6 |international VENDREDI 30 AOÛT 2019
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Aux EtatsUnis, Joe Biden rattrapé sur sa gauche
L’exviceprésident, favori à l’investiture démocrate, perd de son avance sur Elizabeth Warren et Bernie Sanders
washington correspondant
L
a course à l’investiture dé
mocrate pour l’élection
présidentielle améri
caine de 2020 va connaî
tre une première inflexion signi
ficative. Seuls dix candidats, sur
les vingt et un restants, un record,
ont réussi, mercredi 28 août, à se
qualifier pour le troisième débat,
qui sera organisé dans deux se
maines à Houston, au Texas.
Trois autres ont bien obtenu le
nombre minimum exigé de do
nateurs (130 000, dans au moins
20 Etats), sans pour autant re
cueillir au moins 2 % des inten
tions de vote dans quatre sonda
ges considérés comme représen
tatifs par la direction du Parti dé
mocrate. Huit candidats n’ont pu
répondre à aucun de ces critères.
Cette sélection pourrait précipiter
les renoncements parmi les reca
lés, comme l’a montré l’abandon,
mercredi, de la sénatrice de l’Etat
de New York, Kirsten Gillibrand.
Conséquence de cette simplifi
cation – que les sympathisants
démocrates rencontrés par Le
Monde à la foire annuelle de
l’Iowa, à Des Moines, début août,
disaient souhaiter ardemment –,
les dix candidats sélectionnés dé
battront ensemble le 12 septem
bre. Les deux premiers débats
s’étaient étirés sur deux soirées,
les plateaux étant composés à la
suite d’un tirage au sort.
Pour l’instant, l’ancien vicepré
sident Joe Biden, 76 ans, continue
de faire figure de favori, même si
son avance en termes d’inten
tions de vote s’est considérable
ment réduite depuis sa déclara
tion de candidature, en avril, se
lon les moyennes du site Real
ClearPolitics. Campant au centre,
il fait de la dénonciation de la po
litique et du style de Donald
Trump le cœur de sa campagne.
Les deux premiers débats ont
été au contraire profitables à la sé
natrice du Massachusetts, Eliza
beth Warren, 70 ans. Après un dé
but de campagne difficile, mar
qué par la controverse sur ses ori
gines indiennes supposées, que le
président Donald Trump ne cesse
de tourner en ridicule en lui acco
lant le sobriquet de « Pocahon
tas », cette figure de l’aile gauche
démocrate, qui se revendique
néanmoins « capitaliste », a re
tourné la situation en sa faveur.
Elle a notamment su rendre po
pulaire l’une de ses mesurespha
res, un impôt de 2 % sur les fortu
nes supérieures à 50 millions de
dollars. Au point que les « deux
cents » gagnés sur chaque dollar
taxé après ce seuil, qu’elle entend
affecter à la santé, la dette étu
diante et un plan environnement,
sont devenus un slogan scandé
par ses partisans lors de ses réu
nions publiques. Coup sur coup, le
20 août à Minneapolis (Minne
sota) et le 26 août à Seattle (Etat de
Washington), elle a réuni 12 000 et
15 000 personnes. Aucun autre
candidat n’est parvenu à en faire
autant pour l’instant.
La fin d’un monopole
Le sénateur indépendant du Ver
mont, Bernie Sanders, qui se défi
nit comme « socialdémocrate »,
avait bénéficié de la même curio
sité pour son programme et des
mêmes foules, il y a quatre ans,
lors d’une première candidature
malheureuse à l’investiture face à
Hillary Clinton. Le doyen de la
course, qui aura 78 ans à la veille
du troisième débat, peut toujours
compter sur un solide réseau de
fidèles et de donateurs, mais il ne
dispose plus d’un monopole sur
la gauche démocrate.
Derrière ce trio de septuagénai
res, la sénatrice de Californie Ka
mala Harris, qui s’était distinguée
lors du premier débat en atta
quant frontalement Joe Biden,
marque le pas. Le benjamin de la
course, Pete Buttigieg, jeune
maire ouvertement homosexuel
d’une ville moyenne de l’Indiana,
un Etat républicain, continue de
susciter la curiosité.
Pour les autres candidats, la sé
natrice du Minnesota Amy Klo
buchar, le sénateur du New Jersey
Cory Booker, l’ancien secrétaire
au logement Julian Castro, l’an
cien représentant du Texas Beto
O’Rourke et l’homme d’affaires
Andrew Yang, le débat du 12 sep
tembre pourrait prendre des allu
res de quitte ou double.
Joe Biden bénéficie pour l’ins
tant d’un atout qui compense les
gaffes à répétition dont il émaille
ses prises de parole : sa capacité à
gagner. Il écrase Donald Trump en
termes d’intention de vote dans
les duels fictifs proposés aux élec
teurs par les instituts de sondage,
à l’échelle nationale comme au ni
veau des Etats – le plus pertinent
puisque la présidentielle améri
caine est un scrutin indirect –,
même si ces tests sont sujets à cau
tion à plus d’un an de l’échéance.
Dans les Etats que les démocra
tes doivent absolument rempor
ter pour battre Donald Trump, le
Wisconsin, le Michigan et la
Pennsylvanie, d’autres candidats
arrivent également en tête, mais
avec une marge plus réduite.
Un sondage du Pew Research
Center, publié le 16 août, a mon
tré que pour 21 % des électeurs
démocrates interrogés, ce critère
constitue la motivation princi
pale de leur vote, loin devant le
caractère du candidat ou de la
candidate, ou encore ses posi
tions quant à la santé, l’économie
ou l’immigration.
Socle de fidèles
Un autre résultat de la même
étude montre que la course reste
très ouverte. Selon le Pew Re
search Center, une nette majorité
de personnes interrogées assu
rent être intéressées par plu
sieurs candidats, alors que seule
ment 35 % concentrent leur at
tention sur leur premier choix.
Bernie Sanders et Joe Biden sem
blent pouvoir compter sur un so
cle de fidèles (51 % et 45 % des élec
teurs démocrates interrogés les
privilégient), alors que 80 % et
78 % des personnes qui soutien
nent Elizabeth Warren et Kamala
Harris sont également intéres
sées par d’autres candidats.
En dépit de différences nettes
entre les candidats sur le fonc
tionnement d’un système de
protection sociale universelle, la
fiscalité ou l’environnement, le
clivage entre l’aile modérée et
l’aile plus à gauche n’est donc pas
pour l’instant le principal mo
teur de cette course à l’investi
ture démocrate. Ce qui rend son
issue encore très incertaine.
gilles paris
L’exil français des musiciens dissidents thaïlandais
Les membres du groupe Faiyen dénoncent les violences contre les personnes critiquant la monarchie et le régime
I
ls sont thaïlandais, dissidents
et chantent des chansons anti
monarchistes qui peuvent les
envoyer en prison, ou pire. Arrivés
en France le 3 août du Laos, les qua
tre membres du groupe de musi
que Faiyen (« feu froid ») sont les
derniers opposants à la junte mili
taire à trouver refuge en Europe.
Ils rejoignent en France un histo
rien connu pour ses recherches
sur la famille royale, ou encore la
dissidente transgenre Aum Neko.
En cette journée d’août, le petit
groupe s’est retrouvé place de la
République, à Paris, pour un hom
mage à huit de leurs camarades,
tous des dissidents thaïlandais as
sassinés ou portés disparus après
avoir fui dans des pays voisins
d’Asie du SudEst depuis le coup
d’Etat de 2014. Suivi d’un récital
de chansons sarcastiques et plei
nes de sousentendus politiques
sur le roi Rama X, qui a succédé à
son père à sa mort en 2016, mais
aussi sur les généraux thaïlandais
qui ont pris le pouvoir avec la bé
nédiction du palais et l’ont gardé
au terme d’élections plus que con
testables en mars.
Khunthong, le compositeur
quinquagénaire, remonte son
teeshirt sous ses aisselles, tandis
que Yammy, trentenaire en short
en jean, a revêtu un haut vert
fluo : tous deux se déhanchent en
entonnant une chanson grivoise,
clin d’œil à une vidéo volée du
monarque et de sa maîtresse à
Munich, en débardeur (« crop
top ») bien audessus du nombril,
faux tatouages sur le corps, man
geant des glaces en déambulant
dans un centre commercial. Le roi
Vajiralongkorn passe le plus clair
de son temps dans ses résidences
en Bavière et en Suisse, ne se ren
dant en Thaïlande que pour les cé
rémonies officielles.
Corps défigurés
Une autre chanson, Si vous ne
l’aimez pas, c’est la prison, parle de
l’omniprésence de la photo des
monarques de la dynastie Chakri,
qui règne sur la Thaïlande depuis
le XVIIIe siècle, dans tous les
foyers thaïlandais. « Avec de telles
chansons, bien sûr qu’on va en pri
son en Thaïlande, ou même pire.
Vous pouvez être assassiné! », ex
plique la dissidente Aum Neko.
Deux militants ont été assassi
nés en 2016, trois autres ont dis
paru fin 2018, dont un vétéran de
la guérilla communiste thaïlan
daise : les corps de deux d’entre
eux ont été retrouvés dans le
Mékong, remplis de ciment et dé
figurés. En mai, trois autres
Thaïlandais n’ont plus donné de
nouvelles après être passés au
Vietnam et avoir, soupçonnent
leurs proches, été remis aux auto
rités thaïlandaises. Parmi eux fi
gure l’animateur d’une chaîne
YouTube qui se moquait de la fa
mille royale, Sanam Luang. « Il
était leur bête noire », dit Jaran Di
tapichai, également réfugié en
France. Dans la dissidence, on
craint qu’ils aient été tués.
Cette vendetta, attribuée à des
forces spéciales thaïlandaises,
s’était dangereusement rappro
chée des membres de Faiyen, tous
installés au Laos depuis le coup
d’Etat de 2014 : au cours des cinq
dernières années, les musiciens
disent avoir changé onze fois de
planque dans les environs de
Vientiane, la capitale laotienne.
« A huit reprises, ce sont les Lao
tiens qui nous ont prévenus que
des policiers thaïlandais étaient à
nos trousses », explique Khun
thong. Il a lancé le groupe en 2011,
après un événement qu’ils dési
gnent comme fondateur, le mas
sacre en 2010 à Bangkok d’une
centaine de manifestants des
« chemises rouges », partisans du
populiste Thaksin Shinawatra,
renversé par une junte en 2006.
En 2016, Faiyen, qui diffuse
alors sa musique sur YouTube,
sort une chanson qui évoque la
rage des militaires thaïlandais au
pouvoir quand des bols rouges,
frappés des bons vœux de l’ex
premier ministre en exil, appa
raissent dans les campagnes du
nordest de la Thaïlande lors des
offrandes du Nouvel An
thaïlandais d’avril. « Juste après
cela, nous avons dû nous cacher.
La police laotienne a même inter
cepté un commando de onze hom
mes armés – qui ont été libérés
contre une grosse somme d’argent
et sont repartis en Thaïlande »,
poursuit Khunthong.
L’alerte suivante sonne en dé
cembre 2018, lors de la visite au
Laos du général Prayuth Chano
cha, le chef de la junte. « Les Lao
tiens nous ont fait déménager
fissa, en nous donnant même un
peu d’argent », racontetil. C’est
juste avant cette visite que les
trois autres dissidents au Laos,
dont ils étaient proches, auraient
selon eux été livrés à la Thaïlande
en échange d’une forte récom
pense. Puis liquidés.
Campagne de trolls
Pour Faiyen, tout s’accélère alors.
« On a lancé en mai sur Internet une
campagne #SaveFaiyen afin d’aler
ter l’opinion internationale sur les
dangers qui pesaient sur eux », ex
plique Junya Yimprasert, une mili
tante thaïlandaise prodémocratie
installée en Finlande et elle aussi
venue accueillir le groupe à Paris.
Les autorités françaises délivrent
alors un laissezpasser à quatre
membres du groupe.
Depuis que ces derniers sont
arrivés en France, toutes sortes
de trolls au service des royalistes
et de l’armée se déchaînent sur
les réseaux sociaux pour essayer
de ternir leur image.
Désormais engagés dans une
procédure de demande d’asile po
litique, les membres de Faiyen
comptent bien relancer leur
chaîne YouTube, même si elle
n’est accessible en Thaïlande
qu’avec des logiciels de contour
nement de la censure.
brice pedroletti
« Avec de telles
chansons,
bien sûr qu’on
va en prison en
Thaïlande. Vous
pouvez même
être assassiné »
AUM NEKO
dissidente thaïlandaise
Elizabeth Warren en meeting à Seattle (Etat de Washington), le 25 août. GENNA MARTIN/AP
Joe Biden profite
pour l’instant
de sa capacité
à l’emporter sur
Donald Trump,
qui compense
les gaffes
à répétition
dont il émaille
ses discours
I N D O N É S I E
Six manifestants tués
dans des affrontements
en Papouasie
Les forces indonésiennes
ont tué par balle six manifes
tants, mercredi 28 août, dans
la province de Papouasie, se
lon un témoin interrogé par
l’AFP. Les autorités ont con
testé ce chiffre et fait état
d’un soldat tué au cours des
mêmes affrontements. Plu
sieurs milliers de personnes
s’étaient rassemblées pour
manifester dans le district
isolé de Deiyai, alors que la
région est secouée depuis
une dizaine de jours par des
manifestations et des émeu
tes contestant le traitement
des Papous par les autorités
indonésiennes. – (AFP.)
L I B A N
L’armée tire sur
des drones israéliens
L’armée libanaise a tiré, mer
credi 28 août, contre des dro
nes israéliens survolant le
sud du Liban. Selon le com
mandement libanais, trois
drones israéliens ont violé
l’espace aérien du pays, et les
militaires ont tiré sur deux
d’entre eux qui sont retour
nés en Israël. Ces incidents
font suite à des mises en
garde lancées par le Liban
à Israël, après une attaque
conduite dimanche par un
drone contre un fief du Hez
bollah à Beyrouth, attribuée
à l’Etat hébreu. – (AFP.)