LeSoir - 2019-08-14

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Page 4Mercredi 14 août 2019Mad

cinémas


A


u Festival de Cannes en mai
dernier, Leonardo DiCa-
prio déclarait en conférence
de presse : « Il y a très peu de gens
dans ce monde qui ont cette excel-
lente connaissance de l’histoire du
cinéma et de la télévision. Parler à
Quentin, c’est un peu comme par-
ler à une base de données. Il a un
savoir phénoménal. Ce film est
son histoire d’amour avec le ciné-
ma. Il a réuni deux personnages,
des outsiders dans les années 60
qui sont dépassés par ce secteur, et
ce film est une histoire d’amour au
cinéma. C’est tous ces outsiders
dont on peut apprécier le travail
sur le plan artistique. C’est tout un
catalogue de réalisations au ciné-
ma et à la télévision. C’est la
contribution des outsiders à l’in-
dustrie. C’est ce qui est tou-
chant. »

FAIRE LE POINT
Il ne faut pas oublier que c’est
dans un vidéoclub de la banlieue
de Los Angeles, où il était vendeur
début des années 80, que Quentin
Tarantino, né en 1963, a mûri son
éclectisme débridé et l’inspiration
de sa cinéphilie anticonformiste.
C’est dans ce temple de la VHS
que cet insatiable cinéphile, fan de
Stanley Kubrick, Brian de Palma,
Martin Scorsese, mais aussi de
Jean-Luc Godard et Jean-Pierre
Melville, s’est shooté aux films
d’action de série B ou Z de ci-
néastes plus obscurs. Il fut égale-
ment projectionniste dans un ci-
néma porno et en 2007, il rachète
le plus vieux cinéma de la Califor-
nie pour le sauver de la ruine et lui

redonne vie sept ans plus tard.
Sentant que les temps changent
irrémédiablement et lui-même,
56 ans, marié depuis quelques
mois, étant à un moment char-
nière de sa vie, il a pressenti l’ur-
gence d’exprimer de la manière la
plus viscérale son amour incom-
mensurable pour ce mélange des
genres. Toujours exubérant et
joyeux dans sa façon d’évoquer les
films, il a conçu son neuvième
(d’une filmographie dont il a tou-
jours dit qu’elle en contiendrait
dix même s’il confesse aujour-
d’hui être arrivé « au bout du che-
min ») comme on fait le point sur
sa vie. Et même s’il s’en défend par
une phrase antagonique – « Ce
n’est pas un film sur moi. C’est le
résultat de choses que j’ai vé-
cues » –, Once Upon a Time in
Hollywood qui met en scène
l’usine à rêves et ses revers sur
fond de fin de rêve hippie avec les
deux stars les plus sexys d’aujour-
d’hui, témoigne bien de sa pro-
fonde mélancolie pour les grands

héros oubliés de Hollywood et un
cinéma qui ne reviendra plus.
Autre signe de cette mélancolie, sa
préférence avouée pour n’importe
quelle époque avant les télé-
phones portables.
Son film est riche de son souci
permanent du détail dans la re-
constitution d’un temps où, ga-
min, il se baladait sur Hollywood
Boulevard en écoutant de la mu-
sique dans la voiture de son beau-
père (celle-là même que conduit
Brad Pitt dans le film). « J’avais
6 ans à l’époque. Je me souviens de
tout, des émissions de radios qui
passaient, des gens qui les écou-
taient fort. Les télévisions étaient
tout le temps allumées. J’ai absor-
bé comme une éponge ce spec-
tacle quotidien. » La sophistica-
tion va jusque dans la pub à l’ar-
rière des bus et les bouquins dans
les librairies, mêlant les réfé-
rences culturelles aux réactions
émotionnelles de ses souvenirs.
Tarantino en tire un film-somme,
sorte de croisement de tous ses

films précédents, Jackie Brown
étant le plus mélancolique. Réali-
sation faite sans avoir recours aux
effets spéciaux numériques, « si-
non pour effacer certains élé-
ments trop contemporains. Je ne
crois pas que quelqu’un pourra re-
faire ce que j’ai eu la chance de
faire. Dans trois ans, L.A. aura en-
core tellement changé qu’une re-
constitution numérique sera né-
cessaire. » Ce qui fait dire à Leo-
nard DiCaprio : « Les moments
magiques pour moi c’est quand on
tournait quasiment au même en-
droit où mes parents vivaient
quand ils sont arrivés à Los An-
geles et que Quentin a reconstitué
à l’identique. »
La version finale qui sort en
salle fait moins de 3 heures mais
Quentin T. a matière pour en faire
une version longue de quatre
heures qu’il pourrait destiner à
Netflix comme il l’a fait pour Les
huit salopards. A confirmer.

Il était une fois un amoureux


Avec « Once Upon a


Time in Hollywood »,


film-somme, Quentin


Tarantino déclare


publiquement sa


flamme au cinoche.


Mélancolique


et touchant.


Once Upon
a Time...
in Hollywood
★★★
De Tarantino,
avec Leonardo
DiCaprio, Brad
Pitt, Margot
Robbie, 161 mn.
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