DOTE D’UNE MAGNIFIQUE
POCHETTE signée Roger Dean,
“One Live Badger” est un joyau
méconnu, à la fois lourd et
progressif. Composé de gloires
souterraines comme Tony Kaye
et Brian Parrish, Badger est une
troupe d’élite, qui ne restera,
pour l’éternité, qu’une comète
illuminant l’orée des seventies.
- Drame, Tony Kaye se fait saquer
de Yes : ses comparses lui préfèrent Rick
Wakeman. Vexé mais réactif, il se cloître
avec David Foster. Bassiste, chanteur,
compositeur, Foster n’est pas un jeune
premier puisqu’il a épaulé Jon Anderson
au sein des Warriors, puis lui a offert
“Time And A Word”, sur l’opus homonyme
de Yes. Le duo recherche un batteur et
déniche Roy Dyke, passé par Ashton,
Gardner & Dyke. Manque encore un
guitariste, et Roy suggère alors le nom
de Brian Parrish, qu’il connaît de longue
date pour avoir écumé nombre de bouges
ensemble, notamment le Star Club de
Hambourg, avec Tony Ashton. Parrish sort
d’une brève collaboration avec l’ex-Gun
Paul Gurvitz, avec à la clé un superbe
album folk rock ciselé par George Martin...
Le manager de Yes s’empare du prometteur
attelage qui signe, par son entremise, pour
Atlantic (qui n’exige même pas d’écouter
une seule composition). Badger écrit et
répète intensément pendant six semaines,
avant de se roder à la BBC puis à la
télévision. Une idée est lancée : pourquoi
ne pas publier un live en guise de premier
effort? Orginal, audacieux, ou bien
carrément suicidaire puisque Badger n’est
encore jamais monté sur scène... Un concert
inaugural (en ouverture des Groundhogs)
est organisé en guise de test, avec un succès
retentissant. Yes doit justement capturer
quelques shows au Rainbow Theatre de
Londres à l’aide du studio mobile des Rolling
Stones, afin d’assembler un triple album.
Badger étant prévu en première partie,
l’occasion est trop belle. “One Live Badger”
contiendra donc six titres, composés par
David Foster et surtout Brian Parrish, lequel
n’est finalement pas crédité car au centre
d’un litige avec son ancienne compagnie de
management (il ne sera donc pas rémunéré...).
Le fidèle Jon Anderson est convoqué pour
superviser le mixage final, avec Geoffrey
Halsam et Martin Rushent. Contrairement à
nombre de ses contemporains, Badger choisit
de préserver les prestations d’origine intactes
et d’éviter au maximum les retouches. C’est
encore la connexion avec Yes qui permet
la commande d’une superbe pochette à
l’artiste fétiche de ces derniers : Roger Dean.
“One Live Badger” démarre sur la
tonitruante “Wheel Of Fortune” qui met
en lumière la puissance de feu du combo.
Propulsé par la frappe rigoureuse de Dyke
et la basse épaisse de Foster, le brillant
Brian Parrish peut laisser libre court à
une virtuosité jamais démonstrative, avec
un style plutôt épuré, fiévreux, tandis que
Kaye tresse un majestueux tapis d’orgue
Hammond. Les voix blanches de Parrish
et Foster, dans un registre blue eyed soul,
alternent, tentant parfois d’harmoniser.
Le style Badger est original, sorte de R&B
aux fragrances progressives, joué avec une
vigueur heavy. “Fountain” est une élégante
ballade marquée par un synthétiseur
aux sons bizarroïdes. “Wind Of Change”,
longue de sept minutes, est un autre
morceau de bravoure dominé par Parrish.
Il en est de même pour l’irresistible
“River”, boogie au piano frénétique
et aux guitares incandescentes.
Pourtant, la belle promesse va s’effondrer.
Badger s’élance dans une rocambolesque
tournée en compagnie de Black Sabbath à
travers l’Europe. Au programme : émeutes,
incendies et bannissement d’une chaîne
d’hôtels en Italie (une statue du pape
n’aurait “pas été respectée”). Une incursion
aux Etats-Unis, où “One Live” pointe à
la 80èmeplace, est envisagée. Las, Brian
Parrish claque la porte, déprimé par la
vue d’un compte en banque désespérément
vide. Il est rapidement imité par Foster.
Kaye et Dyke embauchent le chanteur
Jackie Lomax (ancien de l’écurie Apple,
fondée par les Beatles), le bassiste Kim
Gardner et le guitariste Paul Pilnick. Cette
formation usine “White Lady” en 1974 à la
Nouvelle Orléans, sous la houlette d’Allen
Toussaint. Jeff Beck est invité à faire parler
la poudre sur la chanson-titre, l’une des
meilleures d’un album plutôt agréable,
même si il ne possède évidemment pas
l’intensité de son prédécesseur, ni même
un rapport avec ce dernier. Lomax pose sa
signature sur la quasi totalité des morceaux,
et impulse un tournant franchement soul,
avec choristes et cuivres, qui ne plaît
pas à tous. Au moment où “White Lady”
investit les bacs, cette mouture de Badger
s’est déjà désagrégée dans la foulée d’une
performance avec Electric Light Orchestra.
Lomax se lance dans une carrière en solo,
à l’instar de Brian Parrish, tandis qu’on
retrouvera Dyke aux toms derrière Pat
Travers. Tony Kaye déménagera à Los
Angeles, devenant le voisin de pallier
— et partenaire de beuverie — de
John Bonham, avant d’embarquer
pour la tournée Station To Station,
au côté de David Bowie.❏
PAR JONATHAN WITT
Highway 666
revisited
BADGER
Groupes hard rock, groupes cultes
Une statue du pape n’aurait
“pas été respectée”
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