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SAMEDI 31 AOÛT 2019 horizons| 19
THIERRY ALBA
le ToutParis sa joie de faire partie de l’équipe
des conspirateurs.
Dès lors, les rapports s’enveniment un peu
plus avec Valls. Macron en est certain, il s’en
ouvre d’ailleurs auprès de ses proches, les ru
meurs sur sa prétendue homosexualité pro
viennent du cabinet du premier ministre,
luimême alimenté par un banquier d’affai
res, marqué à droite et surtout très remonté
contre Macron. « Alors moi, d’abord par prin
cipe, jamais, s’indigne Valls. Et jamais ce n’est
venu à mes oreilles. Mon cabinet? Je dis sou
vent que mon cabinet n’a pas été suffisam
ment méchant! Pas suffisamment tacticien.
En revanche, participer à ça, pfff... »
« Il y a eu d’autres trucs, l’affaire de Las Ve
gas, tout ça, c’est pas venu de chez moi, c’est
venu de Bercy », ajoute Valls, en référence à un
déplacement controversé du ministre de
l’économie, en janvier 2016, sur lequel la jus
tice ouvrira une enquête.
Au ministère des finances aussi, l’activisme
forcené de Macron agace. « On savait qu’il
était fliqué par l’étage voisin! s’amuse l’actuel
ministre de l’intérieur, Christophe Castaner,
alors député PS en passe de se rallier à Ma
cron. L’autre, il comptait tout, les repas, les ma
chins... Ses notes de frais? Ils les ont balancées
dans la presse! » « L’autre », c’est Christian
Eckert, secrétaire d’Etat au budget, qui scrute
les dépenses du ministre Macron. Il raconte :
« Tard en 2015, je me rends compte. Il y a beau
coup d’allées et venues, soit au 3e étage dans
son ministère, soit au 6e dans son apparte
ment. Après, quand j’ai habité Bercy, le person
nel me parlait, les collaborateurs aussi. Il fai
sait le maximum de réceptions ; au 7e, il y avait
un apéritif dînatoire plus ministériel, puis il re
joignait un dîner privé, avec quinze convives,
qu’il prenait au milieu... pour se finir à La Ro
tonde avec un troisième cercle! Quand il est
parti, il avait consommé le crédit de l’année, au
milieu de l’année. A ce pointlà, c’est rarement
le cas! Sapin a regardé, après, pour faire un
travail d’investigation. » L’exministre des fi
nances ne dément pas : « L’avantage à Bercy,
c’est que les chauffeurs et les cuisiniers vous
parlent plus que les conseillers! »
Hollande, lui, ne voit toujours rien venir.
Pourtant, à Paris, plus personne ne minore la
montée en puissance de Macron. Seule sa
dream team tente de demeurer sous les
radars. Dès la fin de l’été 2015, le mutique
Ismaël Emelien a enfilé le costume de Lee
Marvin dans Les Douze Salopards. Il recrute un
commando. Son portable greffé à l’oreille, il
débauche à tour de bras. Benjamin Griveaux,
Stanislas Guerini, Adrien Taquet, Cédric O se
retrouvent les uns chez les autres, à partir de la
rentrée 2015. On communique via la message
rie Telegram, on ne laisse rien traîner...
Les réunions se déroulent souvent chez Ta
quet, futur secrétaire d’Etat de Macron, car il
a le plus grand appartement. C’est là, dans sa
cuisine, sur des notes collées sur le frigo, un
soir d’octobre 2015, autour d’une bouteille
de rhum, qu’est mitonné « En marche! ».
Griveaux aimerait bien entretenir la légende
à ce sujet, et protéger la recette. « Qui a trouvé
“En marche (EM)”? On ne le dit pas, juretil.
Car on s’est promis qu’aucun d’entre nous ne
tirerait la couverture à lui. C’est une affaire
d’amitié collective. » Et selon lui, le sigle EM
n’aurait rien à voir avec le patronyme d’Em
manuel Macron. Mais il faut croire que
l’« amitié collective » a ses limites. Car
Adrien Taquet se montre assez clair avec
nous. D’abord, assuretil, Macron doit évi
demment apparaître dans le nom, mais de
manière subtile : « Je pars des initiales : une
des façons d’avoir le lien subliminal, c’est
d’avoir les initiales dans le nom. C’est là où je
leur dis : “En fait, il y a ‘En marche’.” J’avais
trouvé le nom. »
La semaine suivante, débriefing à Bercy, Bri
gitte Macron est de la partie. Un autre nom
est proposé : « 66M », pour 66 millions de
Français. Beaucoup moins bien qu’« En mar
che ». Mais lors du déjeuner, protestations de
François Sureau, exavocat de François Fillon,
souvent présent aux réunions : « En mar
che », ce n’est pas possible. L’avocat y voit des
réminiscences fascistes, la tristement célèbre
marche sur Rome de Mussolini en route pour
le pouvoir. « Pour nous, le nom est flingué »,
renchérit Stanislas Guerini. Et là, Mme Macron
dit : « Moi j’aime bien. » Le nom est adopté.
RUPTURE AVEC HOLLANDE
Dans ces réunions, le futur candidat est sans
tabou. « Cette élection mérite mieux que ça,
c’est pas possible, le retour de Sarko, Hollande
et tout... On ne peut pas laisser aller le pays là,
je veux peser sur cette élection », lâchetil. Sûr
de sa bonne étoile, il balaie l’obstacle Valls.
« Je crois que vous n’avez pas lu L’Art de la
guerre, de Sun Tzu, assènetil à ses troupes.
L’un des préceptes, c’est de ne jamais intégrer
les contraintes de l’adversaire. Et vous ne faites
qu’intégrer les contraintes, arrêtez avec ça! On
va faire notre chemin. » Il ne reste plus à Bru
tus qu’à trahir César.
Début 2016, Macron dévoile ses ambitions
présidentielles à quelques amis de confiance.
A cette époque, il glisse ainsi à Dray : « Hol
lande ne sera pas candidat, tu verras. Et moi, je
ne soutiendrai pas Valls. Moi, je vais faire mon
truc. Je vais m’en aller, je vais m’en aller... » Le
4 mars 2016, dîner très politique à l’Elysée,
qui réunit Hollande, Feltesse, Dray... « Macron
est en train de t’échapper, il est en train de t’ar
river la même chose qu’avec Ségolène Royal, tu
as cru que tu pourrais l’instrumentaliser et fi
nalement... », prévient Dray. Hollande mar
monne un timide « oui ». Et ne fait rien. Alors,
Macron se permet toutes les incartades.
L’enchevêtrement des dates est ensuite ver
tigineux. Le 2 avril, il passe une tête lors d’un
déjeuner à l’Elysée, destiné à plancher sur la
réélection de Hollande. Le 6 avril, il lance En
marche !, à Amiens. Et le 20 avril, c’est l’inter
view à la presse régionale dans laquelle l’in
solent affirme ne pas être l’« obligé » de Hol
lande. Hasard, juste avant la parution de l’en
tretien, Macron est justement à l’Elysée avec
Valls et Hollande. Gaspard Gantzer, con
seiller à la communication du président, s’est
fait communiquer le texte de l’entretien
avant sa publication. Il déboule dans le bu
reau du chef de l’Etat. Il décrit la scène : « Ma
cron fait : “Ah, mais j’ai jamais dit ça, moi...
Vraiment, jamais.” Valls était fou de rage, il se
contenait, la mâchoire serrée. » Commentaire
admiratif de Gantzer : « Chapeau, l’artiste... »
Minc, qui connaît son Macron par cœur,
résume : « C’est à la fois un animal froid et un
personnage empathique. »
La rupture est désormais inévitable. Reste à
trouver la meilleure fenêtre de tir pour quit
ter le gouvernement. Hollande, lui, semble
avoir compris le danger. Enfin! Manuel Valls
est sur le quivive, plus que jamais. Il exhorte
le chef de l’Etat à virer Macron. « Hollande me
dit, rapporte Valls : “Ce n’est pas à moi de faire
la faute, c’est à lui de la faire.” Moi, je suis per
suadé qu’il va partir pour la présidentielle de
- J’ai demandé plusieurs fois sa tête à
Hollande. Macron a compris ce que moi je ne
comprends pas, durant toute cette pé
riode 2016 : que Hollande ne serait pas candi
dat. Ou qu’il serait empêché. »
Au cours de ce mois d’août 2016, la séna
trice socialiste Frédérique Espagnac, très pro
che du chef de l’Etat, déjeune à Biarritz avec
Macron. Qui ne se prive pas de lui confier ses
envies présidentielles. Elle répercute à Hol
lande. Il peut encore réagir. Mais non. Dix
jours plus tard, Macron quitte le gouverne
ment. A ce momentlà encore, « François con
tinue de croire qu’il ne va pas aller au bout de
son aventure », relate Moscovici. Selon lui,
« François Hollande avait déjà perdu totale
ment confiance en lui, il ne savait plus où il ha
bitait. Je ne sais pas exactement à quel mo
ment il a renoncé, mais, de facto, à compter de
juillet 2016, il a un comportement de loser ».
Tout le contraire de Macron.
Lundi 29 août 2016, ce dernier se rend à
l’Elysée pour annoncer son départ. Gantzer :
« Il va voir Hollande dans son bureau et lui dit :
“Je ne suis pas bien, je n’ai pas d’espace”, mais il
ne lui dit pas : “Je pars.” Et donc Hollande lui
dit : “Eh bien, réfléchis, voilà, et on se reparle...”
Et le lendemain, Macron lui fait le coup de la
rupture par SMS! C’est génial, quoi! “Ecoute, je
pars”, il ne lui dit pas en face! » Attali se sou
vient aussi de l’épisode : « Quand Emmanuel
est venu porter sa démission, François lui a de
mandé : “Naturellement, en sortant, tu vas
dire que tu soutiens ma candidature présiden
tielle”, et Emmanuel a répondu : “Non.” Et
François, après, me dit : “Tu te rends compte, il
m’a dit qu’il ne me soutenait pas !” Et Emma
nuel, lui, m’a dit : “Vous vous rendez compte, il
pensait que j’allais le soutenir !” »
Il ne reste plus qu’à terminer le travail. An
noncer sa candidature, si possible avant
même que Hollande ait fait part de sa déci
sion. Macron visite des bureaux pour son fu
tur local de campagne, dans les beaux quar
tiers parisiens, très précisément au... 59, ave
nue de Ségur, là même où Hollande avait ins
tallé son QG en 2012! Ça l’amuse. Mais jugés
peu pratiques, les locaux ne seront finale
ment pas retenus.
Le 6 octobre, ultime tentative de rabibo
chage. Le conseiller élyséen Bernard Poi
gnant se rend au QG de Macron, tour Mont
parnasse : « Je suis venu te voir pour te dire une
chose : vous ne pouvez pas être candidats tous
les deux, François et toi, c’est impossible. Et
pour moi, François sera candidat. Donc il faut
que vous vous entendiez tous les deux, que
vous vous voyiez, vous vous parliez... » Ma
cron promet de passer un coup de fil à Hol
lande, son mentor. Il n’en fera rien.
« APRÈS TOUT, C’EST LA POLITIQUE... »
L’inéluctable est à venir. Il est précipité par la
sortie du livre « Un président ne devrait pas
dire ça... » (Stock), signé par les auteurs de ces
lignes. Publié le 12 octobre 2016, il sert de
rampe de lancement aux macronistes. Chris
tophe Castaner le révèle aujourd’hui : « Nous,
en gros, on a un seul objectif, c’est l’empêche
ment de Hollande. Et puis, il se trouve que c’est
vous qui l’avez empêché! C’est pas nous! Mais
votre livre, quand il tombe, on sait que le pro
blème de l’empêchement est posé, et résolu. »
Le 16 novembre, Macron se déclare candi
dat à l’élection présidentielle. Et quinze jours
plus tard, Hollande annonce qu’il n’ira pas.
« Macron y serait allé même si Hollande avait
été candidat », assure le sénateur François Pa
triat, l’un des premiers socialistes à s’être ral
liés au panache macroniste.
Depuis mai 2017, les ponts sont rompus en
tre Hollande et Macron. Hollande est triste,
touché. Et amer. Le livre, d’abord : « Macron et
Valls en ont fait une opération de décrédibili
sation, c’est Macron qui en a le mieux profité »,
rapportait l’ancien président en février 2018.
Et puis, la déloyauté de son ancien protégé :
« Macron a vu un boulevard. Il a vu le truc
comme quelqu’un d’extérieur au jeu, qui
d’ailleurs ne le comprend pas tout à fait : il est
arrivé par effraction. Je ne pensais pas qu’il
irait jusqu’au bout. Macron, je ne lui reproche
pas d’avoir joué la partie, de s’être prétendu
loyal, après tout, c’est la politique... » Il voit
clair dans son jeu, enfin : « C’est le même mé
canisme, séduction, affection exagérée, et une
fois que j’ai eu ce que je voulais, je pars ailleurs.
L’autre tromperie, c’est de nous avoir fait croire
qu’il était de gauche. »
Il se rappelle la passation des pouvoirs, le
14 mai 2017. Un instant suspendu. Avec un
Macron triomphant? « Gêné, plutôt, l’impres
sion de m’avoir fait les poches. » Le reste, ce
mépris macronien pour son bilan, Hollande
le juge « assez inélégant ». « C’est une forme
d’occultation : “Non, je n’étais pas membre du
gouvernement Hollande, j’étais là, mais je
n’étais pas là...” » Mais Hollande est sur
d’autres chemins, désormais. « Ça me frustre
quand je vois ce qui se passe, nous ditil, tou
jours en février 2018. Je suis quand même res
ponsable de tout ça. La créature m’a échappé. »
On jurerait qu’il rêve de la remettre en cage.
gérard davet
et fabrice lhomme
Prochain article
Cigît le Parti socialiste
« JE SUIS
QUAND MÊME
RESPONSABLE
DE TOUT ÇA.
LA CRÉATURE
M’A ÉCHAPPÉ »,
RAPPORTAIT
FRANÇOIS
HOLLANDE EN
FÉVRIER