Courrier International - 29.08.2019

(Brent) #1

  1. D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1504 du 29 août au 4 septembre 2019


moyen-


orient


—The Times of Israel
(extraits) Jérusalem

B


enyamin Nétanyahou a
fêté un mandat cumulé
de treize ans et cent vingt-
huit jours en tant que Premier
ministre d’Israël – un jour de plus
que David Ben Gourion, le premier
Premier ministre du pays, consi-
déré comme le père fondateur
d’Israël. Cette longévité remar-
quable suscite la curiosité à l’égard
de l’héritage de Nétanyahou, et
sur ce que le public se rappellera

de lui. Mais parmi les réalisations
dont il est particulièrement fier,
et pour lesquelles il recueille un
large soutien, figure l’essor de
l’économie israélienne.
Lors de la dernière Israel
Business Conference, qui s’est
tenue à Jérusalem en décembre,
Nétanyahou a parlé de l’impos-
sibilité qu’Israël connaisse une
série de manifestations de “gilets
jaunes”, disant : “Vous savez pour-
quoi ce genre de manifestations ne
se produit pas [en Israël]? Parce
que les gens connaissent la vérité.

réponse est non. Alors qu’entre
2002 et 2008 le PIB par habitant
du pays a augmenté de 2,3 % par
an, il semble qu’entre 2012 et 2018
le taux de croissance d’Israël n’a
augmenté que de 1,7 %.
Le produit intérieur brut par
habitant est mesuré à l’aide de
plusieurs repères. Ceux fixés par
le Fonds monétaire internatio-
nal (FMI), les Nations unies et la
Banque mondiale classent Israël
aux 21e et 22e rangs – une per-
formance respectable sur une
liste comprenant 190 pays. Mais
lorsqu’on évalue le PIB par habi-
tant en parité de pou-
voir d’achat (PPA),
Israël glisse vers la 32e
ou 37e place.
Il y a un an, Nétanyahou
se vantait qu’Israël
avait surpassé le Japon en matière
de PPA, mais les chiffres fixent
en fait le pouvoir d’achat moyen
des Japonais à 44 200 dollars par
an, contre 38 000 dollars seu-
lement pour l’Israélien moyen,
soit une différence de plus de
6 000 dollars. Les données de
l’OCDE montrent que le pou-
voir d’achat des Israéliens a aug-
menté de 50 % depuis le milieu
des années 1990 – moins qu’en
Bulgarie, en Lettonie, en Irlande
et en Estonie, où les PPA ont
presque triplé.
La croissance de la parité du
pouvoir d’achat qui a eu lieu en
Israël n’est pas un phénomène
nouveau dont Nétanyahou peut
s’attribuer le mérite. En fait, il
y a trente ou quarante ans, de
nombreuses familles israéliennes
étaient financièrement équilibrées
et étaient propriétaires de leur
maison, même si un seul conjoint
travaillait. L’argent valait beau-
coup plus qu’aujourd’hui. Puis
un nouveau concept a été intro-
duit : le coût élevé de la vie (v o i r
chiffres ci-contre).
Les taxes qu’Israël impose sur
les véhicules neufs et les carbu-
rants sont parmi les plus élevées.
Selon Numbeo, une base de don-
nées mondiale sur les prix à la
consommation qui compare le
coût de la vie dans divers pays,
le prix du carburant en Israël est
le quatrième du monde, et le prix
d’une voiture neuve le cinquième.

L’économie israélienne est un énorme
succès.” Il y a eu des manifesta-
tions de “gilets jaunes” en Israël.
Sans violence et plus éphémères.
Mais l’économie israélienne
est-elle vraiment l’histoire de
cette réussite que revendique
Nétanyahou et qu’on lui crédite
généralement? Les données de la
dernière décennie révèlent une
réalité différente, celle que l’Israé-
lien moyen ressent chaque jour.
Concernant le PIB par habitant,
Israël a enregistré des résultats
impressionnants au cours de la
dernière décennie. Selon les don-
nées de l’Organisation de
coopération et de déve-
loppement économiques
(OCDE), le PIB par habi-
tant d’Israël a augmenté
de près de 45 % pen-
dant cette période, passant de
27 500 dollars en 2009 à environ
40 000 dollars en 2018. D’autres
États membres de l’OCDE ont
noté une augmentation moyenne
plus modérée de 34 %, passant de
34 000 à 45 600 dollars. S’agit-il
d’une performance extraordi-
naire? Pas nécessairement.

Pouvoir d’achat. Israël, avec
son taux de natalité élevé et
son pic d’immigration dans les
années 1990, n’est pas compa-
rable aux pays européens éta-
blis et développés, qui éprouvent
plus de difficultés à afficher une
croissance économique substan-
tielle. Quoi qu’il en soit, le PIB par
habitant d’Israël est encore infé-
rieur de près de 6 000 dollars à la
moyenne de l’OCDE. Israël repré-
sente un modèle mixte entre les
pays européens établis et déve-
loppés et les pays en développe-
ment comme la Chine et l’Inde,
qui, grâce à leur point de départ
inférieur, ont pu afficher des taux
de croissance annuels impression-
nants – parfois supérieurs à 10 % –
au cours des dernières décennies.
Selon le rapport de l’OCDE sur
la réforme économique de 2019, si
Israël a affiché un taux de crois-
sance supérieur à la moyenne
de l’OCDE, l’écart entre son PIB
par habitant et celui de la moitié
la plus forte des États membres
de l’OCDE est resté inchangé en
raison de la faible productivité
du travail. Si tel est le cas, peut-
être qu’une comparaison avec
les chiffres de croissance d’Israël
avant la dernière décennie peut
révéler une impressionnante réus-
site de Nétanyahou? Ici aussi, la

Fait crucial, au cours de la der-
nière décennie, le prix des mai-
sons a presque doublé en Israël.
Selon l’indice des prix du Bureau
central des statistiques, le coût du
logement représente 34,3 % des
dépenses totales des ménages,
contre 15,3 % dans l’Union euro-
péenne, ce qui est l’illustration la
plus claire du lourd fardeau sup-
porté par les Israéliens.
Alors, comment les Israéliens
font-ils face au coût élevé de la
vie? Ils contractent des emprunts.
Le crédit net a atteint 23,4 % du
PIB en 2017. Selon la Banque
d’Israël, alors que l’endettement
des ménages a plus que doublé
au cours de la dernière décen-
nie, le revenu disponible n’a aug-
menté que de 50 %, ce qui donne
à penser que tous les emprun-
teurs ne seront pas en mesure
de les rembourser.
Une statistique encourageante
est l’augmentation des salaires.
En ce qui concerne le taux de
chômage, Nétanyahou se vante
fréquemment que les politiques
de ses gouvernements ont réduit
le chômage en Israël à son plus
bas niveau en quarante ans, de
7,5 % en 2009 à 4,3 % début 2019.
Personne ne conteste qu’il s’agit
d’une performance digne de ce
nom, mais là encore c’est une ten-
dance mondiale. Les taux de chô-
mage dans les pays membres de
l’OCDE ont également diminué,
passant d’une moyenne de 8,1 %
en 2009 à 5,3 % en 2019.

Note record. Nétanyahou n’a
pas inventé Internet ou les télé-
phones cellulaires, pas plus qu’il
n’a inventé le concept de billet
d’avion à bas coût ou les achats
en ligne. Il n’est pas seul respon-
sable de la baisse mondiale des
prix de l’électronique grand public
ni de l’abondance de choix qui
s’offre aux consommateurs des
pays développés. Il a cependant
eu la chance d’accéder à des postes
de pouvoir à l’ère de la mondia-
lisation et de la technologie, où
le niveau de vie s’est considéra-
blement amélioré dans le monde
entier. Il peut être crédité d’avoir
poursuivi des politiques faisant
preuve de responsabilité fiscale,
c’est-à-dire celles qui préservent
les données macroéconomiques.
Au cours de la dernière décennie,
le ratio dette/PIB d’Israël est passé
d’environ 75 % à 60 % du PIB, et
sa cote de crédit internationale
s’est améliorée en conséquence.

Israël. Les


mirages


économiques


de Nétanyahou


À la veille des élections législatives
du 17 septembre, le Premier ministre répète
qu’il a fait de l’économie “une énorme réussite”.
Mais les chiffres montrent une réalité différente.

↙ Dessin de Glez paru dans le
Journal du jeudi, Ouagadougou.

Comment les
Israéliens font-ils face
au coût élevé de la
vie? Ils empruntent.

ANALYSE
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