Rock et Folk N°625 – Septembre 2019

(Darren Dugan) #1

060 R&F SEPTEMBRE 2019


PAR OU COMMENCER? Par un malentendu qu’il
faut désamorcer. Dans les Rita Mitsouko, Fred Chichin
n’était pas le musicien et Catherine Ringer n’était
pas la parolière. Ils étaient, chacun, les deux à la fois.
Elle a joué sur tous les disques, allumé des mélodies
de forêt. Fred mettait son nez partout, et donc dans les
textes. Pour le reste de la genèse, tout a déjà été dit.
Fred, fugueur, squatteur, taulard, rocker de l’ombre
dans les années 70, Catherine, fugueuse aussi, attirée
par le hors norme, théâtreuse pour voir, chanteuse
pour qu’on l’entende, actrice rose parce que, Piaf
en savait quelque chose, la vie ne l’est pas toujours.
La rencontre à Montreuil, l’étincelle tout de suite.
Paris brûle, merci pour lui. Le look pas comme celui
des autres, Clouseau Musique et donc Virgin, la rue
de Belleville. La lune dans le caniveau. Véridique. On
y était. Une vraie carrière qui commence. Des tubes
aussi, mastoc au début d’un parcours un peu en dents
de scie quand même, parce que les gros médias les
aiment sans les comprendre, parfois l’inverse. Même
Gainsbarre va s’en prendre à Catherine. La réédition
massive de leur œuvre est prétexte à s’épanchersur
leur cas, sur leurs disques. Avec la complicité de Tony
Visconti, Russell Mael et Mark Plati. Champagne!


“Rita Mitsouko” (1984)
Le plus dingue à l’écoute de ce premier album, c’est ce qu’il confirme :
le temps n’a aucune emprise sur Catherine Ringer. Comme toutes les
personnes qui croisent leur visage dans la glace plus ou moins régulière-
ment, elle dirait le contraire, mais les textes de “Restez Avec Moi”,
“Jalousie” ou “La Fille Venue Du froid”, pour ne citer que les trois
premières chansons, Catherine aurait pu les écrire hier et même les
balancer dans une discussion, au cours d’un repas, ou à quelqu’un
dans le métro. Car bien sûr, aujourd’hui comme depuis toujours, c’est
son mode de transport. Peut-être pas
favori, mais elle n’a rien contre. Car
il permet de voir les gens, d’aller à leur
rencontre. En choisissant, en 1984,
d’aller finaliser ce qu’ils avaient
enregistré dans leur coin chez Connie
Plank, le sorcier teuton qui, dix ans
plus tôt avait accueilli Kraftwerk pour
“Autobahn” (et sacrément mis le
feu au goudron), Fred Chichin et sa
douce n’ont pas agi autrement : ils ont
estimé que ce bidouilleur étranger, aussi génial qu’allumé, serait en
mesure de comprendre la tempête sous leur crâne ou plus exactement,
de les aider à l’en faire sortir. En y ajoutant une bonne dose de lui-même,
car Plank ne savait pas agir autrement. L’ouverture, c’est toujours une
preuve d’intelligence et de lucidité. Fondu déchaîné du rock, Fred aurait
pu se sentir apte à tout faire. Mais pour les Rita, ça ne date donc pas
d’hier, créer signifiait aussi partager. Avec les autres et entre eux. Ici,


maniement des boîtes à rythmes compris, ils jouent tout : les guitares,
la basse, les synthés d’autrefois et même du tambourin. Forcément,
plus de trois décennies après, “Marcia Baïla”, l’hommage énergique à
la prof de danse de Catherine qui, un an après la sortie de l’album, a
cartonné gros comme ça, a tendance à occulter le reste. Mais il vaut le
détour et pas seulement à cause de l’inclusion (sur le CD, en 1987) des
singles qui ont précédé sa sortie, dont le superbe “Don’t Forget The Nite”.

“The No Comprendo” (1986)
On les sentait venir, dès le 33 tours précédent, sans même avoir besoin
de tendre l’oreille. Certaines guitares ne trompaient pas, notamment
celles directement inspirées du jeu de Marc Bolan. Tôt ou tard, frotter
leur musique à Tony Visconti, producteur américain de T Rex, alors
tenancier d’un studio londonien, allait sembler naturel. Après tout,
Visconti avait été un des équipiers de David Bowie et, à Rock&Folk,
en 2000, Catherine allait confier : “Le rêve des Rita, au départ, c’était de
faire un disque aussi fin que ‘Ziggy Stardust’ ”.C’est donc à Good Earth
sur Dean Street, à partir de leurs bandes remplies à la maison, que Visconti
va s’impliquer au point que le duo, le temps d’y mettre un peu d’ordre
sans nuire à sa folie, sera une sorte de trio (enrichi de quelques
visiteurs parmi lesquels le percussionniste venu d’ailleurs, Luís Jardim).
Les trois vont donc jouer, chanter (ces chœurs...) et surtout Tony, l’homme
derrière “Hot Love”, “Children Of The
Revolution”, “Heroes” et “Ashes To
Ashes” va faire des tubes de pres-
tige de “Les Histoires D’A”, “Andy”
(également déclinée en anglais) et
“C’est Comme Ça”. Dégoupillées à la
suite en ouverture, ces trois-là avaient
la teneur de l’ordinaire de l’Italo-
Americain, qui n’a eu qu’à raffiner
un poil pour en extraire la moelle pop.
Encore un peu new wave, glam
discoïde, funk comme ce blanc-bec de Fred savait le jouer, et un brin
expérimental, “The No Comprendo” va être pigé par tout le monde, presse
et public. Bien sûr Jean-Baptiste Mondino et Philippe Gautier, clippeurs
au vent des eighties en poupe, seront pour beaucoup dans cette belle
unanimité, mais surtout parce qu’ils sauront filmer Fred (les deux Dupondt
à lui tout seul) et contenir Catherine, grouillante comme un essaim de
tarentules, dans leur cadre.

Encore un peu new wave,


glam discoïde et un


brin expérimental, “The


No Comprendo” va être


pigé par tout le monde


LES RITA MITSOUKO


Tony Visconti :“J’ai eu le plaisir
de rencontrer Catherine et Fred en 1986.
Ils m’ont sollicité pour produire leur album
‘The No Comprendo’. Emmanuel de Buretel,
l’homme à la tête de leur label, m’avait
recommandé. Ils sont venus à Londres pour
me rencontrer et la première chose que j’ai
remarquée, c’est qu’il semblait appartenir à la
génération punk. Sincèrement, je les ai trouvés
un peu arrogants, mais à la fois on avait envie de

les aimer et visiblement, ils portaient des fringues
qu’ils avaient dégottées chez des fripiers ! Je fais
partie des gens qui sont ouverts à tout et, bien
sûr, dans leur musique, j’ai aussitôt entendu des
influences de Bowie et Bolan. Evidemment, je
me suis dit qu’ils avaient frappé à la bonne porte.
Après des débuts un peu chaotiques notamment
à cause des différences dans nos façons de
travailler, un album pop rock à la fois beau
et intense a émergé. Et, sauf erreur de
ma part, le succès a été au rendez-vous.

Fred et moi partagions l’amour des motos...
Pendant l’enregistrement de ‘Marc Et Robert’,
j’habitais à Paris et j’allais bosser à bécane !
On rentrait par l’accès réservé au matériel et on
se garait en plein milieu du studio ! Russell et
Ron, de Sparks, étaient présents également ;
inutile de vous dire qu’on a bien mangé tous les
soirs ! Je n’ai jamais arrêté de suivre la carrière
des Rita, puis celle de Catherine qui a récemment
fait appel à moi pour mixer une chanson
écrite pour les 500 ans de la ville du Havre.”
Photo Luc Quelin-DR
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