CINÉMA/
lement autant que le Conservatoire,
où elle entre à sa troisième tentative. «Je
l’avais d’abord passé avec le nom de mon père,
puis les noms de mes deux parents accolés...
J’ai été prise avec celui de ma mère.» Pour
l’anecdote, elle est lointainement apparentée
à William Wyler, le réalisateur de Vacances ro-
maines, d’origine alsacienne, que son grand-
père, devenu ensuite colonel dans l’armée
suisse (ça existe), a d’ailleurs rencontré une
fois aux Etats-Unis. Autre racine, importée
cette fois par une grand-mère et qui explique
pour elle la rousseur : l’Ecosse.
Etonnamment, est plusieurs fois revenu dans
la bouche de Wyler le mot «pudeur». «L’ambi-
tion d’un acteur doit être pudique. Je n’ai ja-
mais été fière de ce désir-là, qui consiste aussi
à se mettre en avant. Quand je dis que je suis
comédienne, j’ai l’impression de dire un gros
mot», explique-t-elle, avant d’enfoncer le
clou: «J’ai du mal à remplir la case séduction.
Vous savez, il y a deux métiers : l’opération sé-
duction et le jeu. J’adore jouer. Le travail sur
le texte, j’ai une libido de ça, j’aimerais ne faire
que ça.» Sur les tournages, elle raconte préfé-
rer au verre de fin de journée la solitude de sa
chambre d’hôtel, où elle bosse ses répliques
du lendemain.
Bizarre. N’est-on pas en train de se laisser
avoir par la communication bien rodée d’une
actrice expliquant qu’elle déteste communi-
quer? Apparemment non. Ce qui ressemble
à une posture serait avéré, comme nous le
confirme un comédien, ancien partenaire, qui
loue son sérieux, voire son fétichisme du sé-
rieux. Maud Wyler se place donc dans le camp
de l’artisan responsable dont l’amour du mé-
tier et sa pratique honnête constituent
l’aiguillon. «Je n’ai pas envie de me foutre de
la gueule des gens en bâclant les rôles. Et je ne
suis pas non plus quelqu’un qui vient pour
ajouter une ligne à sa filmo.»
«MODÈLES»
Au sortir du Conservatoire, elle joue dans une
pub Vodafone qui lui rapporte un petit pac-
tole, immédiatement réinvesti avec son pre-
mier mari dans l’achat d’un bateau. «Sur le
port de l’Arsenal, les loyers étaient de 100 euros
par mois. J’avais donc le confort de choisir les
rôles qui me plaisaient sans courir le cachet.
Ces choix ne sont pas anodins : ils donnent des
indications sur la façon dont on oriente sa car-
rière.» Pourquoi alors avoir accepté l’horrifi-
que Vertige? «J’avais bossé les alexandrins
pendant trois ans. C’était un autre défi! Et
puis c’est pas simple d’être crédible en hurlant
“Freeeed!” accrochée à une via ferrata.» Wyler
change ensuite de registre et se retrouve dans
Low Life, de Nicolas Klotz ou 2 Automnes,
3 Hivers, dans lequel elle donne la réplique à
Vincent Macaigne, sentiers d’auteurs des-
quels elle n’a pas dévié.
Cette défiance de ce qui ne touche pas au jeu
ou au texte lui fait aussi détester les castings,
«un gros jeu de dupes» où selon elle rien ne se
joue. «Quand on me disait “c’est dur d’être co-
médien”, je pensais qu’on m’alertait sur une
forme de précarité. Mais en réalité, ce qui est
dur, c’est de mettre sur la table son espoir et son
travail – car passer un casting implique d’être
capable de jouer le rôle et d’avoir travaillé –,
pour finalement ne pas être considéré. A la lon-
gue, ça rend con, méchant, malheureux. Et je
n’ai pas envie d’être malheureuse.»
Celle qui fréquente aussi les planches («sans
le théâtre, je n’y arriverais pas») ou a présenté
il y a quelques années des rendez-vous autour
du cinéma au Café des images caennais s’est
même demandé si elle ne devait pas tout arrê-
ter. «Je bossais alors dans une association à la
Goutte d’or où je faisais de l’aide aux devoirs
pour les enfants, et cela me convenait très
bien.» Militante verte (comme dans Alice et le
maire, qui sortira en octobre) mais sans trop
pousser – elle a bossé pour Greenpeace, vote
écolo mais n’est pas végétarienne –, Wyler
aime s’interroger sur l’existence. D’où son inté-
rêt pour les biographies. «J’y trouve des modè-
les. Quelles solutions les gens ont-ils trouvées?
C’est comme la construction d’un personnage,
avec à la clé la question: qu’est-ce qu’on fout là,
comment on s’en sort ?» Derniers guides : Del-
phine Seyrig, Jeanne d’Arc, Marie-Antoinette,
sainte Thérèse d’Avila... On y a aussi vu une
fascination intime pour le sacré, tout comme
lorsqu’elle a évoqué la foi communiste qui tra-
verse la Fin de l’homme rouge, qu’elle joue aux
Bouffes du Nord en septembre.
Wyler a-t-elle nourri son personnage de Per-
drix avec ces questionnements? Certaine-
ment, tout comme elle a donné à Juliette
Webb une part d’elle-même. «Je crains qu’elle
soit incomprise et qu’on ne la prenne que pour
un clown, alors qu’elle cache une profonde mé-
lancolie», note-t-elle. Elle a inventé à son
personnage un passé, des motivations, et a
aussi écrit certains des 248 carnets que l’on
voit dans le film. A ce moment-là, Juliette
Webb, qui masque sa timidité «par un cir-
que» énergique, ressemble beaucoup à Maud
Wyler.•
A
la loterie du patronyme,
tout le monde n’hérite
pas toujours du nom le
plus seyant. Ce n’est pas le cas de
Pierre Perdrix: cet honnête gen-
darmeporte le nom d’un oiseau
sédentaire, et mène précisément
dans son bourg assoupi une exis-
tence circonscrite à un rayon de
quelques kilomètres, suivant
une routine tissée de gestes sans
ampleur aux côtés de sa mère,
son frère et sa nièce, avec les-
quels le bachelor vit depuis tou-
jours. Tout commence pourtant
avec une migration contrariée,
un exode interrompu sur une
route de campagne que sillonne
Juliette Webb (Maud Wyler). La
transhumeuse se fait chourer sa
voiture par une horde de natu-
ristes révolutionnaires, dont la
nudité édénique vise à recréer,
en pleine forêt des Vosges, une
Arcadie d’où serait bannie toute
possession superflue. Pas de pa-
nique, le capitaine Perdrix
(Swann Arlaud) est chargé de
l’enquête. Ces deux-là vont
s’aimer, c’est la loi du «boy meets
girl» qui le dit. Et avec elle, tous
ces récits inscrits dans l’airain de
la romcom qui consistent à faire
débouler une femme-tornade
dans la vie d’un brave gars pour
le bouter hors de sa zone de con-
fort, déchirer l’état de latence
dans lequel il s’anesthésiaitet lui
insuffler l’envie de déclamer des
poèmes à pleine gorge, cons-
truire des cabanes tel Robinson
Crusoé, courir à travers champs
au milieu d’une reconstitution
de la Seconde Guerre mondiale.
Sur ce canevas familier, Erwan
Le Duc, qui signe là son premier
film, s’amuse à mettre en tension
tout ce que son scénario compte
de loufoques antinomies. Dans
une scène de commémoration de
39-45, on verra par exemple la
grande histoire singée dans une
reconstitution d’assaut militaire
en pantomime, où la montagne
d’émotions annoncée finit par
accoucher d’une souris. Le film
cultive habilement un sens du
burlesque à froid tout en laissant
circuler un cortège d’interroga-
tions existentielles. La vie vécue
est-elle vraiment la nôtre, celle
qu’on mérite? L’amour est-il une
mise aux fers totalitaire ou une
servitude désirable?
A poil. C’est là que ce Perdrix
accuse une dimension très
(trop ?) idéelle, souvent prompt
à fournir son propre commen-
taire à travers ses dialogues, où
chaque protagoniste se voit doté
de l’éloquence nécessaire pour
questionner son être-au-monde
et manier ces abstractions avec
un mélange de gravité et de dé-
contraction. Mais c’est aussi le
trait le plus poétique du film que
de ficher à l’intérieur de ses vi-
gnettes aux contours rigoureux
un irrésistible attrait des person-
nages pour l’idéal, qui donne aux
êtres les plus piteux un reflet
d’immensité dans les yeux. On
pourrait d’ailleurs se dire que
Perdrix, par l’entremise de son
histoire d’amour et d’émancipa-
tion familiale, nous raconte
d’abord le conflit entre les dénu-
dés et les accoutrés, au sens où
chacun des personnages, drapé
dans ses lubies et sa soif d’absolu,
décide de se mettre à poil. Pas un
membre de la famille Perdrix,
sortie du même monde de Play-
mobil névrotiques que celui des
Tenenbaum chez Wes Anderson,
ne semble échapper à son propre
appel du plus grand que soi, à
commencer par la matriarche
(Fanny Ardant). Celle qui anime
dans son garage une émission de
radio guimauvevit aussi une
passion exaltée avec le fantôme
de son mari, intacte comme au
premier jour du deuil. Crampon-
nées à leurs marottes comme à
leur sentiment d’abandon, ces fi-
gures cadrées dans leurs boîtes
respectives communient dans
un état d’autodépendance chétif,
martelé par les régressifs sobri-
quets dont ils s’afflublent.
Pudeurs. Si le dévouement sa-
crificiel de Perdrix envers les
siens est évidemment voué à être
réévalué par son idylle naissante,
il est intéressant de voir le film
en découdre avec ses propres ré-
ticences, ou disons pudeurs, en-
vers le sentimental. Soit les mê-
mes que celles brandies en
bouclier par l’«indraguable» Ju-
liette, avant qu’elle reconnaisse
les impasses de son idéal de
femme affranchie. Le motif de
l’emportement amoureux,
comme mis à distance dans un
premier temps par les louvoie-
ments théoriques et la stylisation
comique du récit, finit ainsi par
dynamiter le cadre du film. Et
l’échevèlement auquel celui-ci
semblait aspirer par delà sa mi-
nutieuse composition s’accom-
plit dans l’irruption sublime du
paysage, dans l’immensité d’une
forêt rouillée par l’automne où
poudroie le soleil vosgien.
SANDRA ONANA
PERDRIX d’ERWAN LE DUC
1h42. En salles.
«Perdrix», la vie en Vosges
Erwan Le Duc signe
un premier film
maîtrisé et burlesque
sur l’histoire d’amour
et d’émancipation
familiale d’un
gendarme vosgien.
La famille Perdrix, un clan de Playmobil névrotiques digne de Wes Anderson.PHOTO PYRAMIDE
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Libération Mercredi 14 et Jeudi 15 Août 2019 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 21