Causette N°103 – Septembre 2019

(National Geographic (Little) Kids) #1

Ce sera incontestablement l’événe-
ment médiatique de cette rentrée. Le
procès tant attendu arrive enfin. À
partir du 9 septembre, à New York,
l’ex-producteur Harvey Weinstein va
répondre devant la justice des accu-
sations de viol et d’agression sexuelle
qui, il y a deux ans, ont causé sa chute
et lancé le mouvement #MeToo. Face à
lui : Gloria Allred, figure du mouvement
américain pour les droits des femmes,
représente l’une des victimes.
À 78 ans, la célèbre avocate a l’habi-
tude des procès historiques. En 1973,
elle fut l’une des avocates de l’affaire
Roe vs Wade, qui légalisa le droit à
l’avortement aux États-Unis. Depuis,
son engagement féministe n’a jamais
faibli. Violences sexuelles, harcèlement,
discriminations... ses méthodes coup-
de-poing et sa combativité lui ont valu
beaucoup de victoires et pas mal d’en-
nemis. Le président Trump, qu’elle a
accusé en 2016 d’avoir agressé plusieurs
femmes, l’a traitée d’« avocate bidon
travaillant pour Hillary Clinton ». Pas de
quoi déstabiliser l’icône populaire (elle
a eu droit à son propre personnage dans
Les Simpson et à un documentaire sur
Netflix), qui a récemment eu le courage
de raconter son propre viol survenu
dans les années 1960 au Mexique.
Son dernier fait d’armes : avoir réussi
à porter devant les tribunaux, mal-
gré leur prescription, les nombreuses
accusations de viol contre le comédien
Bill Cosby – l’ancienne gloire du Cosby
Show a finalement été condamnée à une
peine maximale de dix ans de prison,
avec une possibilité de libération condi-
tionnelle au bout de trois ans. Cette
fois-ci, Gloria Allred représente Mimi
Haleyi, une assistante de production
qui accuse Harvey Weinstein de l’avoir
agressée en 2006 dans son apparte-
ment de Manhattan. Un témoignage
circonstancié, mais potentiellement
ambigu aux yeux du jury – la jeune
femme serait restée en contact avec le
producteur après son agression.


Comment Gloria Allred appréhende-
t-elle ces audiences ultra médiatisées ?
Pourquoi celles-ci s’avèrent-elles plus
compliquées que prévu ? Qu’attend-
elle de la justice américaine ? Nous
avons rencontré l’avocate, à New York,
à quelques semaines du procès symbole
de l’ère #MeToo.

Causette : Comment vous sentez-
vous à l’approche du jour J ?
Gloria Allred : Je suis fière de ma
cliente. Cela demande un sacré cou-
rage de témoigner dans ce procès
ultra attendu et cette salle d’audience
qui sera remplie de journalistes du
monde entier. Elle va devoir revivre

son traumatisme, alors qu’Harvey
Weinstein aura, lui, le droit de garder
le silence. Les avocats de ce dernier ont
d’ailleurs annoncé qu’ils ne feraient
aucun cadeau. Cela va être tendu. Mais
elle a le sentiment de faire son devoir.

Pourquoi Harvey Weinstein
ne doit-il affronter que deux
de ses accusatrices, alors que
les témoignages se sont comptés
par dizaines dans la presse ?
G. A. : Il y a plusieurs raisons. Primo,
certaines femmes ont pu avoir peur de
témoigner, de parler sous serment, de
subir des contre-interrogatoires qui
sont difficiles à vivre quand on est
une victime. Secundo, certains faits
remontent aux années 1980, ils sont

donc prescrits. D’autres ne se sont pas
passés à New York – or, ici, on ne juge
que les faits qui se seraient déroulés
à New York ; pour les autres, il faudra
attendre les suites des enquêtes qui
ont toujours lieu à Los Angeles ou à
Londres. Enfin, d’autres dossiers ont
été abandonnés par le parquet, car jugés
trop difficiles à plaider devant un jury.

Allez-vous pouvoir appeler
certaines de ces femmes à la barre
en qualité de témoins ?
G. A. : Cela dépend du juge, et je ne
pense pas le savoir avant le début
du procès. Mais c’est pour moi très
important qu’elles soient autorisées à
venir parler. Il faut pouvoir démontrer
qu’Harvey Weinstein était un véritable
prédateur sexuel, qu’il agissait tou-
jours selon le même mode opératoire.
C’est la stratégie que nous avons appli-
quée l’année dernière lors du procès
de Bill Cosby. Une seule victime avait
pu porter plainte, mais nous avons
fait défiler à la barre d’autres femmes
qui ont répété ce qui leur était arrivé :
Bill Cosby les avait toutes droguées et
abusées sexuellement. C’est l’accumu-
lation de ces témoignages qui a fait la
force du procès.

L’une des difficultés du dossier
réside dans le fait que certaines
victimes, comme votre cliente,
sont restées en contact avec Harvey
Weinstein après les agressions...
G. A. : Oui, et c’était déjà le cas dans
l’affaire Cosby. La jeune femme qui
l’accusait avait continué de l’appeler,
car elle devait le faire pour son travail.
Un expert était d’ailleurs venu expli-
quer au jury comment cela est pos-
sible. Il avait remis en cause quelques
idées préconçues sur le comportement
soi-disant « normal » des victimes, ce
qu’elles sont censées faire ou pas après
une agression. J’aimerais qu’il en soit
de même lors du procès Weinstein.
Des choses peuvent nous apparaître

“C’est déjà un véritable
progrès de voir
un homme si puissant
renvoyé devant
un tribunal”
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