Rock et Folk N°625 – Septembre 2019

(Darren Dugan) #1

022 R&F SEPTEMBRE 2019


A UNE EPOQUE, 29 ans était un
âge vénérable pour un musicien. Un
âge que certaines idoles n’ont jamais
atteint, un âge où les Beatles étaient
déjà séparés et où un certain Dylan,
Bob de son prénom, était en pleine
traversée du désert. Mais à 29 ans,
cet autre Dylan, LeBlanc de son
nom de famille, est encore un jeune
rocker, avec tout à construire. Ses
trois premiers albums faisaient dans
l’americana ouvragée, guitares
acoustiques élégantes, pedal steel
aux petits oignons et cordes délicates
ici et là, l’ensemble sous haut
patronage du Neil Young baladin,
celui des belles harmonies et de la
section rythmique poum-tchakde
l’époque “Harvest”. Sur “Pauper
Fields” (2010), il y avait même
la voix d’Emmylou Harris dans
un coin, histoire de tamponner
l’ensemble d’un certificat de
raffinement et de bon goût. Mais
un bon goût sans trop d’importance
ni de nécessité, comme un Jason
Isbell qui n’aurait pas eu la chance
d’être tout à fait Jason Isbell.


Loin du cliché
Mais Dylan LeBlanc vaut mieux que ça. Tout
chez lui respire l’authenticité, un fantasme de
mauvais garçon sudiste à guitare, dont les
mélodies douces et le cœur tendre ne faisaient
que cacher jusqu’ici la peau dure, et les errances
qui vont avec, lui qui a grandi entre Muscle
Shoals et la Nouvelle-Orléans. On évoque nos
fantasmes, il répond sur sa réalité. “Bah, ce truc
de l’Amérique profonde... c’est une chose de
l’idéaliser de l’extérieur, et une autre de baigner
dans son jus, croyez-moi.”Rock&Folk lui parle


par téléphone, à mi-chemin entre la sortie du
nouveau disque, “Renegade”, au titre bravache
comme une accolade à Tom Petty (“Rebels”,
“Refugee”, “Renegade”, voilà qui ferait une
bonne trilogie de southern pop) et sa venue à
Paris, le 28 août, pour un concert aux Etoiles
qu’il promet “très loin du cliché du show du jeudi
soir, où un mec poli vient chanter ses chansons,
armé de sa guitare et de sa bonne volonté. Non,
nous, on va venir proposer une vraie expérience
rock’n’roll. Il y aura de la sueur, sur la scène et
dans la salle. Garanti.” Entre “Cautionary Tale”
(bel album précédent) et “Renegade”, il y a eu
trois ans et une prise de conscience, le recru-
tement d’un groupe (The Pollies) et d’un
producteur, Dave Cobb, qui a “décrété d’emblée
deux ou trois règles du jeu : pas de piano, pas
d’orgue, que des synthés analogiques, plus un
maximum de reverb sur les guitares et un vieux
préampli Fairchild pour les faire passer dedans.”
Dylan a accepté le deal de sa propre réinvention
(“Born Again”, somptueux second titre), armé
d’une poignée de chansons plus énergiques, plus
tendues, mais non moins splendides. Là où
“Cautionary Tale” sonnait comme une promena-
de à Topanga Canyon en décapotable, “Renegade”
peut faire penser à War On Drugs, en moins esthète,

davantage retour aux sources. Le disque porte
en étendard ses références fin seventies/ début
eighties, quelque part entre “Rumours” (Fleetwood
Mac), “Southern Accents” (Petty) et le Gene Clark
tardif, celui de “McGuinn-Clark-Hillman” et du
groupe CRY. Au bout du fil, LeBlanc apprécie
qu’on lui parle de son “membre favori des Byrds”
et se montre surpris de ce soudain intérêt venu
de France (premier concert en vedette, première
interview pour un magazine hexagonal). Sa
théorie? “Les gens de chez vous préfèrent quand
la musique bouge un peu.” Pas sûr d’être d’accord :
les gens de chez nous sont surtout fascinés par
le rock américain qui “baigne dans son jus”,
comme il dit. Celui qui sonne vrai.

La vérité
chez un homme
Sur ce plan, il y a la voix, qui ne trompe pas.
Haut perchée, mélodieuse mais blessée, comme
la plainte d’un coyote une patte prise dans un
piège à loup, il l’a “développée, au fil de centaines
d’heures de concerts. D’un disque à l’autre, je crois
qu’elle définit une personnalité, quelque chose qui
fait que c’est immanquablement moi, quel que
soit le style choisi.”Cette voix est chargée de vécu,
d’une éducation religieuse aliénante, d’une culture
abusive, de trop de mauvais alcool, de mauvaises
rencontres et de mauvaises ruptures. “Sur mes
disques précédents, la douceur des chansons
était là pour apaiser la douleur. Cette fois, je
l’exorcise d’une autre manière, plus cathartique,
mais cette douleur est toujours là, bien ancrée, et
il est normal qu’elle s’entende. Il y a deux choses
qui disent toujours la vérité chez un homme : son
regard et sa façon de chanter.”★

LEONARD HADDAD
Album“Renegade”(ATO/ PIAS)
Concert le 28 août aux Etoiles (Paris)

Tête d’affiche


Clark de fin
Dernier projet de Gene Clark avant sa
mort en 1991, CRY est l’acronyme de ses
membres : Clark, Pat Robinson et John
York (membre tardif des Byrds). Avec
Nicky Hopkins et quelques musiciens de
studio, la bande enregistre au milieu des
années 80 une vingtaine de compositions
évidemment riches en harmonies vocales.
Après la disparition du Byrd originel,
l’album “After The Storm”, bidouillé
post-mortem — les voix de Clark
n’y figurent pas, quand bien même
on jurerait les entendre — et pas très
officiel permet enfin d’entendre ce
folk rock à la production surannée.

DYLANLEBLANC
Ce songwriter du Sud américain modernise son art sur un “Renegade” remarquable :
un peu de revival FM assumé, beaucoup de chansons imparables. Tom Petty peut dormir en paix.

Fantasme de mauvais garçon sudiste


Photo Alysse Gafkjen-DR
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