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SAMEDI 31 AOÛT 2019
FRANCE
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Violences conjugales : un Grenelle très attendu
Mardi débuteront à Matignon trois mois de travaux pour améliorer la prévention et la prise en charge des victimes
L’
annonce avait été faite
au début de l’été, au len
demain d’un rassemble
ment parisien pour aler
ter sur le fléau des féminicides.
Mardi 3 septembre débute, à
Matignon, le Grenelle des violen
ces conjugales, qui s’achèvera le
25 novembre, date de la journée
internationale pour l’élimination
de la violence à l’égard des fem
mes. A Paris et en province, des re
présentants des services de l’Etat,
des associations, des personnels
soignants, des élus locaux, des
magistrats, des proches de victi
mes et des avocats échangeront
sur les moyens d’aider les femmes
victimes de violences conjugales.
Au cours de ces trois mois, quatre
vingtonze Grenelle locaux sont
prévus au cours de ces trois mois.
« Tout le monde doit venir avec
ses engagements, ses proposi
tions », explique Marlène
Schiappa, qui a annoncé, jeudi
29 août, le lancement d’un fonds
pour la lutte contre les féminici
des, doté de 1 million d’euros, et
destiné à financer des associa
tions locales. En parallèle, qua
rante ans après la première cam
pagne nationale contre les violen
ces conjugales, est lancée une
opération de communication à
destination du grand public pour
faire connaître le 3919, la plate
forme d’écoute téléphonique des
femmes violentées.
Pour la secrétaire d’Etat à l’égalité
entre les femmes et les hommes et
à la lutte contre les discrimina
tions, il est nécessaire de soutenir
la mise en œuvre d’une « action
coordonnée » pour lutter contre
les violences conjugales, auxquel
les plus de 200 000 femmes té
moignent chaque année être con
frontées. « Il faut décloisonner,
faire travailler ensemble les diffé
rents acteurs », plaidetelle, tout
en se défendant d’organiser avec
ce rendezvous « un Grenelle des
bons sentiments », en guise de ré
ponse aux critiques qui lui ont été
adressées ces dernières semaines.
Plusieurs ministères, notam
ment ceux de l’intérieur, de la jus
tice et du logement, participeront
aux groupes de travail qui seront
constitués autour de trois priori
tés : la prévention des violences
conjugales, la prise en charge des
victimes et la sanction des
auteurs. Le premier ministre de
vrait annoncer les premières me
sures du gouvernement dès mardi
3 septembre, sans qu’on connaisse
à ce stade le budget global qui sera
alloué à cette cause, à quelques se
maines de la présentation du pro
jet de loi de finances.
Former plus de personnels
D’après le rapport « Où est l’argent
contre les violences faites aux
femmes? », publié fin 2018 par le
Haut Conseil à l’égalité (HCE),
506 millions d’euros seraient né
cessaires pour prétendre lutter ef
ficacement contre les violences
conjugales, alors que le budget ac
tuel qui y est consacré est estimé
par le HCE à 79 millions d’euros.
Les annonces d’Edouard Phi
lippe devraient logiquement s’ins
pirer des propositions faites de
longue date par les associations
qui accompagnent les femmes
victimes de violences. Ainsi, pour
Françoise Brié, directrice de la Fé
dération nationale Solidarité Fem
mes (FNSF), qui regroupe soixan
tesept associations, le renforce
ment des dispositifs spécialisés,
de l’accueil dans les commissa
riats aux tribunaux, en passant
par les centres d’hébergement
d’urgence – son réseau gère la
moitié des places existantes –, est
un axe prioritaire. « Sur l’ensemble
du territoire nous avons besoin de
davantage de personnels formés
au repérage des violences, au re
cueil de la parole des femmes. Tout
au long du parcours des femmes
qui essaient d’échapper à l’emprise
de leur agresseur, il est primordial
que des professionnels spécialisés
interviennent, or, aujourd’hui, les
réponses sont très variables selon
les régions », expliquetelle.
Lors du Grenelle, elle militera
aussi pour « une meilleure articula
tion entre les procédures civiles et
pénales et des changements légis
latifs, en particulier pour ce qui tou
che à l’autorité parentale ». A
l’heure actuelle, il n’est en effet pas
rare que des conjoints violents
conservent un droit de visite et
d’hébergement des enfants lors
d’un divorce sur fond de violences
conjugales. Plusieurs féminicides
se sont déroulés dans ce cadre.
« Introduire dans le code civil une
définition claire des violences con
jugales, pour que ce soit mieux pris
en compte par les juges aux affaires
familiales, permettrait de lutter ef
ficacement contre le danger en
couru par les victimes », défend la
FNSF depuis des années.
Même son de cloche à la Fédéra
tion nationale des centres d’infor
mation sur les droits des femmes
et des familles (FNCIDFF), égale
ment invitée au Grenelle. « Nous
sommes aussi favorables à la sys
tématisation du bracelet électro
nique dès la première condamna
tion pour tenir à distance les ex
conjoints violents », ajoute Annie
Guilberteau, directrice générale
de la FNCIDFF, faisant référence à
un dispositif expérimental que le
ministère de la justice souhaite
même voir attribuer dès le stade
de l’enquête préliminaire ou de la
flagrance, ce qui implique des
modifications législatives qui se
ront présentées prochainement.
Sans oublier le renforcement de la
prévention des comportements
sexistes en milieu scolaire, pour
changer « des siècles d’emprise pa
triarcale », mais aussi pour « ac
culturer la société au fait qu’on ne
peut pas passer son chemin quand
on est témoin de signaux d’alerte »,
ajoute Mme Guilberteau.
Pour les associations invitées au
Grenelle, la France est dans l’en
semble dotée d’un arsenal juridi
que solide, mais sousutilisé. Afin
de lutter efficacement contre les
violences conjugales, elles plai
dent pour un recours étendu aux
ordonnances de protection et au
« téléphone grave danger », deux
outils qui ont permis de protéger
les femmes. Ce recours accru est
l’une des recommandations d’une
circulaire adressée en mai par la
garde des sceaux aux parquets,
leur enjoignant de se mobiliser.
Risque de décevoir
Enfin, le renforcement de la for
mation des magistrats, ainsi que
des policiers et des gendarmes,
aux spécificités des violences
intrafamiliales, constitue égale
ment une demande récurrente
des acteurs de terrain. « A moins de
se présenter dans un commissariat
avec trois dents manquantes et le
nez cassé, il est difficile pour les
femmes d’être assurées qu’elles dis
posent d’un espace d’écoute bien
veillant », tempête Anne Bouillon,
avocate au barreau de Nantes, qui
compte de nombreuses victimes
parmi ses clientes. « Les trajectoi
res des victimes montrent qu’on est
encore dans des traitements trop
aléatoires, dénoncetelle. Ce n’est
pas à la hauteur des enjeux. »
Alors que les féminicides et les
violences conjugales bénéficient
d’une visibilité médiatique de plus
en plus forte, la pression qui re
pose sur le gouvernement est vive,
le risque de décevoir élevé.
D’autant que cette séquence politi
que s’ouvre dans un contexte de
recrudescence des cas de féminici
des. Selon le décompte effectué
POUR LES
ASSOCIATIONS INVITÉES
AU GRENELLE,
LA FRANCE EST DOTÉE
D’UN ARSENAL
JURIDIQUE SOLIDE,
MAIS SOUSUTILISÉ
JANVIER FÉVRIER MARS AVRIL
MAI JUIN JUILLET AOÛT
LMMJVSD
LMMJVSD LMMJVSD LMMJVSDLMMJVSD
LMMJVSDLMMJVSDLMMJVSD
Décompte arrêté au 29 août
Décompte réalisé par le collectif « Féminicides par compagnon ou ex », basé sur la presse locale. Ce collectif militant, composé de bénévoles, refuse les dénominations de « drame familial » ou « crime passionnel »,
et inclut dans sa liste tous les événements où la mort violente d’une femme a été provoquée par son conjoint ou ex-conjoint. Plusieurs investigations étant encore en cours, il se peut que certains événements listés ici
s'avèrent relever finalement de causes diérentes (suicide du couple, par exemple). Inversement, certains événements peuvent être absents du décompte actuel et réintégrés par la suite avec les avancées des
enquêtes. Les chires oiciels des morts violentes au sein du couple pour 2019 seront, eux, publiés au cours de l'année prochaine par la délégation aux victimes (DAV) du ministère de l’intérieur. A titre de comparaison,
pour l’année 2018, le collectif a recensé 120 féminicides, contre les 121 morts violentes de femmes comptabilisées par la DAV. Parfois, faute d’informations supplémentaires, la date est celle de la découverte du corps.
1 féminicide
99 féminicides en France depuis le début de l’année
INFOGRAPHIE
LE MONDE
LE BILLET
L’enquête
du « Monde »
sur les féminicides
en France
Depuis le mois de mars, et pour
une année complète, une équipe
d’une douzaine de journalistes du
Monde est mobilisée pour enquê-
ter sur les féminicides, ou meur-
tres conjugaux, commis en
France. L’objectif de cette task
force est de documenter, de la fa-
çon la plus détaillée possible,
comment et pourquoi plusieurs
dizaines de femmes meurent,
tous les ans, en France, sous les
coups de leurs conjoints. Un dé-
compte macabre et continu : pour
les huit premiers mois de l’année
2019, jusqu’au jeudi 29 août, les
associations ont déjà enregistré
99 homicides conjugaux, contre
83, à la même période, en 2018.
Pour analyser en profondeur la si-
tuation en France, et contribuer à
la prise de conscience de sa gra-
vité, nous avons choisi d’enquê-
ter, de façon exhaustive, sur les
120 féminicides identifiés pen-
dant l’année 2018. Dossier par
dossier, nos journalistes tentent
de reconstituer les faits, les histoi-
res, les itinéraires, et surtout cher-
chent ce qui n’a pas été fait, ou ce
qui aurait pu être fait, par la po-
lice, la justice, les services so-
ciaux, afin de prévenir ces meur-
tres. Avec une conviction : une
grande partie de ces féminicides
pourrait être évitée, si la société
française s’en donnait les
moyens.
luc bronner, directeur
de la rédaction du « monde »
jeudi 29 août par les militantes de
la page Facebook « Féminicides
par compagnon ou ex », 99 fem
mes ont été tuées depuis le début
de l’année, contre 83 à la même
époque en 2018. A l’annonce du
lancement du Grenelle, début
juillet, elles étaient 75.
solène cordier
MARLÈNE SCHIAPPA
A ANNONCÉ
LE LANCEMENT
D’UN FONDS POUR
LA LUTTE CONTRE
LES FÉMINICIDES, DOTÉ
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