d’Éric-Emmanuel Schmitt »,publiée le
28 février dansL’ Obs,sous la plume de David
Caviglioli. Schmitt, un auteur Albin Michel, la
maison de Mickael Palvin, qui sait pertinem-
ment que certaines bookstagrameuses n’ont
pas encore lu le livre qu’elles encensent pour-
tant.«Bien sûr que, pour certaines, on est dans
un univers très communication et c’est pour cela
qu’une chronique de Jérôme Garcin l’emportera
toujoursàmes yeux. Mais les deux univers ne
sont pas en compétition. Chacun possède son
pouvoir de prescription.»Dans leur grande
majorité, ces comptes Instagram mettent plu-
tôt en avant une littérature populaire et
contemporaine. Mademoisellelit confie ainsi
dans l’un de ses derniers posts :«Connaissez-
vousVirginiaWoolf ?Après un sondage en
storypour choisir ma prochaine lecture entre
Virginiad’Emmanuelle Favier (à paraître en
cette #rentreelitteraire) etOrlandode Virginia
Woolf, vous avez choisiOrlando.Malheu-
reusement,ce livre n’était pas pour moi. Je l’ai
abandonné après quelques pages seulement,
trouvant les digressions trop présentes, les
phrases trop longues, le style étouffant. »
Certains comptes toutefois sont plus exigeants,
sans être avant-gardistes pour autant, tel stu-
diolitteraire qui recommande des auteurs
comme Modiano, Atiq Rahimi, Leïla Slimani.
Ce compte aux 21900 abonnés est animé par
Alizé Coulais et Côme Grévy,28ans tous les
deux. Elle travaille au ministère de la culture;
lui, àladirection de l’éducation et de la jeu-
nesse de la Seine-Saint-Denis.«Onnous
demande parfois de quel droit nous parlons des
livres,confie Côme Grévy.Je réponds que j’ai
unpoint de vue de lecteur,pas de journaliste. Je
ne suis pas critique littéraire. C’est comme le
comptoir du bistrot, l’envie de dire “j’aime bien
celivre et voilà pourquoi”. On donne envie aux
gens d’aller acheter des livres et on ne se prend
pas pour ce que nous ne sommes pas.»La dif-
férence avec le comptoir du bistrot, c’est la
caisse de résonance des réseaux sociaux. Lui
aussi raconte cette danse du ventre devenue
folle sarabande de derviches tourneurs :«Les
grandes maisons d’édition disent que près d’un
tier sdes services de pressesontdésormais consa-
crés àdes gens comme nous. Alizé et moi sommes
sollicités pour deux ou trois événements par
semaine. Actes Sud nousainvités pour un petit
déjeuner,nous étions cinq blogueurs pour
autant d’attachées de presse plus la directrice de
la communication.»Comme les autres comptes qui marchent
bien, ils croulent sous les envois de livresàleur domicile pro-
voquant des hernies discales aux facteurs.
Maïté Defives consacre tout son tempsàlire, teniràjour son
compte Instagram et son blog en s’obligeantàpublier au moins
une photo commentée tous les jours.Agathe Ruga tient plus ou
moins le même rythme, même si la naissance récente de son
troisième enfant (record de like pour les photos du bébé et de
sa chambre) l’a obligéeàralentir.Mais les algorithmes qui font
tourner la machine exècrent la nonchalance.«Instagram nous
punit quand on publie moins, les algorithmes mettentmoins en
valeur nos images»,explique Clarine Baudin. Comme Maïté
Defives et Agathe Ruga, qui ont mis leur emploi entre paren-
thèses, elle rêve un jour d’en faire son métier.
Mais comment gagner sa vie grâceàdes photos de livres?Dans
les domaines des voyages, de la beauté, du lifestyle, les person-
nalitésles plus populaires sur Instagram (avec des comptes au-
delà du million d’abonnés) peuvent se voir verser plusieurs
dizaines de milliers d’euros par de grandes marques pour une
seule publication. Le monde de la littérature en est encore très
loin, mais certaines bookstagrameuses ont été sollicitées par
Amazon pour installer sur leur page, contre rémunération (10 %
du prix du livre par acte d’achat), un lien permettant aux abon-
nés d’acquérir directement l’ouvrage recommandé.Apriori,
aucunen’aurait encoresauté le pas, au nom de la défense des
libraires indépendants,mais des éditeurs,eux,réfléchissentàun
éventuel partenariat avec le géant américain. Quant aux place-
ments de produits, ils se multiplient:àcôté d’un livre, une
célèbre bougie parfumée, un champagne, un grand bourgogne,
une montre, un bijou, des produits pour bébé, des vêtements,
un sacàmain, des chaussures... Et des commentaires toujours
très élogieux surles objets.Au risque de perdre sa crédibilité?
Desauteursaussiles sollicitent,proposant parfois Del’argent.
Jamais de grandes stars de l’édition, plutôt des écrivains s’esti-
mant délaissésauprofit des seules têtes d’affiche. Il n’yaqu’à
voir le casting de la remise du premier Grand Prix des blogueurs,
en 2017,àParis :une poignée d’écrivains présents. Deux ans
plus tard, ils se bousculent. Un éditeur :«Les auteurs veulent
tout, le petit mot sur la couverture en librairie, la chronique dans
la presse écrite, l’invitationàlaradio ou au saint des saints, “La
Grande Librairie” de François Busnel. Et, bien sûr,plein de
posts et de jolies photos sur Insta, qui occupe de plus en plus une
place de choix dans ce microcosme.»Parfois,des auteurs vont trop
loin. Agathe Ruga confie avoir dû en«bloquer»quelques-uns
qui devenaient trop insistants.«Certains m’ont harcelée pour que
je parle de leur livre alors que je ne le souhaitais pas. C’était une
pression de dingue.»
De leur côté, les maisons d’édition réclament souvent, avec
plus ou moins de tact, une publication bienveillante en
échange de l’envoi de livres gratuits. Certaines offrent même
une rémunération contre une photo incitative et quelques
mots doux. Faut-il l’accepter?Laquestion déchire celles et
ceux qui refusent,àl’image du studiolitteraire ou d’Agathe
Ruga(«Je ne perçois pas d’argent, ça me dérangerait, on est
d’abord là pour s’amuser »),et celles qui, comme Maïté
Defives,l’acceptent:«J’estimeque toutepeine méritesalaire.
Je ne m’en cache pas, si on me sollicite, je demande une rému-
nération.»La somme peut aller de 80 euros, si un auteur peu
connu demande une photo et un commentaire,à400 euros
pour une journée passée dans un salon littéraire.Elle est l’une
des seulesàassumer ce paiement qui, assure-t-elle, est tou-
jours notifié par un hashtag #collaboration ou #sponsoring.
Garde-t-elle sa liberté de critique,ladistance nécessaire?
«Absolument. Si un livre me tombe des mains, onabeau
m’avoir payée, je ne vais pas le couvrir d’éloges. Le deal est
très clair d’emblée. »Àl’heure qu’il est, elle gagneàpeine
1000 euros par mois. Les éditeurs qui acceptent de payer pro-
fitent du système.«Laconcurrence est rude, le marché du
livre souffre, on fait un métier de crevards,confie une éditrice
parisienne.Vous croyez quoi?Que je préfère dépenser
5000 euros pour une pub dans un magazine, dont les lecteurs
ne s’intéressent pas tous aux livres?Ouverser 100 euros à
un compte Instagram consacréàlalittérature et suivi par des
dizaines de milliers d’abonnés?»Le monde du livre ne fait
pas toujours dans la poésie.