Liberation - 2019-08-14

(Ron) #1

FRANCE


TOP SECRETS 9/


Naître, écrire, faire la fête, juger,
se confesser, fabriquer...
Libération révèle la face
clandestine et les vérités
cachées de nos vies.

V


acances obligent, il n’y a pas
foule, ce matin d’août,
à l’église Saint-Louis d’An-
tin, à Paris, dans le quartier des
grands magasins du boulevard
Haussmann (IXearrondissement).
Une poignée de personnes âgées
attendent le début de la messe de
11 heures. Pour tuer le temps peut-
être, quelques-unes égrènent silen-
cieusement un chapelet et d’autres
prient devant un grand crucifix. Au
bord d’être en retard, Emilie entre
précipitamment. «Non, cette fois-ci,
je ne viens pas pour me confesser»,
dit la septuagénaire qui craint de
louper le début de l’office. Comme
beaucoup d’autres catholiques, elle
a pourtant ses habitudes à Saint-
Louis d’Antin pour recevoir le sacre-
ment de la confession. Parce que
c’est très commode. «J’y viens
quand je passe à ma banque qui est
dans le quartier», précise-t-elle. Si-
non, elle se rend à la chapelle Notre-
Dame de la Médaille miraculeuse,
dans le VIIearrondissement, un des
grands pèlerinages populaires de la
capitale. Mais qu’a-t-elle donc à
confesser? Motus. Secret.
A Paris, l’église Saint-Louis d’Antin
est très connue pour son service
(presque) continu de confesseurs.
A l’entrée, en bas de la nef, les horai-

res sont affichés. Et pourraient don-
ner le tournis. C’est quasiment non-
stop et tous les jours, de 10 heures
à 19 h 45. Le dimanche, l’église a
même adapté ses plages de confes-
sions. S’ils font relâche, l’après-
midi, les confessionnaux sont, ce
jour-là, ouverts jusqu’à 21h30. «C’est
le cardinal Jean-Marie Lustiger
[mort en 2007, ndlr] qui avait dési-
gné Saint- Louis d’Antin pour ce ser-
vice spécifique», explique le théolo-
gien Laurent Lemoine, lui-même
confesseur dans cette église. Lusti-
ger souhaitait que le fidèle puisse
trouver facilement à qui se confes-
ser, se laver de ses péchés. En fait,
«les personnes nous parlent beau-
coup des souffrances qu’elles traver-
sent , raconte Laurent Lemoine. Au-
delà de l’absolution de leurs péchés,
elles ont une demande de paix inté-
rieure.» Depuis quatre ans, le jésuite
Miguel Roland-Gosselin, ancien
aumônier de l’Ecole polytechnique,
est confesseur à l’église Saint-
Ignace, celle de son ordre religieux.
«Ce qui m’a frappé le plus depuis que
je suis ici, c’est les grandes solitudes
urbaines», dit-il.

Point de friction
Ce qui en revanche reste immuable,
c’est le secret. Encore aujourd’hui,
qui dit confession dit secrets, ceux
que l’on vient confier et ceux que le
confesseur doit strictement conser-

verpourlui...Dupointdevuejuridi-
que, ce secret a été formellement re-
connu, en droit français, par un
arrêt de la Cour de cassation du
4 décembre 1891, secret d’ailleurs
qui ne se limite pas à la confession
catholique (lire page 15). L’affaire
suscite bien des fantasmes. Et des
conflits. Entre la République et
l’Eglise, le secret de la confession et
les batailles qu’il provoque sont une
vieille histoire. Longtemps, les anti-
cléricaux ont férocement combattu
pour le faire abolir. Ils reprochaient
notamment aux prêtres d’exercer
une trop grande influence en diri-
geant secrètement (justement!) les
consciences. En particulier celles
des femmes (1). «Sous la Troi-
sième République, il valait mieux,
pour beaucoup d’hommes politiques,
que les femmes soient sous la tutelle
de leur mari ou de leur frère plutôt

que sous celle des prêtres», explique
l’historienne Caroline Muller, spé-
cialiste du catholicisme. Ce débat
n’a pas été sans conséquence. Il a
longtemps entravé l’octroi du droit
de vote aux femmes, suspectées
d’êtresouslacoupedecurésàmême
d’influencer leurs choix électoraux.
Depuis que les scandales d’abus
sexuels ont éclaté en France au dé-
but des années 2000, la question
du secret de la confession a été à
nouveau posée, devenant un point
de friction entre l’Eglise et la so-
ciété civile. Ce qui est suspecté là,
c’est la tolérance dont pourraient
bénéficier les pédocriminels, voire
l’encouragement à l’omerta de la
hiérarchie catholique, enterrant
sous le tapis ces dossiers. A tort? «Il
ne faut pas imaginer des hordes de
prédateurs sexuels venir se confes-
ser», remarque Laurent Lemoine.
Ce qu’appuie Miguel Roland-Gos-
selin. «Comme confesseur, il est ra-
rissime d’être confronté à des per-
sonnes qui relèveraient de la
justice», explique-t-il.
Parmi les confesseurs que nous
avons interrogés, un seul nous a
mentionné un cas mais qui était fa-
cilement soluble puisque la per-
sonne concernée, un pédophile,
était déjà sous le coup d’une procé-
dure judiciaire. Quoi qu’il en soit,
l’absolution des péchés n’est pas
systématique. Elle est corrélée à la

Par
BERNADETTE SAUVAGET

Une confession


sacrement


bien gardée


Se repentir de ses péchés est l’une des pratiques les plus anciennes


du catholicisme et l’Eglise défend farouchement la confidentialité


des conversations entre le fidèle et son prêtre. Mais lorsque la justice


des hommes s’en mêle, parfois les verrous du confessionnal sautent.


FRANCE


«Au-delà de


l’absolution


de leurs péchés,


les personnes qui
se confessent ont

une demande de


paix intérieure.»
Laurent Lemoine théologien Dans l'église de Chamblac, en

14 u Libération Mercredi^14 et Jeudi^15 Août^2019

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