Causette N°103 – Septembre 2019

(National Geographic (Little) Kids) #1
La nouvelle création de Céline Sciamma est aussi troublante qu’irrésistible.

Situé dans la France de 1770, ce récit d’un amour foudroyant entre une artiste peintre


et son modèle ose parier sur la sororité. Décryptage avec sa réalisatrice...
Propos recueillis par ARIANE ALLARD

© PYRAMIDE DISTRIBUTION X 2 – C. MATHON

Causette : Vous avez toujours traité de sujets
ultra contemporains jusqu’à présent. Pourquoi ce choix,
tout à coup, d’un film en costumes ?
Céline Sciamma : Vous savez, le cinéma, c’est toujours une
façon de réorganiser un monde. Que l’on parle du présent
ou du passé. Donc là, je ne me suis pas dit : je vais faire un
film en costumes ! Tout simplement parce que ce n’est pas
le genre en soi qui m’intéressait, mais la possibilité de créer
quelque chose de romanesque à partir de ces costumes. De
fait, au départ, je voulais raconter une
histoire d’amour et de création. Plus pré-
cisément, une histoire entre une femme
peintre (Marianne, interprétée par Noémie
Merlant) et son modèle (Héloïse, jouée
par Adèle Haenel). On l’ignore souvent,
mais la seconde partie du XVIIIe siècle a
été un grand moment pour les femmes
artistes. Les peintres étaient nombreuses
et faisaient carrière, notamment grâce à la
mode du portrait. Sauf que, depuis, elles
ont été invisibilisées. Oubliées. Comme
condamnées au secret...


Vous racontez un amour interdit, pourtant votre film
est très doux. En partie parce que Marianne et Héloïse
construisent leur relation sans rapports de domination.
C’est assez inhabituel !
C. S. : En effet, le film n’avance pas sur les dynamiques
de conflits auxquelles on est habitué·es. Il essaie d’être
ailleurs. Déjà, il se construit sur une double temporalité,
puisqu’il chronique la naissance d’un amour, pas à pas, et
qu’il en raconte aussi le souvenir. Il démarre peu ou prou


sur un flash-back. Et puis il y avait mon envie d’une histoire
d’amour avec de l’égalité. Qui ne repose pas, pour une fois,
sur des hiérarchies, des rapports de force ou de séduction
préexistants. Oui, je voulais un dialogue amoureux, qui
s’invente et qui nous surprend. D’ailleurs, le film tout entier
est régi par ce principe du dialogue. Ainsi l’amitié avec
Sophie, la servante. J’avais vraiment envie de solidarité et
d’honnêteté entre les personnages !

Le jeu de regards qui anime votre film
est d’autant plus troublant qu’Héloïse
est incarnée par Adèle Haenel,
votre ex-compagne qui fut aussi
l’actrice de La Naissance des pieuvres,
votre premier long-métrage...
C. S. : Adèle et moi, on a absolument
grandi ensemble ! Le dialogue entre nous
a démarré en 2007, en effet, sur le tour-
nage de La Naissance des pieuvres. Et dès
le départ, ce fut un dialogue intellectuel
puisque l’on a commencé par travailler
ensemble. Cette conversation n’a jamais cessé depuis. Le
rôle d’Héloïse dans Portrait de la jeune fille en feu a donc
vraiment été pensé pour elle. Avec l’idée de montrer une
Adèle neuve, qui pose sa voix diffé-
remment et bouge autrement. Je dois
dire que nous avons travaillé avec une
grande précision sur le plateau. Oui,
décidément, il n’y a pas de muses dans
ce film, que des collaboratrices ! U
Portrait de la jeune fille en feu,
de Céline Sciamma. Sortie le 18 septembre.

Portrait

de la jeune

fille en feu

TABLEAU D’HONNEUR

CINÉMA


Céline Sciamma.

Adèle Haenel et
Noémie Merlant.
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