MondeLe - 2019-08-27

(Ron) #1

16 |horizons MARDI 27 AOÛT 2019


François Hollande,


la faute originelle


PS, SEPT ANS DE TRAHISONS  1  |  


Depuis 2012, le Parti socialiste ne cesse


de se désintégrer, miné par les haines internes.


Nos journalistes Gérard Davet et Fabrice


Lhomme reviennent sur les coulisses


de cette implosion qui a conduit, in fine,


à l’élection d’Emmanuel Macron.


Premier volet : les reniements du président


E


t en plus, il pleut. Ambiance lu­
gubre, à Ivry­sur­Seine (Val­de­
Marne), ce 5 juin au soir. De gros­
ses gouttes fendent la grisaille
pour s’écraser sur la verrière, au
premier étage du nouveau siège
du Parti socialiste, situé au fond d’une petite
cour anonyme qui se révèle être un parking
d’entreprise. Une voie de garage, plutôt. Le
parti de Jaurès, détenteur de tous les pou­
voirs en 2012, est donc devenu cette PME ban­
lieusarde que même le GPS du chauffeur
Uber ne parvient pas à localiser. Rayé de la
carte, ou presque.
En ce début de soirée, les bureaux vitrés
semblent déserts, plongés dans une semi­
obscurité. Tel un fantôme, Olivier Faure sur­
git. Voilà un peu plus d’un an, depuis son
élection comme premier secrétaire, qu’il
traîne le boulet socialiste. « Je suis devenu
l’homme­sandwich du PS, dit­il drôlement.
Les gens ne savent plus à quoi rattacher le so­
cialisme. » Un sourire timide, et le nouveau
patron de ce qui reste du parti s’attaque au bi­
lan de François Hollande. A sa manière, effa­
cée mais ferme. « Une forme de facilité, de pa­
resse intellectuelle a gagné la gauche, qui nous
a amenés à être des gestionnaires, observe­
t­il. Ce qu’on a perdu dans ce quinquennat,
c’est une forme de fiabilité. » Et le procureur
Faure de conclure son réquisitoire par cette
formule, sans appel : « Je considère qu’il y a eu
des moments de trahison, oui. »
Trahison. Le mot est lâché. Faure l’avait déjà
utilisé, en janvier, au moment de dresser l’in­
ventaire du quinquennat. « J’ai détesté le
terme de “trahison”, et je lui en veux », réagit
Michel Sapin, ancien ministre et désormais
conseiller de l’ancien président Hollande. Lui
préfère parler d’« erreurs graves ». Question
de sémantique.

« LE CHANGEMENT, C’EST MAINTENANT »
A en croire ses contempteurs au sein du PS, et
il n’en manque pas, François Hollande n’a
pas attendu le pacte de responsabilité, la loi
travail ou la déchéance de nationalité –
autant de motifs de rupture avec une partie
de ses soutiens historiques – pour renier ses
promesses. Les espoirs de la gauche, il les
aurait douchés et enterrés dès ses premiers
pas à l’Elysée, au printemps 2012. Faure se
souvient du slogan, mille fois craché par les
enceintes lors des meetings de la campagne
présidentielle : « Le changement, c’est mainte­
nant. » Lancinant et efficace. Il y a eu mal­
donne, à l’en croire : « Dans la tête de François
Hollande, c’était le changement de président.
Dans la tête des Français, c’était le change­
ment dans leur vie. »
Si les caciques du PS ont, dans l’ensemble,
une vision très négative d’un quinquennat
qui a tant désespéré le fantasmé « peuple de
gauche », ils ne se privent pas d’en imputer
l’essentiel de la faute au seul François Hol­
lande, bouc émissaire bien commode de
tant de renoncements collectifs. Même
ceux dont l’ex­président se sentait proche
en font désormais leur souffre­douleur. « Si
on recherche les responsabilités, la principale
va à Hollande, je le dis avec tristesse », lâche
ainsi Jean­Marc Ayrault, premier ministre
de 2012 à 2014.
Constat similaire pour François Rebsamen,
l’ex­ministre du travail : « J’en veux davantage
à Hollande. De ne pas s’être imposé. » L’éter­
nel conseiller de l’ombre Julien Dray l’ex­
prime avec d’autres mots : « Hollande porte
une responsabilité importante. Quand tu lis
son livre [Les Leçons du pouvoir, Stock, 2018],
il a raison sur tout, et c’est la faute des autres!
Ce n’est pas vrai. » Jusqu’à son ex­compagne
Ségolène Royal, assassine : « Hollande a trahi
plus que Macron! Déjà sur le plan person­
nel... » Apparemment, en politique aussi, la
parole se libère.
Et si la genèse de cette désillusion générale
remontait au mois d’octobre 2011? Cinq
mois après le choc de la brusque mise hors
course, dans un hôtel new­yorkais, du favori,
Dominique Strauss­Kahn, François Hol­
lande remporte la primaire face à Martine
Aubry, la patronne du PS. C’est lui, le « Petit
Chose » du parti, dénigré depuis toujours
dans son propre camp, qui défiera Nicolas
Sarkozy en 2012. « On s’était réunis un diman­
che à Neuilly­sur­Marne [Seine­Saint­Denis],
quinze jours après sa victoire, se souvient
Rebsamen. Il y avait les fidèles, une quin­
zaine... On vote à l’unanimité pour qu’il n’y ait
pas d’accord avec les Verts et que les circons­
criptions [en vue des législatives] soient ré­
servées par nous, et pas par Martine Aubry.
Hollande s’en foutait. Il nous dit : “Oui, oui,
c’est la position qu’il faut avoir.” Et dès qu’il ar­
rive à Solférino [le siège parisien du PS à
l’époque], il s’incline devant Martine. »

Il faut dire que cet homme­là abhorre les
conflits encore plus, peut­être, qu’il déteste
Martine Aubry. « Le ver est dans le fruit, es­
time Manuel Valls, qui fut lui aussi son pre­
mier ministre. Hollande ne fait pas le mé­
nage, il accepte le nombre de candidats impo­
sés par Aubry, il a réussi à sauver Olivier
Faure, et c’est tout. » De toute façon, le prési­
dent pense que la victoire emportera tout
sur son passage, et que son intelligence tacti­
que fera le reste. « Il s’est cru plus habile que
les autres, gronde Rebsamen. C’est son dé­
faut. Je lui ai pourtant dit : “L’habileté n’est
pas une politique en soi.” Il m’a répondu,
comme toujours : “Oui, tu as raison”... » Dans
un soupir, « Rebs » lâche : « Des erreurs, il y en
a eu beaucoup... »
Des instants de félicité, aussi, parfois,
comme ce meeting du Bourget (Seine­Saint­
Denis), au nord de Paris, le 22 janvier 2012.
Hollande semble alors habité, en lévitation,
et prononce la fameuse phrase qui lui collera
ensuite à la peau, tel un créancier insistant
que l’on croise tous les matins. « Mon vérita­
ble adversaire, c’est le monde de la finance »,
martèle­t­il dans un discours emporté et fié­
vreux. La gauche en est toute retournée ; elle
s’est trouvé un héros. C’est le début d’un im­
mense malentendu. « Moi qui le connais de­
puis perpète, ce n’est pas lui, ce ne sont pas ses
mots, assure l’ancien premier secrétaire du
PS Jean­Christophe Cambadélis. Il était
transcendé ce jour­là. Lui qu’on a toujours
méprisé, dont on a toujours pensé que c’était
un Mister Nobody... D’ailleurs, il y a un mo­
ment de grâce quand il descend de la tribune :
il m’embrasse! »

SURENCHÈRE À GAUCHE
Au Bourget, il n’y a plus que des convertis.
« J’ai une grande satisfaction, notre projet a
gagné, pas notre candidate », se souvient
Jean­Marc Germain, un proche d’Aubry. « On
est ressortis totalement regonflés du Bourget.
Je me revois faire du porte­à­porte ensuite,
comme un fou, adhérant presque au candidat
Hollande! », se rappelle pour sa part Emma­
nuel Maurel. « Mais Hollande est un cynique,
un vrai », précise aussitôt le député européen,
passé depuis chez les « insoumis ».
Benoît Hamon se souvient aussi avoir sa­
vouré l’instant : « Est­ce que j’ai cru qu’on allait
être les ennemis de la finance? Pas une se­
conde. Mais ça fait plaisir à entendre! » Quoi­
que sceptique au départ – et un peu envieux
–, Pierre Moscovici, futur ministre, se prend à
y croire. Il déchantera vite. « Je n’ai franche­

ment aucune forme d’admiration pour lui, lâ­
che­t­il à propos de Hollande. Le seul moment
où j’ai cru en lui, c’était pendant la campagne.
Je me suis dit : “La chrysalide fait sa mue, il va
être un bon président.” Je me suis trompé... »
Ségolène Royal se triture les méninges lors­
qu’on lui rappelle la fameuse tirade sur la fi­
nance : « Je ne sais pas si cette phrase est de
lui... Je me demande même si ce n’est pas une
reprise de mes discours de 2007! Aquilino Mo­
relle m’a beaucoup repompée, c’est un spécia­
liste de ça », glisse­t­elle à propos de l’an­
cienne « plume » de Hollande. Ironique, elle
ne ménage pas son ancien compagnon :
« Hollande a dû avoir peur en la prononçant,
genre : “Ça fait gauchiste, je fais du Mélen­
chon, c’est pas mon truc !” Ce n’est pas ce qu’il
pense intimement. Il était exalté. »
Porté par ce candidat euphorique, le PS
conquiert l’opinion. Hollande, lui, se sent
pousser des ailes, au point de grimper sur
une fourgonnette sur le site industriel me­
nacé de Florange (Moselle), de donner des
gages de gauchisme, et même d’inventer
une taxe à 75 % pour les super­riches à la­
quelle personne ne croit dans son entou­
rage... « Honnêtement, c’était une connerie, je
suis le seul à le lui dire. Mais c’était un mo­
ment où Mélenchon montait... », rapporte
Moscovici. « Ça ne correspond pas à son
identité, à ce qu’il pense profondément », ren­
chérit Ségolène Royal.
Mais il faut vaincre, quitte à verser dans la
surenchère. Survolté, le candidat Hollande
sème les graines du succès, qui sont égale­
ment les germes de la trahison et, in fine, de
l’échec. « Une campagne est toujours dans
une forme d’outrance, nous avouera­t­il en
avril 2015 (Un président ne devrait pas dire ça,
Stock, 2016). “La finance, c’est mon adver­
saire, elle n’a pas de visage”, etc. L’outrance...
Mais qu’est­ce qu’on retient d’une campagne?
On retient des formules. » Qui vous poursui­
vent, et vous marquent parfois au fer de la fé­
lonie idéologique.
Hollande est élu sur une promesse, qui se
révélera être une posture et une imposture à
la fois : changer le cours des choses, la desti­
née de la France, le fonctionnement de l’Eu­
rope, la marche du monde, même... « On veut
le dominer, le système, on ne le change pas! »
Voilà en réalité le fond de sa pensée, qu’il
nous livrera un soir de décembre 2015. C’est
ainsi : le réaliste Hollande a toujours été aller­
gique à l’utopie.
Quand vient le moment de nommer un
premier ministre, son choix se porte sur le

malléable Ayrault, et surtout pas sur la revê­
che Aubry. Le 7 mai 2012, lendemain de son
élection, il se rend à la questure de l’Assem­
blée nationale, où il rencontre la maire de
Lille. « Je suppose que je ne te propose rien?
Parce que tu aurais pu être numéro un bis,
avec un grand ministère », lui lance­t­il. « Tu
ne peux pas avoir deux premiers ministres, ré­
pond­elle. Si je suis derrière Jean­Marc Ayrault,
il n’aura pas d’autorité sur ses ministres. »
Valls le dit aujourd’hui, sur le plan pure­
ment politique, le péché originel est peut­
être là : l’incapacité de Hollande à faire fi de
ses préventions personnelles pour nommer
Aubry à Matignon. « C’était la logique, insiste
Valls. Mais... ça ne pouvait pas marcher entre
eux : elle le méprise, et lui ne supporte pas de
lui parler. » Rebsamen en convient à son
tour : « Il aurait dû prendre Aubry comme pre­
mier ministre. Je le lui ai dit. Il m’a répondu :
“Ce sera une cohabitation, tout de suite.” Ils
ne s’aiment pas. »
De toute façon, pour paraphraser Brassens,
au village socialiste, sans prétention, la
maire de Lille, qui n’a pas souhaité répondre
au Monde, a très mauvaise réputation.
« Quand Aubry parle des gens, elle ne dit que
du mal », assure Ségolène Royal. « C’est pres­
que pathologique, abonde l’ancienne minis­
tre Marisol Touraine, elle dit aussi du mal des
gens pour qui elle a de l’affection! »

AYRAULT LE MAL NOMMÉ
Voici donc l’intègre Ayrault catapulté à Mati­
gnon. Ayrault et sa ligne molle, encore
moins considéré que Hollande au PS, c’est
dire. Ayrault le mal nommé, dans les deux
sens du terme, pour une gauche en manque
de démiurge charismatique depuis la chute
de DSK. « Il était loyal mais n’avait pas les ca­
pacités », tranche Moscovici. « Ayrault? Un
sale bonhomme, un type sans affect, qui ne
manage pas, rancunier, ne promotionnant
pas les jeunes, les considérant tous comme
des rivaux », assène Valls. Qui ajoute : « Hol­
lande se met dans la nasse avec le choix du
premier ministre. »
Si, à la différence de la droite, la gauche se
déchire d’abord sur l’idéologie, les guerres
d’ego ne lui sont pas étrangères. Que d’arriè­
re­pensées camouflées, d’aigreurs refoulées,
de mépris additionnés autour de la table des
premiers conseils des ministres. Chaque
mercredi matin, Benoît Hamon, jeune mi­
nistre délégué à l’économie sociale et soli­
daire, observe les attitudes des uns, les rica­
nements des autres. « Il y en a au moins cinq

« EST­CE QUE J’AI 


CRU QU’ON ALLAIT 


ÊTRE LES ENNEMIS 


DE LA FINANCE ? 


PAS UNE SECONDE. 


MAIS ÇA FAIT 


PLAISIR 


À ENTENDRE ! »
BENOÎT HAMON
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