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SAMEDI 7 SEPTEMBRE 2019 international| 3
Après Salvini, la détente
entre l’Italie et l’Europe
Rome désigne l’expremier ministre Paolo
Gentiloni comme commissaire à Bruxelles
rome, bruxelles correspondants
L
a première décision du
gouvernement Conte 2,
quelques minutes après
son entrée en fonctions, jeudi
5 septembre au matin à Rome,
aura été un geste sans ambiguïté
en direction de l’Europe : la dési
gnation de l’ancien premier mi
nistre Paolo Gentiloni (Parti dé
mocrate, PD, centre gauche)
comme futur commissaire euro
péen de l’Italie. Avec cette nomi
nation, qui fait suite au départ de
la Ligue de Matteo Salvini (ex
trême droite) et au retour aux af
faires du PD, c’est un véritable vi
rage à 180 degrés qui prend forme,
après quinze mois de gouverne
ment eurosceptique.
A Bruxelles, les premières réac
tions sont prudentes, mais l’heure
est au soulagement. La perspec
tive d’élections anticipées, que
Matteo Salvini pensait provoquer
début août, en rompant avec le
Mouvement 5 étoiles (M5S, anti
système), s’éloigne. Avec elle dimi
nue, au moins pour un temps, le
péril de l’arrivée aux affaires d’un
gouvernement dirigé par l’ex
trême droite, qui semblait prêt à
remettre en cause l’appartenance
de l’Italie à la zone euro.
Audelà de la désignation de
Paolo Gentiloni, Bruxelles peut se
réjouir du fait que Giuseppe Conte
ait accepté la désignation de per
sonnalités « eurocompatibles »
aux postesclés. Roberto Gualtieri,
ministre de l’économie, est député
européen depuis 2009 et prési
dent de la commission des affaires
économiques et monétaires du
Parlement de Strasbourg. Les affai
res européennes échoient à un
autre membre du PD, Enzo Amen
dola, tandis que l’attribution du
ministère de l’intérieur à Luciana
Lamorgese, une femme issue de la
haute fonction publique, laisse es
pérer une gestion moins politisée
de la question migratoire.
Il reste à savoir jusqu’à quel point
le nouveau pouvoir reviendra sur
les mesures impulsées par Matteo
Salvini, qui avaient conduit à l’in
terdiction des ports italiens aux
navires d’ONG réalisant des opéra
tions de sauvetage en mer et à l’ar
rêt des opérations de surveillance
de la zone. Ces dispositions ont en
traîné une multiplication des ten
sions entre Rome et d’autres capi
tales. Malgré le changement de
gouvernement, la révision des ac
cords de Dublin – selon lesquels les
pays d’entrée dans l’UE, comme
l’Italie, sont censés traiter les de
mandes d’asile – n’est pas acquise,
tant le sujet divise les pays mem
bres. Mais Bruxelles a au moins
l’assurance que l’Italie rompra
avec la politique de la chaise vide
de Matteo Salvini.
La question budgétaire sera le
premier test de la nouvelle rela
tion entre Bruxelles et Rome. Le
gouvernement Conte doit com
muniquer son projet de budget
2020 avant le 15 octobre et il ne
semble pas décidé à se montrer
plus vertueux que son prédéces
seur. L’alliance entre le PD et le
M5S est en effet née de la volonté
de conjurer la « clause de sauve
garde » (une hausse automatique
de la TVA en 2020, à hauteur de
23 milliards d’euros), et l’Italie
compte lancer un ambitieux plan
d’investissements censé relancer
une croissance en berne.
Marges de manœuvre étroites
Alors que le pays a évité de justesse
l’ouverture d’une procédure pour
déficit excessif, M. Gualtieri espère
un assouplissement des règles
communautaires, misant sur la
bienveillance de l’Europe et la vo
lonté d’éloigner le péril Salvini.
Mais les marges de manœuvre res
tent très étroites, en raison de
l’ampleur de la dette publique ita
lienne (plus de 130 % du PIB).
Ursula von der Leyen, qui succé
dera à M. Juncker le 1er novembre à
la tête de la Commission, peut en
tout cas se féliciter du coup de
théâtre italien. Et Paolo Gentiloni,
europhile convaincu, devrait dé
crocher « un portefeuille impor
tant », admeton à la Commission.
Ainsi, la sortie de scène de l’ex
trême droite italienne, conjuguée
au relatif effacement du dirigeant
hongrois, Viktor Orban, mis sous
surveillance par le Parti populaire
européen, allège ainsi le climat po
litique en Europe. Dans une lettre
à M. Conte, M. Juncker s’est dit,
jeudi, « certain que sous [son] lea
dership, l’Italie saura jouer un rôle
de premier plan et être à la hauteur
de ses responsabilités de pays fon
dateur de l’UE ».
jérôme gautheret,
virginie malingre
et jeanpierre stroobants
Le chemin de croix politique et familial de Johnson
Le frère du premier ministre britannique, partisan d’un second référendum, a démissionné du gouvernement
londres correspondante
I
l passe nerveusement la
main dans ses cheveux, cher
che un peu ses mots, jure
qu’il « préférerait crever dans le
fossé » plutôt que d’aller qué
mander un report du Brexit à
Bruxelles, finit par s’inquiéter de
l’heure quand une policière s’af
faisse, juste derrière lui, manifes
tement prise d’un malaise pour
avoir trop longtemps attendu
qu’il veuille bien commencer sa
conférence de presse.
Boris Johnson n’a pas non plus
l’air en forme, jeudi 5 septembre,
dans le Yorkshire (nord de l’An
gleterre), pour cette visite de ca
serne qui a tout d’un lancement
de campagne électorale. Sauf que
cette dernière n’a pas officielle
ment commencé, et c’est bien le
problème pour le premier minis
tre britannique, qui n’a plus
d’autre choix qu’un retour aux
urnes pour sortir de l’impasse to
tale du Brexit.
Le matin même, il a essuyé un
nouveau revers. Particulièrement
sévère : Jo, son petit frère, mêmes
cheveux couleur paille mais avec
quelques kilos en moins, a an
noncé sa démission sur Twitter. Il
renonce à son poste de ministre
des universités, et même à son
siège de député conservateur. Ce
n’est un secret pour personne : Jo
et Boris s’opposent sur le Brexit. Le
petit frère, 47 ans, est un « remai
ner », partisan d’un second réfé
rendum. Son entrée, fin juillet,
dans un gouvernement prêt à aller
au « no deal », en avait étonné plus
d’un. « Jo est un garçon fantasti
que, il n’est pas d’accord avec moi
sur l’UE mais c’est comme cela,
dans les familles, le Brexit est un su
jet qui divise », a reconnu M. John
son, dans le Yorkshire.
Jo Johnson explique quitter le
navire parce qu’il est « déchiré en
tre la loyauté familiale et l’intérêt
du pays », au moment où Boris,
55 ans, affronte une crise de dé
fiance sans précédent dans ses
rangs. Mardi 3 septembre, le pre
mier ministre a décidé de limoger
du groupe parlementaire conser
vateur une grosse vingtaine d’élus
modérés – dont des figures très
respectées (Kenneth Clarke, Ni
cholas Soames), pour avoir osé dé
fier sa stratégie du Brexit « do or
die » et voté une loi l’obligeant à
demander un report du Brexit.
Suicide politique
« Comment les gens peuventils
vous croire quand même votre
frère ne croit plus à votre straté
gie? », l’interrogent par trois fois
les journalistes qui l’ont suivi dans
le Yorkshire. « Vous devriez être à
Bruxelles en train de négocier plu
tôt qu’ici! », lui lance un passant,
dans une rue de Wakefield, la pe
tite ville où le premier ministre a
osé s’aventurer après sa confé
rence de presse. Des séquences
particulièrement malheureuses
pour M. Johnson, qui, aux Com
munes, n’a pas réussi à convaincre
qu’il travaillait d’arrachepied à un
nouveau deal avec les Européens.
Une semaine à peine après ses
débuts dans l’arène parlemen
taire, M. Johnson a déjà grillé une
très grosse part de son capital poli
tique. Et se trouve, comme The
resa May avant lui, mais bien plus
rapidement qu’elle, complète
ment coincé. Il a perdu sa majo
rité, ses trois premiers votes à la
Chambre des communes, va sans
doute devoir renoncer à sa pro
messe quotidienne de sortie de
l’UE le 31 octobre. Un vrai suicide
politique. A moins de pouvoir con
voquer des élections générales
avant le conseil européen du
17 octobre, en espérant être réélu
avec une confortable majorité, et
réimposer sa stratégie.
Mais pour dissoudre le Parle
ment et convoquer des élections
générales, M. Johnson a besoin des
deux tiers des voix aux Commu
nes. Le compte n’y était pas du
tout, mercredi, quand il a tenté
une première fois d’imposer son
calendrier : un retour aux urnes le
15 octobre. Jeudi, Downing Street a
fait savoir que la motion serait à
nouveau soumise au vote des
Communes lundi 9 septembre.
Que vont décider les élus du La
bour, dont les voix sont indispen
sables à M. Johnson? Jeremy Cor
byn avait initialement assuré que
sa priorité était l’adoption défini
tive de la loi « antino deal ». Le
texte devrait avoir obtenu tous les
feux verts parlementaires, y com
pris l’assentiment royal, lundi.
Estce que ce sera suffisant pour
convaincre le leader travailliste de
relever le défi des élections mioc
tobre et de voter la motion de
M. Johnson? La responsable des
affaires étrangères au Labour,
Emily Thornberry, a assuré ven
dredi que non, refusant de laisser
M. Johnson choisir la date des
élections. Cela fait deux ans que
M. Corbyn rêve d’élections géné
rales. Mais d’autres travaillistes,
ainsi que les démocrates libéraux,
préfèrent s’assurer que la date du
Brexit sera reportée, avant d’aller
aux urnes.
La promesse non tenue d’un
Brexit le 31 octobre pourrait coû
ter très cher aux conservateurs, au
profit du Parti du Brexit de Nigel
Farage. A moins que M. Johnson
ne démissionne avant la miocto
bre, pour éviter d’aller s’humilier
à Bruxelles et provoquer des élec
tions avant le Conseil européen
du 17 octobre? Le fait qu’une telle
hypothèse circule à Westminster
prouve à quel point Boris Johnson
est désormais affaibli.
cécile ducourtieux
« Vous devriez
être à Bruxelles
en train de
négocier plutôt
qu’ici! », lance
un passant au
premier ministre