MARDI 27 AOÛT 2019 international| 3
Les antiG7 ne sont pas parvenus
à mobiliser massivement
Le déploiement policier et l’approche des municipales pour les élus
basques ont dissuadé les militants, qui ont annulé un rassemblement
anglet, bayonne envoyés spéciaux
C
e devait être la dernière
initiative des antiG7 ras
semblés non loin de Biar
ritz, où se tient le sommet officiel,
mais celleci a finalement été an
nulée dimanche 25 août en mi
lieu de journée. Une jolie carte
avait même été distribuée, les
jours précédents, aux milliers de
participants au contresommet
organisé par deux coordinations
(la basque G7 EZ! ou « non au
G7! », et la française Alternatives
G7) pointant sept « cibles » autour
de Biarritz. Ainsi, les mairies de
Bayonne et d’Anglet et différents
rondspoints dessinaient une
« zone arcenciel, symbole des dif
férentes luttes et revendications »,
expliquaient les organisateurs.
Las, tout a été annulé. Faute de
combattants, beaucoup étant re
partis dès la veille, après la mani
festation qui a réuni 15 000 per
sonnes, selon les organisateurs,
et a clos officiellement le contre
sommet qui s’est tenu à Hendaye
et Irun, du 21 au 23 août. Sur la
longue plage qui porte le joli
nom de Chambre d’amour, à l’an
nonce, dimanche midi, de l’an
nulation de la manifestation,
trois militants ne cachaient pas
leur déception. « Nous sommes
venus exprès de SaintEtienne, on
a dormi au balltrap d’Urrugne et
il n’y a personne! »
L’un est un ancien militant de la
CGT, tous ont participé aux mani
festations des « gilets jaunes » et
s’affirment anticapitalistes. En ar
rivant vendredi sur la côte bas
que, pour la fin du contresom
met, ils espéraient retrouver la
chaleur des défilés. Rien. Cette
longue plage d’où l’on voit le
phare de Biarritz, où a eu lieu sa
medi soir le premier dîner de sept
dirigeants des pays industrialisés,
est vide de manifestants.
« Faire preuve de responsabilité »
Sur les planches, devant l’océan
où glissent inlassablement les
surfeurs, la porteparole d’Attac et
d’Alternative G7, Aurélie Trouvé,
répond presque seule aux journa
listes. La nuit même, annoncet
elle, Joseba Alvarez, une figure de
l’indépendantisme basque, mem
bre de la coordination G7 EZ! et
de la gauche abertzale, a été arrêté.
Il faisait l’objet d’une interdiction
de territoire jusqu’au 29 août.
« Avec son arrestation et la ving
taine de blessés légers que nous
avons eue, nous avons décidé de
faire preuve de responsabilité et
d’assurer avant toute chose l’inté
grité des manifestants », explique
telle. La veille, quelques affronte
Pour les responsables d’associa
tions telles Attac, il s’agissait d’une
autre période de l’altermondia
lisme, les rassemblements antiG
ou G8 drainant dorénavant des
foules souvent moins importan
tes. Lors du dernier G8 tenu en
France, en mai 2011 à Deauville
(Calvados), les « anti » n’avaient
été que 7 000 à défiler au Havre
voisin. Cette même année, ils
étaient moins de 10 000 à défiler à
Nice contre le G20 de Cannes
(AlpesMaritimes).
Alors, pour les organisateurs,
réunir 15 000 personnes sur le
port d’Hendaye reste un vif suc
cès, d’autant que la concurrence
fut rude avec les fêtes incontour
nables du Pays basque comme
celle de Bilbao, qui se tenait en
même temps. « Dans un contexte
d’occupation policière qui faisait
craindre aux gens de ne pouvoir
passer la frontière, dans ces condi
tions spéciales de psychose totale,
rassembler autant de monde est
un succès. Toutes les salles du Fi
coba [salle d’Irun où se tenait le
contresommet] étaient trop peti
tes pour accueillir les participants.
Et réussir “la marche des portraits”
[les photos officielles d’Emma
nuel Macron dérobées dans les
mairies] à Bayonne, où toute ini
tiative était interdite, montre nos
capacités à mobiliser », conclut
Txetx Etcheverry, porteparole de
Bizi! et cofondateur d’Alternatiba.
Pied de nez aux forces de l’ordre
Dimanche matin, 14 des 128 por
traits officiels du président Ma
cron, « réquisitionnés » lors des
derniers mois dans les mairies de
la France entière, ont été brandis
lors d’une déambulation de plu
sieurs centaines de personnes
dans les rues du PetitBayonne.
Tous portaient des cadres embal
lés, de façon à perturber d’éven
tuelles saisies par la police des
portraits officiels.
Mais les gendarmes mobiles se
sont contentés de laisser passer
les manifestants, et les organisa
teurs ont pu tenir une conférence
de presse devant des dizaines de
journalistes de la presse interna
tionale, en présence de Susan
George, figure de l’altermondia
lisme et présidente d’honneur
d’Attac, de JeanFrançois Julliard
(Greenpeace France), d’Esther Ber
nard (Youth For Climate), de Pau
line Boyer (Alternatiba) et de Cé
cile Marchand (ANVCOP21). Ces
deux dernières sont poursuivies
pour avoir décroché des portraits.
A cette occasion, le directeur de
Greenpeace a rappelé son inten
tion d’aller jusqu’au bout de la dé
marche judiciaire de « L’Affaire du
siècle », avec la plainte déposée
par quatre ONG, et « d’obtenir une
condamnation de l’Etat français
pour carence fautive contre le dérè
glement climatique ».
Ultime pied de nez aux quelque
13 000 gendarmes et policiers dé
ployés pour le G7, ces organisa
tions ont réussi à déployer une
banderole dénonçant l’inaction
du président Macron lors de la vi
site dimanche des « premières da
mes » dans un village typique du
Pays basque intérieur, Espelette.
raphaëlle bacqué
et rémi barroux
DIMANCHE MATIN,
14 DES 128 PORTRAITS
OFFICIELS DU
PRÉSIDENT MACRON,
« RÉQUISITIONNÉS »
LORS DES DERNIERS
MOIS DANS LES MAIRIES
DE LA FRANCE ENTIÈRE,
ONT ÉTÉ BRANDIS
LE DÉPLOIEMENT
MASSIF DES FORCES
DE POLICE ET LA
PERSPECTIVE D’ÊTRE
DÉBORDÉS PAR DES
BLACK BLOCS ONT
DISSUADÉ BON NOMBRE
DE MILITANTS
forts pour préserver le traité, les Iraniens s’en
seraient déjà retirés. Mais sans la pression
mise par les EtatsUnis, il n’y aurait pas eu une
volonté de bouger de leur part », a expliqué le
président français.
Après quinze mois, la crise entre les Etats
Unis et l’Iran arrive « à un point d’inflexion »
où il est plus que jamais indispensable « d’in
tensifier le dialogue », a toutefois ajouté
M. Macron. L’Elysée propose notamment
que les EtatsUnis rétablissent une partie des
exemptions dont bénéficiaient jusqu’en mai
les huit plus gros clients du pétrole iraniens
(dont l’Inde, la Chine et le Japon), en échange
d’un retour de Téhéran à ses engagements
dans le cadre de l’accord de 2015, délibéré
ment enfreints depuis juillet en réponse au
retrait américain et à l’incapacité des Euro
péens à l’aider à contourner les sanctions.
« L’APPEL DE LA FORÊT QUI BRÛLE »
Ce dossier est essentiel aux yeux du chef de
l’Etat, qui, en se posant en médiateur, pour
rait remporter son premier vrai succès di
plomatique. Cette première présidence du
G7 est l’occasion de conforter sa stature in
ternationale. Instance créée en 1975 par Va
léry Giscard d’Estaing pour discuter de fa
çon informelle entre dirigeants de ce qui
était à l’époque les principales puissances
industrielles, le G7 est désormais contesté.
Les pays qui le composent ne pèsent plus
guère aujourd’hui que 40 % du PIB mon
dial. Emmanuel Macron a donc tenu à en
rappeler les enjeux dans une adresse aux
Français, le 24 août, juste avant l’ouverture
des travaux.
« Cette réunion, elle est utile, elle est impor
tante, sans quoi chacun mènerait son che
min, nous serions amenés à nous diviser. Je
crois que ce qui est attendu de nous, c’est plu
tôt de savoir nous coordonner, agir utile
ment ensemble », a expliqué le président
français, lors d’une allocution de dix minu
tes prononcée depuis le phare de Biarritz,
quelques heures avant l’ouverture officielle
du sommet.
En premier lieu, il a évoqué les principales
crises internationales du moment et la né
cessité d’assurer la sécurité et la stabilité,
ainsi que de protéger la paix dans le monde.
« Nous avons parfois des désaccords entre
nous et ces sujets vous paraissent très loin,
mais ils vous touchent au quotidien », a in
sisté le chef de l’Etat, évoquant aussi bien le
risque du nucléaire iranien que le djiha
disme au MoyenOrient. Il a aussi insisté sur
les enjeux écologiques, alors même que
l’Amazonie est en feu, soulignant l’impor
tance de « répondre à l’appel de l’océan et de
la forêt qui brûle ». « Nous allons lancer pas
simplement un appel mais une mobilisation
de toutes les puissances » présentes à Biarritz,
« en partenariat avec les pays de l’Amazonie,
pour lutter contre ces feux et pour investir
dans la reforestation », a affirmé le chef de
l’Etat, promettant des mesures concrètes.
Il a aussi fait de l’économie un enjeu crucial
du sommet. « J’ai deux objectifs en votre nom
durant ces quelques jours : d’abord convain
cre tous nos partenaires que les tensions, en
particulier les tensions commerciales, sont
mauvaises pour tout le monde. Nous devons
réussir à avoir une forme de désescalade,
c’estàdire à stabiliser les choses et à éviter
cette guerre du commerce qui est en train de
s’installer partout », atil expliqué. Et d’ajou
ter : « Nous devons aussi trouver les nouveaux
moyens de faire de la vraie relance, c’està
dire de relancer cette croissance. »
Le président Macron a rappelé que la « lutte
contre les inégalités » est le thème de ce G7,
ainsi que sa volonté de mettre l’Afrique au
centre du sommet et de faire évoluer le fonc
tionnement du G7, en l’ouvrant à la société
civile mais surtout à « d’autres grandes dé
mocraties » – l’Inde, le Chili, l’Australie, l’Afri
que du Sud –, qui ont été invitées cette an
née. Il s’agit d’établir des coalitions entre
pays sur des sujets précis tels que l’égalité en
tre les femmes et les hommes ou le dévelop
pement, et notamment celui du Sahel.
Un autre homme était attendu au tournant
lors du sommet de Biarritz, Boris Johnson, et
il a lui aussi passé le test avec succès. Pour
son premier sommet international depuis
sa nomination, il y a un mois, au poste de
premier ministre du RoyaumeUni, l’ex
maire de Londres est apparu à l’aise, multi
pliant les accolades avec Donald Trump et
n’hésitant pas à ferrailler avec ses homolo
gues du Vieux Continent.
Boris Johnson « est un fantastique premier
ministre », a ainsi lancé le président améri
cain dimanche, quelques minutes avant de
prendre son petitdéjeuner avec le conserva
teur. « BoJo », comme le surnomment les
AngloSaxons, « n’a pas besoin de conseils,
c’est l’homme qu’il faut pour le job, je le dis de
puis longtemps », a assuré Donald Trump.
Enfin, Paris espère avancer sur son projet
de taxe numérique sur les GAFA, les géants
de l’Internet, qui irrite Washington. Des né
gociations ont eu lieu entre le ministre de
l’économie et des finances, Bruno Le Maire
et le secrétaire américain au Trésor, Steven
Mnuchin, dans la résidence du ministre
français de SaintPéesurNivelle, au sud de
Biarritz. Un projet d’accordfrancoaméri
cain devait être soumis aux chefs d’Etat,
lundi matin.
cédric pietralunga et marc semo
ments ont eu lieu dans le quartier
du PetitBayonne. Les nombreux
gendarmes mobiles et policiers,
présents sur les ponts sur l’Adour
et la Nive, deux rivières qui enser
rent ce quartier, ont fait usage de
grenades lacrymogènes et d’un
canon à eau pour disperser quel
que 200 à 300 manifestants.
Les antiG7, que l’on annonçait
nombreux et souvent radicaux,
n’ont pas rejoint en masse le Pays
basque. « Nous aurions pu réunir
200 ou 300 manifestants, assure
pourtant la porteparole d’Attac.
Mais nous avons préféré suspendre
la manifestation pour faire baisser
la tension. » En réalité, le ministère
de l’intérieur et la préfecture ont
œuvré pendant des mois pour
saper la mobilisation des « anti ».
D’abord en faisant traîner durant
des semaines le choix d’un lieu
pour le contreG7. Orthez, Dax...
les lieux les plus éloignés de Biar
ritz ont été proposés, avant de fi
nalement concéder Hendaye, à
32 kilomètres de la cité balnéaire.
Le déploiement massif des for
ces de police et la perspective
d’être débordés par des black
blocs ont aussi dissuadé bon
nombre de militants, comme la
date choisie pour le G7, en fin de
vacances scolaires. Enfin, la
proximité des élections munici
pales a joué un rôle non négligea
ble. Dans ce bout de territoire, les
militants les plus organisés ap
partiennent souvent aux mouve
ments indépendantistes basques.
Or, de commune en commune,
les élus locaux ont pesé – souvent
à la demande du préfet – pour dis
suader les indépendantistes,
dont beaucoup concourent aux
majorités municipales des villes
de la côte, de mener un mouve
ment d’ampleur qui aurait pu
nuire à l’image de la région.
De fait, après huit mois de con
testation des « gilets jaunes »,
une cote de popularité autour de
30 % pour Emmanuel Macron et
l’intérêt dans une partie de
l’Europe pour les thèmes alterna
tifs et environnementaux, les
antiG7 n’ont pas rassemblé les
foules contestatrices qui
s’étaient exprimées durant l’an
née. La mobilisation à Hendaye
aura été bien faible aussi en com
paraison du rassemblement his
torique de Gênes, en 2001, où
300 000 personnes s’étaient réu
nies et où un manifestant, Carlo
Giuliani, avait été tué par la po
lice. Deux ans plus tard, en
juin 2003, contre le G8 à Evian,
100 000 manifestants s’affrontè
rent durement avec la police
dans la ville voisine de Genève.