Philosophie Magazine - 09.2019

(Nora) #1
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vérité universellement reconnue. Le rôle de
l’éducation ou de l’imitation est tellement
restreint, pour beaucoup de ces actes, qu’ils
sont entièrement soustraits à notre contrôle
à partir des premiers jours de notre vie et pen-
dant toute sa durée ; tels sont, par exemple, le
relâchement des parois artérielles de la peau
dans la rougeur, l’accélération des battements
du cœur dans un accès de colère. On peut
voir des enfants à peine âgés de deux à trois
ans, ceux-là mêmes qui sont aveugles de nais-
sance, rougir de confusion ; le crâne dépourvu
de cheveux d’un enfant nouveau-né devient
rouge quand il se met en colère. Les petits
enfants poussent des cris de douleur aussi-
tôt après qu’ils sont nés, et tous leurs traits
revêtent alors l’aspect qu’ils doivent offrir
par la suite. Ces seuls faits suffisent pour
montrer qu’un grand nombre de nos expres-
sions les plus importantes n’ont pas eu besoin
d’être apprises ; il est toutefois digne de
remarque que certaines d’entre elles, bien
qu’assurément innées, réclament de chaque
individu un long exercice avant d’en être arri-
vées à toute leur perfection ; il en est ainsi par
exemple des pleurs et du rire. L’hérédité de la
plupart de nos actes expressifs explique com-
ment les aveugles-nés, d’après les renseigne-
ments que je tiens du Rév. R.-H. Blair, peuvent
les accomplir tout aussi bien que les per-
sonnes douées de la vue. Nous pouvons
encore nous rendre compte ainsi de ce fait
que jeunes et vieux, chez les races les plus
diverses, aussi bien chez l’homme que chez


les animaux, expriment les mêmes états de
l’esprit par des mouvements identiques.
Nous avons tellement l’habitude de voir
les animaux, jeunes et vieux, exprimer leurs
sentiments de la même manière, que nous
pouvons difficilement comprendre tout ce
qu’il y a de remarquable dans certains faits
vulgaires : qu’un jeune chien, par exemple,
agite sa queue lorsqu’il est content, abaisse
ses oreilles et découvre ses canines lorsqu’il
veut se donner un air farouche, tout comme
un vieux dogue ; ou bien encore qu’un petit
chat courbe son échine et hérisse son poil
lorsqu’il est effrayé ou en colère, tout comme
le fait un vieux matou. Cependant, lorsque,
dans notre propre espèce, nous considérons
certains gestes, moins communs que les pré-
cédents, et que nous sommes accoutumés
à regarder comme des actes non instinc-
tifs, mais résultant d’une convention, nous
reconnaissons avec une surprise peut-être
excessive en reconnaissant qu’ils sont innés :
tel est l’acte de hausser les épaules en signe
d’impuissance, ou de lever les bras, en ouvrant
les mains et en étendant les doigts, en signe
d’étonnement. Nous pouvons conclure à l’hé-
rédité de ces gestes et d’autres encore, en
les voyant exécuter par des enfants en bas
âge, par des aveugles-nés et par les races
humaines les plus diverses. Il faut encore se
rappeler que l’on a vu se produire chez cer-
tains individus, et se transmettre ensuite à
leurs descendants, parfois en sautant sur une
ou plusieurs générations, certains tics d’une
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