gâchez pas le portrait.»On retrouve
son nom dans la liste des remerciements du premier tome du
livre de Buisson1940-1945, années érotiques.«ÀJean-François
Colosimo, gardien amical mais intransigeant de l’orthodoxie. Un
cierge brûle pour luiàSaint-Serge en reconnaissance des querelles
non byzantines qu’ilajustement cherchéesàlalecture de ce
manuscrit »,yécrit l’ancien journaliste deMinute.
Au CNL, l’éditeur impose son style:brutal et autoritaire. Il
veut refaire le brushing du mammouth. Mais l’arrivée de la
gauche au pouvoir et d’Aurélie Filippetti au ministère de la
culture contrecarre ses plans. La ministre et l’éditeur se révè-
lent bien vite incompatibles.«Elle voulait ma peau, elle a
caché ça sous des prétextes idéologiques »,enrage Colosimo. En
clair,elle voyait en lui un homme d’extrême droite.Quandil
trouve une porte de sortie aux éditions du Cerf, en 2013,
Aurélie Filippetti s’estime enfin libérée de«cet homme de
réseauxàl’idéologie douteuse ».
Est-il raisonnable, comme le fait l’ancienne socialiste, de
considérer Jean-François Colosimo comme étant d’extrême
droite?L’homme est d’une prudence de Sioux sur les ques-
tionspartisanes, même si tous ses amis assurent qu’il«n’est
pas de gauche ».«Matradition politique?Séguin-
Chevènement »,souverainiste en somme, lâche celui qui vote
souvent contre. Contre Giscard, en 1981 (donc pour
Mitterrand). Contre Maastricht, en 1992. Contre Balladur,en
1995 (donc pour Chirac). Aujourd’hui, il vote peu. Uniquement
«quand c’est indispensable ».Le second tour Macron-Le Pen
de 2017, c’était indispensable ?«Vous m’emmerdez!»,
balance-t-il comme seule réponse.
Àl’habit de militant, il préfère celui d’intellectuel, capable de
parler des heures durant de géopolitique du religieux, comme
en octobre 2018, lors d’une conférence au siège du parti
Les Républicains. Une spécialité développée dans ses livres,
consacrés aux chrétiens d’Orient, aux divisions du monde
orthodoxe ou encore au modèle iranien. Son prochain ouvrage,
LaReligion française,qui sortiraàlafindumois, s’intéresse au
rapport compliqué de la France avec la laïcité. La suite d’Aveu-
glements,paru en 2018, qui dénonçait en 544 pages l’errance
de la philosophie des Lumières et se félicitait du retour du
religieux, qui n’a, selon lui, jamais disparu.«Est-il réaction-
naire ?fait mine de s’interroger Eugénie Bastié.Si oui, au sens
le plus noble du terme, de maistrien[Joseph de Maistreaété le
chef de file de la pensée contre-révolutionnaire].Il pense
comme Boutang qu’il n’yarienàconserver dans la moder-
nité. »Ne comptez pas sur l’éditeur pour s’opposer au mariage
pour tous:ils’en contrefout. En revanche, il peut passer des
heuresàcritiquer le libéralisme économique, sociétal, et le
progressisme défendu par Emmanuel Macron.«Jesuis contre,
ça ne résout rien »,évacue Colosimo.
Plus que son idéologie, son caractère volcanique lui joue parfois
des tours. Paul Piccarreta s’en est allé après seulement trois
numéros de la revueLimite,désormais éditée ailleurs.«Ilfaut
être souple, très souple avec Jean-François. Ce qui n’est pas mon
cas »,souffle le jeune homme avec pudeur.Lachroniqueuse au
PointLaetitia Strauch-Bonart, qui avait publié son premier essai
au Cerf, est partie chez Fayard. Et Eugénie Bastié vient de quit-
ter la maison sur la pointe des pieds pour signer un contrat chez
Plon. Elle craignait la réaction du maître :«Jean-François m’in-
timide beaucoup. Je suis comme une petite fille faceàlui. »Pas
rancunier,illui aoffert une bible en cadeau de mariage.«Jesuis
le bon Dieu pour les uns et le diable pour les autres »,n’en finit
pas de rouspéter Colosimo.

“Lecentrene


m’intéressepas.


Lesprogressistes


peuventgérer


la Banque de France,


mais pasécrire


‘Crime et Châtiment’.”


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