Causette N°103 – Septembre 2019

(National Geographic (Little) Kids) #1

Tous les mois, un entretien
aussi profond qu’un pédiluve.


Par DORIAN LESCA


L’INTERVIEW


PEOPLE


Le Minotaure

Pour ce numéro de septembre, le mois de l’année qui nous
rappelle que la vie, c’est pas uniquement des pastis olives à
toute heure, j’ai eu envie de prendre quelques risques pour
vous proposer une interview mythologique. Muni de ma
boussole, d’une pelote de laine et d’un smartphone dernier
cri, je me suis rendu en Crète pour trouver un labyrinthe
censé retenir ce doux mélange de taureau et d’homme
qu’on appelle Minotaure.

Causette : Bonjour Monsieur ? Bonjour Minotaure ?
Minotaure : Appelez-moi Éric.

Ah ! OK. Bon, pas évident, Éric, d’habiter dans un
bordel pareil, quelle idée !? Vous savez qu’aujourd’hui,
on fait des trucs beaucoup moins sinueux et beaucoup
mieux isolés aussi. Il fait hyper chaud chez vous !
Minotaure : Oui, j’en ai vaguement entendu
parler, mais je suis bien, moi, dans ce dédale
de pierres, c’est rassurant et puis c’est
chez moi, c’est comme ça. Ma seule
crainte est de me faire exproprier pour
construire un aéroport ou un centre
commercial. Vous imaginez un peu ?
Le Minotaure relogé dans un apparte-
ment avec interphone et conciergerie ?

C’est sûr que ça a moins de gueule
qu’un labyrinthe. Mais putain, en taxe
foncière ça doit être quelque chose,
parce que vous avez combien là ?
Minotaure : 4 hectares de labyrinthe et 6 hectares de
terrain autour que j’ai jamais eu l’occasion de voir.

Ah oui ! quand même. C’est énorme. Avant de continuer
sur le foncier, j’aimerais comprendre : comment êtes-
vous toujours en vie ? D’après mes professeurs de grec,
Thésée, fils d’Égée, vous aurait collé une méchante
branlée. Que s’est-il passé en réalité ?
Minotaure : Ah oui, encore cette histoire avec ce petit
puceau de Thésée. En bref, c’était y a un bon bout de temps.
J’étais en train de bouffer un reste de cuisse de garçon
envoyé quelques années auparavant par Égée (en passant,
quatorze mioches tous les neuf ans, c’était pas l’orgie, un
peu radin, le roi) et là, je te vois débarquer un petit truc

fébrile complètement à poil, une épée à la main et de quoi
tricoter dans l’autre. Première réaction, évidemment, je
rigole, il faut imaginer la scène quand même.

Oui et ensuite...
Minotaure : Eh bien, je reprends mes esprits et je lui
demande s’il compte sérieusement attaquer quelqu’un
dans cette tenue ! Il me répond que oui, qu’il était là pour
me tuer. Le con. Je lui ai collé une tarte et je lui ai dit de
dégager avant que mon estomac change d’avis quant à la
finalité de notre rencontre. Voilà. Apparemment, il est allé
raconter à tout le monde qu’il m’avait défoncé, il existerait
même des statues de cette bataille...

Oui, c’est exact, on peut voir une grande statue
représentant votre combat au jardin des Tuileries,
à Paris. Ça fait bientôt deux cents ans
qu’elle y traîne et, en effet, tout
le monde est à poil. Les slips, c’est pas
un truc qui vous intéresse ?
Minotaure : Pourquoi faire ? Vous
croyez que je croise beaucoup de
voisins ?

J’imagine que non : « Chérie, je
vais acheter du pain, je vais couper
par le labyrinthe du Minotaure... »
C’est moyennement tentant en effet.
J’aurais plein de questions, or l’interview
touche à sa fin. C’est sympa ici, mais vous
comprendrez que j’ai plutôt prévu de crever d’un
cancer de la gorge à 80 ans que de faim dans un
labyrinthe. Je file. Merci pour ce moment, en même
temps, vous devez pas être surchargé de boulot...
Minotaure : Merci à vous. Non, c’est vrai, à part un peu
d’entretien physique et lire et relire le seul livre de ma
non-bibliothèque, c’est pas la surcharge d’activité.

Ah oui ? Quel livre ?
Minotaure : 500 recettes anthropophages pas à pas.

Bonne ambiance... Allez, bisous.
Minotaure : Attendez, vous êtes sûr que vous voulez pas
rester bouffer ? U
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