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SAMEDI 7 SEPTEMBRE 2019 0123 | 31
U
n musée, vous pen
sez savoir ce que c’est.
Une institution qui
conserve, expose, ac
quiert, étudie des œuvres et des
objets divers pour le plaisir de
l’œil et l’éducation de tous. C’est
du reste la définition qui prévaut
depuis une cinquantaine d’an
nées, que les musées soient pres
tigieux ou non, européens ou
asiatiques, dévolus à l’art, aux
sciences, à l’histoire, etc. Eh bien,
vous avez tout faux. Une nou
velle définition est débattue à
Kyoto, au Japon, par des experts
du monde entier. Elle sera sou
mise au vote le 7 septembre. Elle
n’a plus rien à voir avec l’an
cienne, au point de provoquer de
sacrés remous.
L’affaire est sérieuse, car l’orga
nisme qui préside aux débats n’a
rien de fantaisiste. Il s’agit de
l’ICOM (Conseil international
des musées, en anglais), qui réu
nit pas moins de 45 000 profes
sionnels issus de 20 000 musées
dans 141 pays, et structurés en
comités nationaux. Son pouvoir
de décision est nul mais ses re
commandations sont écoutées,
elles donnent le « la » dans la vie
des musées. Et disent l’état d’es
prit dominant.
La nouvelle définition a été dé
voilée par l’ICOM le 25 juillet. Les
mots limpides de l’ancienne sont
remplacés par un charabia vapo
reux, évacuant au passage des
mots familiers comme art,
œuvre, institution, collection,
éducation, conservation, recher
che... Prenons la première phrase :
« Les musées sont des lieux de dé
mocratisation inclusifs et polypho
niques, dédiés au dialogue critique
sur les passés et les futurs. » Puis :
« Ils sont les dépositaires d’arte
facts et de spécimens pour la so
ciété. » Leurs fonctions : « Ils sont
participatifs et transparents, et tra
vaillent en collaboration active
avec et pour diverses communau
tés afin de collecter, préserver, étu
dier, interpréter, exposer, et amé
liorer les compréhensions du
monde. » Leur objectif : « Contri
buer à la dignité humaine et à la
justice sociale, à l’égalité mondiale
et au bienêtre planétaire. »
Le nouveau texte est plus proche
du manifeste emphatique et pro
phétique que d’une définition. Il
est passionnant pour ce qu’il ré
vèle : une bataille idéologique en
tre anciens et modernes. Les an
ciens, ce sont les musées dont
l’action est tournée sur les collec
tions. Les modernes veulent met
tre au centre le public, le débat so
ciétal et social. Les mots « inclu
sif », « polyphonique » ou « partici
patif » signifient que les experts
muséaux doivent partager le pou
voir avec le public, notamment les
exclus et communautés minori
taires. Le musée traditionnel
étant un lieu de domination à dé
coloniser, il faut faire tomber le
dogme de l’artiste occidental,
blanc, masculin, dominant, et
rayer la primauté des arts sur les
expressions vernaculaires.
Cette offensive ne vient pas de
nulle part. Elle est dans l’air du
temps. Elle est le prolongement
de l’entrée en force, depuis des
années, des cultural studies ou
gender studies dans les universi
tés américaines avant de gagner
l’Europe : étudier les sciences hu
maines sous le prisme commu
nautaire, des minorités et du dé
colonialisme. En conséquence, le
nouveau texte ne parle plus de
collections mais de « collecte », ne
parle plus d’œuvres ou de patri
moine mais de « spécimens » ou
d’« artefacts », ne parle plus d’édu
cation (trop dirigiste et colonia
liste) mais de l’« interprétation »
des œuvres pour améliorer les
« compréhensions du monde ».
Que la section ICOM des Etats
Unis soit en faveur du texte n’est
pas une surprise tant le prisme
communautaire et décolonialiste
est central dans leurs musées. Ce
n’est pas une surprise, non plus,
que derrière le texte on trouve les
pays d’Europe du Nord et notam
ment sa tête pensante, la Danoise
Jette Sandahl, qui a créé le Musée
de la femme du Danemark et le
Musée des cultures du monde à
Göteborg, en Suède. Cette der
nière est très claire : en août, elle a
dit que l’ancienne définition « ne
parle pas le langage du XXIe siè
cle » et qu’elle doit être « historici
sée, contextualisée, dénaturalisée
et décolonialisée ».
Camp contre camp
Ces trublions sont si radicaux que
la fronde enfle depuis la divulga
tion du nouveau texte. Elle est
partie de France, rejointe depuis
par vingtsept pays. On y trouve la
plupart des Etats d’Europe, dont
la Russie, mais aussi le Canada,
l’Argentine, l’Iran ou Israël. De
puis, c’est camp contre camp et
les coups pleuvent. Les frondeurs
jugent la définition trop politi
que, non opérationnelle, étroite,
culpabilisante, clivante – si vous
êtes contre, vous êtes réaction
naire et néocolonialiste. Même le
Canada est contre, alors que ce
pays, depuis des années, met en
avant le rôle social des musées.
C’est le principal reproche.
Pourquoi une telle définition res
trictive alors que les musées sont
si différents? Pourquoi ne pas
conserver l’ancienne définition
et y ajouter des mots sur l’ouver
ture aux questions sociales et
sociétales que personne ne
conteste? Au lieu de quoi, ce texte
exclut les grands musées du
monde, le Louvre en tête (des col
lections prestigieuses, un public
de touristes), et n’explique pas
comment imposer une musique
« polyphonique » dans les milliers
de petits musées de villes moyen
nes, dont la vie est déjà dure avec
des collections pointues, des élus
sur le dos, des moyens modestes
et un public clairsemé.
Nous verrons comment se posi
tionneront, le 7 septembre, les
délégués d’Afrique, du monde
arabomusulman et d’Asie. Si le
texte passe, il n’empêchera pas le
Louvre de dormir. Mais le vote
dira un rapport de forces mon
dial et annonce un futur tendu.
L’ICOM peut exploser, tant les
tensions sont vives. Elles survien
nent alors que d’autres ques
tions, cruciales, se posent aux
musées : la surfréquentation de
certains et le vide pour la majo
rité, leur financement toujours
plus fragile, le modèle de l’entre
prise qui gagne, les experts mino
rés au profit de communicants,
etc. Merveilleuse ICOM, qui s’as
soit sur la réalité et s’invente une
discorde propre à se saborder.
M
ichel Rocard avait prévenu : la
réforme des retraites est un su
jet tellement inflammable qu’il
peut faire tomber plusieurs gouverne
ments. Edouard Balladur l’avait compris, et
c’est presque en catimini, sans véritable
concertation, qu’il avait imposé, en
août 1993, un changement majeur, en por
tant la durée de cotisation nécessaire pour
une retraite à taux plein de 37,5 ans à
40 ans. En 1995, Alain Juppé, qui voulait
s’attaquer à des régimes spéciaux, avait été
contraint de reculer face à un important
mouvement social. En 2010, Nicolas
Sarkozy, confronté aussi à une forte et lon
gue contestation, avait mené sa réforme au
pas de charge, portant l’âge légal de départ
à la retraite à 62 ans. En 2003, JeanPierre
Raffarin avait à son tour imprimé sa mar
que – en étendant la réforme Balladur à la
fonction publique et en allongeant la durée
de cotisation – en recourant à une négocia
tion qui lui avait permis, à l’arrivée, d’avoir
la caution de la CFDT.
Emmanuel Macron semble inscrire sa dé
marche dans les pas de l’ancien premier
ministre de Jacques Chirac. Le président de
la République parle lui aussi de négociation
et souligne qu’à ce stade « rien n’est décidé ».
Il tend la main à la CFDT en ne reprenant
pas la proposition phare du rapport de
JeanPaul Delevoye, le hautcommissaire
qui pilote la réforme – préconisant un âge
pivot de 64 ans pour bénéficier d’une re
traite à taux plein – et en privilégiant la du
rée de cotisation. Edouard Philippe, qui
menait des consultations, jeudi 5 et ven
dredi 6 septembre, avec l’ensemble des ac
teurs sociaux sur le calendrier et la mé
thode, met en scène un nouveau triptyque :
« écoute, dialogue, proximité ». Le premier
ministre évoque même une « coconstruc
tion », qui n’est pas sans rappeler le principe
de la démocratie sociale dont se réclamait
François Hollande...
Pour M. Macron, échaudé par la longue
crise des « gilets jaunes », le changement de
méthode, c’est maintenant. On a suffisam
ment reproché au chef de l’Etat d’ignorer,
voire de mépriser, les acteurs sociaux pour
ne pas se féliciter de ce virage. En élève mo
dèle, M. Philippe ne livrera les résultats des
consultations en cours que la semaine pro
chaine. L’exécutif joue donc le temps long
pour une réforme qui ne devrait être bou
clée qu’après les élections municipales afin
d’entrer en vigueur en 2025. Cette stratégie
a plusieurs avantages. Sur le plan social, elle
remet dans le jeu la CFDT, le premier syndi
cat et le seul à soutenir l’instauration d’un
système universel. Elle prive de grain à
moudre les syndicats contestataires, la CGT
et FO, qui auront du mal à mobiliser leurs
militants dès lors que le contenu de la ré
forme est en cours d’élaboration. Sur le plan
politique, M. Macron fait une ouverture en
direction des électeurs du centre gauche.
Sur le modèle du grand débat, une con
sultation citoyenne va être lancée. C’est
une bonne méthode, mais elle ne peut dé
marrer sur une page blanche. Les derniers
épisodes ont montré qu’il y avait plusieurs
lignes au sein du gouvernement, et que
l’Elysée et Matignon n’étaient pas forcé
ment, à propos de la réforme ellemême,
sur la même longueur d’onde. La consulta
tion ne peut pas s’engager dans le
brouillard. La suppression des 42 régimes
existants va se faire dans la douleur et pro
voquer inévitablement des tensions. Elle
aura aussi un coût financier. M. Macron
rêve sans doute de se représenter en 2022
en brandissant le trophée de celui qui a dé
joué la malédiction de la réforme impossi
ble. Mais son pari est loin d’être gagné.
LA NOUVELLE
DÉFINITION
DU MUSÉE DE L’ICOM
ÉVACUE DES MOTS
COMME ART, ŒUVRE,
COLLECTION...
RETRAITES,
LE CHOIX
Guerre idéologique DU TEMPS LONG
dans les musées
LES MODERNES
VEULENT METTRE
AU CENTRE
LE PUBLIC, LE
DÉBAT SOCIÉTAL
ET SOCIAL
Tirage du Monde daté vendredi 6 septembre : 191 793 exemplaires
CULTURE|CHRONIQUE
p a r m i c h e l g u e r r i n
MAINTENANT,
LE MONDES’ÉCOUTEAUSSI EN PODCASTS
Conçusavec la mêmeexigence que nos articles et vidéos,les podcasts duMondeinviteront les
auditeurs dans les coulisses d’une enquête, dans l’univers intérieur de personnalités issues du monde
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