Echos - 2019-08-14

(coco) #1

Les Echos Mercredi 14 et jeudi 15 août 2019 FINANCE & MARCHES// 19


Climat : pourquoi les banques

françaises se mettent au vert

l Les émissions de green bonds dans le monde devraient dépasser les 200 milliards de dollars en 2019.


lLes établissements français prennent au sérieux la lutte contre le dérèglement climatique, par conviction,


par opportunité commerciale, mais aussi pour anticiper un renforcement de la réglementation environnementale.


Etienne Goetz
@etiennegoetz


Les produits financiers en faveur
de l’environnement ont bel et bien
la cote. Selon une étude de Moo-
dy’s, l’émission d’obligations vertes
dans le monde a progressé de 47 %
au premier semestre pour attein-
dre 117 milliards de dollars. A ce
rythme-là, la barre des 200 mil-
liards de dollars devrait être fran-
chie avant la fin de l’année, prédit
l’agence de notation. L’ambition
des banques de se verdir n’est sans
doute pas étrangère à cette dyna-
mique.
En France, les établissements
prennent le sujet de la hausse
globale des températures de plus
en plus au sérieux. Pour élaborer
une s tratégie de sortie du charbon,
les équipes de Crédit Agricole sont
« parti[e]s du constat partagé de
l’urgence climatique avec le senti-
ment du s ablier qui coule, t émoigne
Eric Campos, chargé de la respon-
sabilité sociétale des entreprises
(RSE) du groupe mutualiste. On se
définit par notre utilité, l’universa-
lité, et par notre engagement envers
la société. La lutte contre le réchauf-
fement climatique, on la porte
intrinsèquement dans notre raison
d’être ».


2015, une année charnière
Cette impression de crise climati-
que rampante est également par-
tagée au plus haut niveau des
comités de direction, notamment
chez BNP Paribas. « Les d iscussions
de notre directeur général avec ses
homologues du CAC 40 tournent
souvent a utour de l a transition éner-
gétique et des transformations
nécessaires pour réduire le dérègle-
ment du climat », confie Antoine
Sire, responsable de l’engagement
d’entreprise chez BNP Paribas.
De l’avis général, la prise de cons-
cience et les premières mesures
réelles datent de 2015, année
de l’accord de Paris. « Les banques
ne pouvaient pas aller à la COP21, en
France, sans parler de charbon »,
raconte Lucie Pinson des Amis de
la Terre, une ONG qui cherche à
imposer le sujet depuis le début des
années 2000. « 20 15 a été une année
charnière. C’est à ce moment que
Société Générale a pris le virage de la
“finance à impact positif ” », abonde


BANQUE L’ Esma ne veut


pas imposer


aux agences


de notation des


critères ESG


Laurence Boisseau
@boisseaul

Appeler les agences de notation à
plus de transparence sur la manière
dont elles utilisent les critères ESG
(environnement, social, gouver-
nance) dans leurs notes de crédit,
oui. Mais il ne faut en aucun cas exi-
ger d’elles qu’elles recourent à ces
critères. Voilà ce que recommande à
la Commission européenne l’Esma,
l’Autorité européenne de supervi-
sion des marchés financiers.
En mars 2018, Bruxelles avait mis
un coup de pression sur les agences
de notation (S&P Global Ratings,
Moody’s et Fitch). La Commission
réfléchissait à modifier la réglemen-
tation s’appliquant à ces entités. En
effet, un groupe d’experts sur la
finance durable regrettait que les
nouvelles règles de 2013 ne tiennent
pas compte des derniers grands
accords internationaux, comme
l’accord de Paris. En conséquence,
Bruxelles avait demandé à l’Esma de
dresser un état des lieux des prati-
ques actuelles et de lui faire des
recommandations.

L’Esma a rendu son avis fin juillet
et conclu que les agences servant à
mesurer les risques de crédit
n’avaient pas à intégrer systémati-
quement ces facteurs ESG dans
leurs notes. Elles ne doivent le faire
que ponctuellement, dès lors que ces
derniers se révèlent importants
pour évaluer les risques de
défaut. Par ailleurs, le gendarme
européen a remarqué que les agen-
ces de notation utilisaient de
manière très disparate ces critères et
a considéré qu’elles devraient davan-
tage communiquer à leurs clients
sur leur méthodologie dans ce
domaine. Pour les produits finan-
ciers qui se disent ESG, le gendarme
européen recommande par ailleurs
à la Commission européenne de
vérifier que les garde-fous régle-
mentaires sont suffisants pour pro-
téger les investisseurs.
Curieusement, en n’exigeant pas
d’imposer des critères ESG aux
agences de notation, l’Esma va à
l’encontre des demandes des inves-
tisseurs financiers et des tendances
actuelles. Moody’s a pris, mi-avril,
une part majoritaire dans Vigeo
Eiris, l’agence française de notation
ESG créée par Nicole Notat. En
mars 2017, le français Spread
Research s’était rapproché d’EthiFi-
nance pour créer la première
agence de notation intégrée finan-
cière et extra-financière des ETI et
grandes entreprises en Europe.n

Le gendarme européen des
marchés financiers recom-
mande à Bruxelles de ne pas
exiger des agences qu’elles
recourent à des critères ESG.
Il appelle à plus de transpa-
rence si elles le font.

Le gendarme
européen a remarqué
que les agences
utilisaient de manière
très disparate
ces critères.

Même si les ONG estiment que les
banques françaises sont loin d’être
exemplaires en matière de lutte
contre le réchauffement climati-
que, les principaux é tablissements
de l’Hexagone se situent loin
devant les américains ou les chi-
nois. Dans un contexte où la
concurrence internationale
s’intensifie, notamment sur le

marché des green bonds, où HSBC
se montre très offensif, les ban-
ques françaises s’efforcent de tenir
leur rang.
« Les économies se transforment,
et nous pensons que les premiers à se
lancer dans la finance verte seront
les leaders de la finance de demain »,
prédit Eric Campos, directeur de la
responsabilité sociétale et environ-
nementale (RSE) chez Crédit Agri-
cole. A l’o ccasion de son plan stra-
tégique, le groupe mutualiste a mis
à jour sa politique verte en décidant
de ne plus du tout financer le char-
bon dans les pays de l’Union euro-
péenne et de l’OCDE d’ici à 2030,
d’ici à 2040 en Chine et d’ici à 2050
dans le reste du monde. Une déci-
sion saluée par les ONG. En paral-
lèle, Crédit Agricole s’engage à
financer un projet sur trois d’éner-
gies renouvelables en France et à
doubler son portefeuille de prêts
verts à 13 milliards d’ici à 2020.
BNP Paribas a aussi restreint le
financement du charbon, et la

pression va grandissante : « On a
fait le pari en 2016 que la Pologne
allait évoluer et on ne pouvait pas
brutalement cesser de financer les
énergéticiens si on voulait l’accom-
pagner. On s e rend compte
aujourd’hui que la Pologne n’a pas
modifié sa politique énergétique,
nous avons donc décidé de ne plus
financer les entreprises du secteur
de l’énergie dans ce pays », détaille
Laurence Pessez, directrice RSE
de BNP Paribas. La banque de la
rue d’Antin se distingue surtout
pour avoir tourné le dos aux hydro-
carbures non conventionnels.

Le gaz en question
Dans ce domaine, Société Géné-
rale, banque active dans l’énergie
aux Etats-Unis, se montre plus
prudente. « Il n ’y a pas de transition
uniquement avec du renouvelable.
Le gaz est validé comme énergie de
transition. Mais le gaz de schiste
pose problème, notamment en rai-
son des fuites de méthane. Notre

réponse, c’est de ne retenir que les
projets respectant les “golden rules”
de l’AIE », indique Sylvie Préa,
directrice RSE de l’établissement.
Comme ses homologues,
Natixis n’a pas l’intention de cou-
per les financements à tous ses
clients du jour au lendemain, mais
au contraire de les accompagner
vers un modèle économique
moins carboné. L’établissement a
toutefois mis en place des garde-
fous en excluant certains secteurs
trop émetteurs.
Enfin, Natixis entend orienter
ses financements vers les secteurs
les plus verts. A cette fin, la banque
a développé un système de nota-
tion « Green Weighting Factor »,
qui sera opérationnel à l’automne
pour une phase de test. Chaque
projet se verra attribuer une
couleur, allant du vert au brun
avec des incidences internes sur
les fonds propres requis et sur la
rémunération variable des
équipes. —E. Gz.

Les stratégies des établissements pour tenir leur rang


Toutes les banques
ont mis en place des
politiques d’exclusion
de financement de certains
secteurs, notamment
celui du charbon.
Certaines se distinguent
par leurs outils pour verdir
leur bilan ou par les
secteurs visés.


Sylvie Préa, responsable RSE au
sein de la banque de la Défense,
rappelant que les réflexions ont été
entreprises dès 2001. Au f il
des plans stratégiques et sous la
pression de l’opinion publique, les
établissements ont par la suite ren-
forcé leurs politiques.

Demande en hausse
Le mouvement a été rendu possi-
ble, car la bascule s’est aussi faite du
côté des investisseurs, de plus en
plus demandeurs d e produits verts,
d’autant que ces derniers n’ont rien
à envier aux produits classiques en
termes de rendement. « Les institu-
tionnels ne nous demandent plus de
faire la démonstration de la perfor-
mance des produits intégrant des cri-
tères environnementaux, sociaux et
de gouvernance », explique Isabelle
Millat, responsable des solutions
marchés d’investissement durable

chez Société Générale. Le verdisse-
ment des bilans est aussi un enjeu
commercial. « L’ensemble de l’éco-
nomie va être concerné : les investis-
seurs, les régulateurs, nos clients, nos
salariés et nos futurs jeunes diplô-
més, prophétise Antoine Sire. Ces
transformations engendrent des
problèmes, mais créent aussi de nou-
veaux besoins qui doivent être
accompagnés par des établissements
financiers. »

Anticiper la réglementation
Même constat chez Natixis :
« Dans nos discussions avec les
clients, qui sont de plus en plus
interrogés par leurs investisseurs
sur le climat, nous sentons qu’il
s’agit là d’une tendance de fond
avec un gisement potentiel d’acti-
vité important, analyse Louis
Douady, directeur RSE. Le GIEC
[Groupe d’experts intergouverne-

mental sur l’évolution du climat]
estime à 900 milliards d’euros les
besoins annuels globaux d’investis-
sements pour réaliser la transition
énergétique. »
Enfin, la raison de cet engoue-
ment pour l a finance verte
est réglementaire. « Nous pensons
que la réglementation environne-
mentale va s e renforcer, e t nous v ou-
lons l’anticiper », indique Louis
Douady. Une anecdote, relatée par
Yannick Ouaknine, responsable
de la recherche ESG chez Société
Générale, est édifiante à ce sujet :
« Lors de la publication de notre
première note d’analyse sur les
émissions de CO 2 dans le secteur de
l’automobile en 200 7, nous avons
fait face à beaucoup de scepticisme,
mais aujourd’hui pas un seul
analyste financier peut se permettre
de ne pas regarder ces informa-
tions. »n

Selon une étude de Moody’s, l’émission d’obligations vertes dans le monde a progressé de 47 % au premier semestre 2019
pour atteindre 117 milliards de dollars. Photo Shutterstock

« Les
institutionnels
ne nous
demandent
plus de faire
la démonstration
de la performance
des produits
intégrant
des critères
environnementaux,
sociaux et
de gouvernance. »
ISABELLE MILLAT
Responsable des solutions
marchés d’investissement
durable chez Société Générale
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