Première N°499 – Septembre 2019

(Nancy Kaufman) #1
ALLEZ-Y SI VOUS AVEZ AIMÉ Boys don’t cry (2000), Breakfast on Pluto (2006),
Une femme fantastique (2017)

Pays USA • De Danielle Lessovitz • Avec Fionn Whitehead, Leyna Bloom,
McCaul Lombardi... • Durée 1h 34

Fionn Whitehead et Leyna Bloom © ALEXANDER LAURENT

25 SEPTEMBRE |


PORT AUTHORITY


Une histoire d’amour enivrante et enfiévrée


dans un New York interlope loin des clichés


d’une Big Apple gentrifiée. Une réussite.


C’est une histoire d’amour. Une histoire d’amour pas comme les
autres, pourrait-on préciser. Mais puisque ça ne veut pas dire grand-
chose, on s’en passera. Un mélodrame, c’est par essence au-dessus
de tout, des conventions, des humeurs, de la morale... En cela, le
long métrage de Danielle Lessovitz (son premier) pourrait paraître
presque conventionnel. Soit l’histoire de Paul (Fionn Whitehead
découvert dans Dunkerque de Nolan), un white boy qui tente de
joindre les deux bouts à New York et se retrouve ainsi à racketter
de mauvais payeurs. Paul rencontre Wye par hasard. Elle danse, elle
est belle, elle est noire, elle vit au sein d’une famille «voguing»
qu’elle s’est recréée. Il l’observe un peu à distance, forcément. Coup
de foudre. Traversée du miroir. Voilà Paul enfin admis dans une
fa m ille. Et puis vient le temps des révélations (le job à la con de Paul,
la vraie identité de Wye) et donc, des déceptions. Tout ça est filmé
très près des corps, dans l’intimité cloisonnée de petits apparte-
ments de Harlem. Port Authority est un film im mensément cha r nel
où le désir s’exprime avec intensité. Dommage que Danielle
Lessovitz divise en revanche son scénario, traçant une frontière peu


poreuse entre des Blancs hétéros bas du front et une faune interlope
forcément plus humaine. Reste Paul qui évolue, perdu, d’un monde
à l’autre. Face à lui, Wye (formidable Leyna Bloom, mannequin et
actrice transgenre) sait où est sa place, du moins celle qui lui sert de
port d’attache pour poursuivre ses rêves. Le film, présenté lors du
dernier Festival de Cannes, est une réussite. u TB

ALLEZ-Y SI VOUS AVEZ AIMÉ C’est quoi la vie? (1999), La Vie moderne (2008),
L’Apprenti (2008)

Pays France • De Édouard Bergeon • Avec Guillaume Canet,
Veerle Baetens, Anthony Bajon... • Durée 1h 43

Guillaume Canet © NORD-OUEST FILMS

25 SEPTEMBRE |


AU NOM DE LA TERRE


Inspiré de l’histoire de son propre père, Édouard


Bergeon signe une saga familiale qui raconte le


monde agricole depuis quarante ans. Émouvant.


Si on ne compte plus le nombre de comédies, de films de super-
héros ou de portraits de familles dysfonctionnelles qui squattent les
salles, la place occupée par le monde paysan sur grand écran reste
réduite à peau de chagrin. Mais attention à ne pas céder à la facilité
de vouloir comparer à tout prix les rares films en question. Ainsi,
Au nom de la terre n’a réellement en commun avec le récent Petit
Paysan que le lieu de son action: une exploitation agricole. Pour
le reste, là où Charuel lorgnait du côté du thriller sur fond d’effets
dévastateurs de la vache folle, Édouard Bergeon déploie, quant à
lui, une véritable saga familiale inspirée de la tragédie vécue par
son propre père, qui reprenait en 1979 la ferme de son grand-père
et subissait de plein fouet le basculement de l’agriculture dans une
nouvelle ère. Celle où les dettes étranglent les petits exploitants et où
les banques se montrent plus promptes à financer des projets pha-
raoniques irréalisables qu’à accorder un minuscule crédit. Au nom
de la terre décr it la fin inéluctable d’un monde. Mais il le fait à hau-
teur d’hom me, refusant d’empiler les grandes théor ies pour raconter
vraiment de l’intérieur les pulsions suicidaires, la jalousie entre paysans,


les couples qui vacillent... Modeste dans sa mise en scène, Bergeon
rend le plus digne des hommages à son père, ne sacrifiant jamais
à la sensiblerie. Il est accompagné par un Guillaume Canet bou-
leversant, entouré par les non moins magnifiques Veerle Baetens,
Anthony Bajon, Rufus... La vérité qui émane de ce collectif vous
hante longtemps après la sortie de la salle. u TC
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