10 |france SAMEDI 31 AOÛT 2019
0123
Sondages
de l’Elysée : Guéant
et Buisson renvoyés
en correctionnelle
Six des plus proches collaborateurs de
Nicolas Sarkozy se retrouveront au tribunal
pour cette affaire qui a commencé en 2009
I
ls constituaient la garde rap
prochée de Nicolas Sarkozy.
Six des plus proches colla
borateurs de l’ancien chef de
l’Etat sont renvoyés devant le tri
bunal correctionnel dans l’affaire
dite « des sondages de l’Elysée ».
Tous se sont côtoyés pendant le
mandat de l’ancien président, du
rant lequel plusieurs millions
d’euros de deniers publics ont été
dépensés pour des sondages et
des conseils en communication
auprès de différentes sociétés qui
ne respectaient pas les règles des
marchés publics. M. Sarkozy, pro
tégé par l’immunité présiden
tielle, ne peut pas être inquiété
par la justice pour ces faits com
mis lorsqu’il était en fonctions.
Selon l’ordonnance que le juge
d’instruction Serge Tournaire a si
gnée mardi 27 août et que Le
Monde a pu consulter, l’ancien se
crétaire général de l’Elysée Claude
Guéant devra comparaître devant
le tribunal correctionnel pour « fa
voritisme » et « négligence ayant
permis un détournement de fonds
publics », comme l’exdirectrice de
cabinet Emmanuelle Mignon.
Quant au conseiller politique Pa
trick Buisson, il devrait être jugé
pour « recel de favoritisme », « dé
tournement de fonds publics » et
« abus de biens sociaux ». Con
seiller de M. Sarkozy, et à la tête
d’une société donnant des con
seils en stratégie au président,
Pierre Giacometti est aussi pour
suivi pour « recel de favoritisme ».
JeanMichel Goudard et Julien
Vaulpré, autres collaborateurs du
chef de l’Etat, sont également ren
voyés pour « favoritisme ». Quatre
sociétés (les entreprises de
M. Buisson, Publifact et Publi
Opinion, celle de M. Giacometti,
No Com, et enfin l’institut de son
dage Ipsos) comparaîtront égale
ment devant le tribunal correc
tionnel, notamment pour avoir
« sciemment recelé le produit des
délits d’atteinte à la liberté et à
l’égalité d’accès aux marchés pu
blics ». Deux autres entreprises –
CSA et Sociovision, auxquelles
l’Elysée avait commandé des son
dages – bénéficient d’un nonlieu.
Le juge d’instruction suit ainsi
les réquisitions du Parquet natio
nal financier (PNF). En novem
bre 2018, la procureure Eliane
Houlette a demandé le renvoi des
protagonistes de cette affaire, de
venue le symbole du mépris de la
présidence envers le respect des
comptes publics.
« Légitimité incertaine »
Découverte en juillet 2009, avec
la visite de la Cour des comptes à
l’Elysée qui pointe les sommes
« exorbitant[e]s » dépensées en
études d’opinion par le nouveau
chef de l’Etat, l’affaire traîne
d’abord autour d’une question :
l’immunité du président de la
République s’étendelle à ses
conseillers?
Le parquet de Paris, du temps de
JeanClaude Marin, avait considéré
que oui. Il s’oppose alors à ce qu’un
juge enquête au nom du « principe
constitutionnel de l’inviolabilité du
président de la République ». S’en
suivent de longs débats juridiques :
la cour d’appel de Paris fait la
même lecture stricte de l’article 67
de la Constitution que le parquet de
Paris, mais la Cour de cassation an
nule cet arrêt en décembre 2012 et
renvoie le dossier au juge.
L’enquête, elle, a duré six ans,
révélant de nombreux abus.
Comme ces commandes de son
dages, passées à des instituts
comme Ipsos ou OpinionWay au
mépris des règles des marchés
publics. Ou ces contrats, signés
auprès des sociétés de proches
du président, sans qu’aucun ap
pel d’offres ne soit passé. Une
pratique qui facilite les excès : Pa
trick Buisson, dont les entrepri
ses Publifact et PubliOpinion
ont été rémunérées plus de
3,3 millions d’euros par la prési
dence, appliquait « une marge bé
néficiaire très largement supé
rieure à ce qui est habituellement
pratiqué dans ce secteur d’acti
vité », indique l’ordonnance de
renvoi. Elle précise que « l’obten
tion de ces paiements exorbitants
[a été possible] en fraude de la ré
glementation des marchés et
qu’ils ont été reçus sciemment
dans le cadre de conventions ob
tenues irrégulièrement ».
Pour leur défense, plusieurs mis
en cause ont évoqué l’existence
d’« une tradition » élyséenne les
dispensant d’appliquer les règles
des marchés publics. Un argu
ment écarté par le PNF. Serge Tour
naire le balaie à nouveau : « Il ne re
vient pas aux autorités exécutives
ni à ceux qui les servent (...) de déci
der de s’exonérer du droit commun
de la commande publique au nom
d’une tradition à la légitimité incer
taine. » Le juge d’instruction souli
gne dans son ordonnance que des
personnels « particulièrement
qualifiés » comme Claude Géant,
haut fonctionnaire, ne pouvaient
ignorer « les contraintes des règles
de la commande publique ».
« La règle n’est pas claire »
Mme Mignon avait certes émis une
interrogation sur l’inobservation
du code des marchés publics. Mais
elle privilégie – selon les termes
de l’ordonnance – « l’exercice de
soumission à une pratique illégale
dont elle n’ignorait pas le caractère
opaque », en signant la majorité
des contrats. M. Tournaire souli
gne « le caractère intentionnel des
agissements reprochés et l’adhé
sion à une représentation d’un
pouvoir présidentiel impérieux
servi et prolongé, le plus souvent de
manière informelle et opaque, par
Claude Guéant, secrétaire général
de l’Elysée ».
Mme Mignon paraphe ainsi la
convention Publifact. Cette sim
ple feuille A4 donne tout pouvoir
à Patrick Buisson pour comman
der les sondages de son choix – et
ce à la demande de Claude
Guéant, secrétaire général de
l’Elysée. Le document était ac
compagné d’une mention ma
nuscrite indiquant : « E. Mignon :
merci de mettre le contrat à la si
gnature et de faire retour d’un
exemplaire à P. Buisson. »
Pour M.Tournaire, il s’agit d’une
« véritable instruction qui démon
tre à la fois son implication dans
la mise en œuvre du choix du chef
de l’Etat de travailler avec Patrick
Buisson et la décision de faire pré
valoir ce choix aux mépris des rè
gles de la commande publique ».
Claude Guéant était « au cœur du
processus décisionnel ayant
abouti à la conclusion de plusieurs
contrats litigieux », estime le juge
du pôle financier, qui doit quitter
le tribunal de grande instance de
Paris pour celui de Nanterre, où il
a été nommé premier viceprési
dent chargé de l’instruction le
12 juillet.
« On voit bien qu’on essaie de
mettre en cause le président lui
même à travers ses collabora
teurs », réagit Me Philippe Bou
chezEl Ghozi, conseil de l’ancien
secrétaire général de l’Elysée, cité
par l’Agence FrancePresse (AFP).
« Mais la partie sera difficile pour le
tribunal sur une question inédite et
très juridique : le code des marchés
publics ne s’était jamais appliqué à
la présidence depuis le début de la
Ve République. Or, si la règle n’est
pas claire, le doute doit profiter aux
mis en cause », atil affirmé.
De son côté, Patrick Buisson a dé
claré à l’antenne de BFMTV, jeudi,
qu’il allait demander « une annu
lation de toute la procédure sur la
base de la partialité du juge Tour
naire ». Ses avocats ont indiqué,
dans un communiqué relayé par
l’AFP, leur intention de faire appel
de l’ordonnance de renvoi.
léa sanchez
Devant le Medef, la droite tente de reconquérir les patrons
Nicolas Sarkozy, Valérie Pécresse ou Xavier Bertrand étaient invités, jeudi, de l’université d’été du mouvement
D
e toutes les écuries poli
tiques représentées,
jeudi 29 août, à la Ren
contre des entrepreneurs de
France (REF) du Medef, celle de la
droite était sans doute la plus
fournie. Anciens du parti Les Ré
publicains (LR), faussement reti
rés de la vie politique ou volontai
rement à l’écart de la campagne
interne qui agite le parti, un
échantillon de ténors de la droite
cultivant leur hauteur a foulé le
gazon de l’hippodrome de Long
champ à Paris.
A l’invitation de Geoffroy Roux
de Bézieux, le président LR de la
région PACA, Renaud Muselier, est
intervenu sur les inégalités, Nico
las Sarkozy sur les questions géo
politiques, Valérie Pécresse sur la
fiscalité, la tête de liste aux euro
péennes FrançoisXavier Bellamy
a participé à un débat sur l’éduca
tion et le président des Hautsde
France, Xavier Bertrand, à une dis
cussion sur le thème des fractu
res. Dans un autre registre, le
maire (LR) de Crest (Drôme),
Hervé Mariton, acteur à ses heu
res, a interprété un texte (Le Dis
cours de Harvard) de l’écrivain
russe Alexandre Soljenitsyne.
Pour la droite, il s’agissait d’affi
cher ses liens avec un patronat sé
duit, à quelques mesures près, par
le quinquennat d’Emmanuel Ma
cron. Sous la présidence de Lau
rent Wauquiez, les relations entre
l’organisation patronale et Les Ré
publicains avaient été abîmées
notamment par la révélation des
propos au vitriol du chef de parti
à des étudiants d’une école de
commerce. « La seule chose qu’ils
veulent, c’est encaisser l’argent »,
avaitil dit de l’organisation patro
nale, formule qui avait beaucoup
déplu à son dirigeant d’alors,
Pierre Gattaz.
« Je ne fais plus de politique »
Jeudi, Nicolas Sarkozy le premier
a fait rire le patronat en assurant :
« Je ne fais plus de politique. » S’af
franchissant des questions qui lui
étaient posées, il a fait étalage de
son expérience de chef d’Etat de
vant un public conquis, en repre
nant des éléments de l’éloge des
hommes forts prononcé en 2018
à Abou Dhabi, la capitale des Emi
rats arabes unis.
« Aujourd’hui tout le monde a le
pouvoir de défaire et de s’opposer,
personne n’a le pouvoir de faire, a
til lancé sous les applaudisse
ments. La démocratie, c’est un vote
pour une organisation verticale
(...). Erdogan a fait l’un des plus
grands aéroports du monde à Is
tanbul, des aéroports fantastiques
se construisent en Asie, et nous, on
met quarante ans à arrêter Notre
DamedesLandes! »
L’ancien chef de l’Etat a ironisé
contre la militante écologiste
suédoise Greta Thunberg, « si
sympathique, si souriante, telle
ment originale dans sa pensée », a
regretté le « contresens histori
que » du Brexit face auquel il a ap
pelé l’Europe à un nouveau traité
« qui permette de reposer la ques
tion aux Anglais ». Il s’est aussi
prononcé pour un groupe asso
ciant l’Europe à la Turquie et la
Russie et a salué dans la foulée
l’invitation d’Emmanuel Macron
à Vladimir Poutine cet été au fort
de Brégançon (Var).
« Aujourd’hui, je ne vais pas faire
de politique comme Nicolas
Sarkozy, je vais vous parler de mon
expérience de présidente de ré
gion », a lancé à sa suite Valérie Pé
cresse, débattant fiscalité. Face au
ministre des comptes publics, Gé
rald Darmanin, la présidente d’Ile
deFrance, qui entend incarner,
hors de LR, à travers son mouve
ment Libres !, une « droite mo
derne, proentreprise, libérale ré
gulée », a marqué ses distances.
« La différence entre Gérald Dar
manin et moi, c’est que je fais ce
pour quoi j’ai été élue (...) je baisse
les dépenses de fonctionnement »,
atelle lancé, qualifiant les baisses
d’impôts du quinquennat d’Em
manuel Macron d’« extrêmement
fragiles, voire peutêtre factices ».
Au cours d’un débat sur la frac
ture sociale et territoriale au côté
notamment d’Alain Minc et de la
secrétaire d’Etat Emmanuelle
Wargon, Xavier Bertrand, qui re
vendique d’être « patron » de ré
gion, s’est adressé à ces derniers
en les invitant à prendre leur part
pour réduire des inégalités. « L’in
térêt général aujourd’hui n’est plus
l’affaire du seul Etat. » Tout en sou
lignant cette urgence, l’ancien
membre de LR a pris position en
faveur d’un contrôle accru des
chômeurs, mais aussi contre les
géants du numérique et les plates
formes. « On est en train de fabri
quer les nouveaux canuts avec les
salariés des platesformes !, atil
dit. Il faut tordre le bras des GAFA
[Google, Apple, Facebook, Ama
zon] avant qu’ils n’étranglent toute
l’économie et sans doute les Etats. »
Encartés ou non, les représen
tants de la droite avaient en com
mun de s’abstraire de la campa
gne interne pour la présidence
qui accapare la rentrée de LR.
« L’élection à la présidence des Ré
publicains, elle ne m’intéresse pas,
a ainsi assumé sur place le député
LR et président de la commission
des finances, Eric Woerth. La
question n’est pas de savoir qui va
être président, c’est de savoir ce
que, collectivement, on est capa
bles de dire. J’attends avec impa
tience que ce débat commence. »
julie carriat
Sous la
présidence
de Wauquiez, les
relations entre
l’organisation
patronale et LR
avaient été
abîmées
Claude Guéant au tribunal pour l’affaire des primes en liquide, le 5 décembre 2018, à Paris. ÉRIC FEFERBERG/AFP
M. Sarkozy,
protégé par
l’immunité
présidentielle,
ne peut pas être
inquiété par
la justice pour
ces faits
J U S T I C E
Prison ferme
contre des cadres de
Génération identitaire
Six mois de prison ferme ont
été prononcés, jeudi 29 août,
à l’encontre de trois diri
geants de Génération identi
taire, après l’opération anti
migrants menée dans les
Alpes par l’organisation d’ex
trême droite le 21 avril 2018.
L’association s’est vu aussi in
fliger une amende de
75 000 euros – le maximum
prévu par la loi. Le tribunal
correctionnel de Gap a suivi
les réquisitions du procureur
de la République, lors de
l’audience du 11 juillet. Les
prévenus, qui feront appel,
dénoncent un jugement « po
litique ». − (AFP.)
S O M M E T D U G 7
350 000 euros
débloqués pour les
commerçants de Biarritz
La secrétaire d’Etat à l’écono
mie et aux finances, Agnès
PannierRunacher, a
annoncé, jeudi 29 août à Biar
ritz, le déblocage d’une
« première enveloppe » de
350 000 euros pour indemni
ser les commerçants dont
l’activité a été touchée par le
sommet du G7 qui s’est tenu
du 24 au 26 août. Cette enve
loppe devrait être versée
avant le 1er novembre. − (AFP.)
Plusieurs mis en
cause ont évoqué
« une tradition »
élyséenne
les dispensant
d’appliquer
les règles des
marchés publics