Rock et Folk N°625 – Septembre 2019

(Darren Dugan) #1

explorer les limites de ses morceaux. Où se situe cette performance par
rapport aux autres albums live de Creedence? La réponse est simple : il
n’existait pas avant ce “Live At Woodstock” de grand album live du groupe.
Le seul paru dans les années 70 est le “Live In Europe” enregistré à Londres
en 1971 et publié deux ans plus tard. On y entend le groupe en trio — après
le départ du guitariste rythmique Tom Fogerty — sauver les meubles, à
l’énergie. La publication de cet album a tellement mis Fogerty en colère
contre son label (Fantasy), qu’il a ensuite juré de ne plus interpréter de
morceaux de Creedence en solo pendant 20 ans (afin de ne pas reverser
de royalties), ce qu’il a fait. Un autre album live a été publié en 1980 par
Fantasy. Enregistré en janvier 1970 à Oakland, “The Concert” est un
véritable best of qui contient tous les tubes du groupe mais sonne
abominablement plat. De fait, la prestation enregistrée à Woodstock est la
meilleure disponible du groupe, de loin.
Pourquoi alors avoir refusé de publier les bandes durant 50 ans? Pourquoi
avoir refusé de passer dans le documentaire? John Fogerty, toujours dans
son autobiographie, assume son perfectionnisme : “Je suis celui qui a
mis son veto. En dehors du public endormi, la batterie de Doug (Clifford)
s’est cassée, donc elle ne sonnait pas très bien après quelques morceaux. Il
y avait aussi des problèmes avec les lumières et les moniteurs. Mon état
d’esprit était : pourquoi montrerais-je au monde un mauvais concert? Je
ne pensais pas que ça nous aiderait. Je ne percevais pas le film en tant que
document historique de la même façon que je le vois aujourd’hui.”Les
autres membres du groupe, avec qui Fogerty entretient une relation
tumultueuse depuis un demi-siècle (ils se sont attaqués en justice plusieurs
fois) ne cachent pas leur frustration. Doug Clifford déclarait à ce sujet
dans Rock&Folk en 2009 : “C’est dommage qu’on ne soit pas sur les disques
ou dans le film, c’est du pur John Fogerty. Il a dit qu’on n’avait pas bien joué.


Je crois qu’il ne s’est pas marré du tout. En gros il s’occupait de choses
dont il n’avait pas à se mêler.”Cette absence a-t-elle été préjudiciable
pour Creedence Clearwater Revival? Difficile à dire, mais on ne peut
s’empêcher de penser que le groupe aurait affirmé son statut d’incontour-
nable en figurant dans le film et en étant associé à Woodstock.

Les graines de la discorde
Bien sûr, après le festival, Creedence a continué a sortir des singles à succès,
mais sans pour autant atteindre cette place de numéro 1 si convoitée, les
titres suivants (“Traveling Band”, “Looking Out My Back Door”) plafonnant
toujours à une poulidorienneseconde place. Un comble, et un record dans
le genre (cinq singles numéro 2). Il demeure que ce refus de Woodstock
était un signe avant-coureur. Le caractère difficile de Fogerty allait conduire
Creedence Clearwater Revival à la rupture. Intransigeant, rigide et
control freak total, le leader du groupe a rapidement lassé ses comparses.
Après une année 1970 encore gavée de tubes, le groupe a commencé à se
dissoudre. Après le départ de son frère Tom en 1971, Fogerty a continué
en trio avant d’arrêter les frais l’année suivante. Moins de trois ans après
Woodstock, l’affaire était pliée. La seule chose positive qui reste aujourd’hui
de ce festival demeure “Have You Ever Seen The Rain”, que son auteur
présente ainsi quand il l’interprète sur scène : “Je suis allé à Woodstock,
puis je suis rentré en stop chez moi et j’ai écrit cette chanson.”S’il a
beaucoup plu à Woodstock, les paroles de cette chanson peuvent aussi être
interprétées comme annonciatrices de la fin du groupe. Comme si ce rendez-
vous raté avait planté les graines de la discorde, comme si ce soir-là, sur
scène, Fogerty avait déjà senti la fin arriver.★
Album“Live At Woodstock” (Craft/ Universal)
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