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INTERNATIONAL
MERCREDI 14 AOÛT 2019
0123
Hongkong résiste encore à la reprise en main
La Chine qualifie les manifestants de « terroristes » et fait pression sur les milieux économiques
hongkong envoyé spécial
H
ongkong est en train
de virer au cauche
mar pour Xi Jinping.
Le président chinois,
qui fait de l’ordre et de la stabilité
ses vertus cardinales, voit son
autorité remise en cause par des
manifestants qui, jour après jour
depuis deux mois, clament que
« Hongkong n’est pas la Chine ».
L’occupation de l’aéroport inter
national, lundi 12 août, a touché
une corde sensible. Impossible
désormais de prétendre que les
événements de Hongkong ne
constituent qu’une affaire inté
rieure chinoise.
Alors que les faceàface entre la
police de Hongkong et les mani
festants sont de plus en plus vio
lents, l’étau de Pékin se resserre
sur le territoire. Lundi, la rhétori
que chinoise est encore montée
d’un cran. Le bureau des affaires
de Hongkong et Macao à Pékin a
qualifié de « germes de terro
risme » les récents événements,
notamment les manifestations
du weekend.
Pékin qui, durant plusieurs se
maines, a minimisé l’ampleur de
la contestation apparue le 9 juin, a
totalement changé de stratégie.
Le terme de « terroristes » a été
prononcé à trois reprises, lundi,
au cours du journal de la chaîne
chinoise CCTV. Pas un mot en re
vanche sur la fermeture de l’aéro
port. Sur les réseaux sociaux, le
hashtag Hongkong, longtemps
censuré, est aujourd’hui l’un des
plus utilisés. La tonalité des mes
sages : Hongkong, c’est la Chine,
haro sur les manifestants.
De son côté, le quotidien natio
naliste chinois Global Times a dif
fusé lundi une vidéo montrant
des manœuvres de la « police ar
mée du peuple », sous contrôle de
l’armée chinoise, effectuant « ap
paremment des exercices à grande
échelle » à Shenzhen, aux portes
de Hongkong. C’est la troisième
vidéo de ce type en douze jours.
Toujours possible, une interven
tion directe de l’armée ou de la
police chinoises à Hongkong ne
semble pas l’hypothèse privilé
giée par le président Xi.
« Avertissements »
La stratégie de Pékin a été définie
par un éditorial du Quotidien du
peuple, l’organe du Parti commu
niste chinois, le lundi 5 août, jour
même de la grève générale orga
nisée à Hongkong, la première de
puis la rétrocession du territoire
de 7,4 millions d’habitants du
RoyaumeUni à la Chine en 1997.
Cet éditorial établissait la dis
tinction entre des « extrémistes
violents » qui auraient utilisé le
projet de loi d’extradition vers la
Chine comme prétexte pour at
teindre d’« autres objectifs » – sa
per la souveraineté chinoise no
tamment – et la vaste majorité des
Hongkongais appelés à s’unir
contre eux. Le lendemain, Carrie
Lam, chef de l’exécutif local dési
gnée par Pékin, reprenait cette
formulation, et le mercredi 7 août,
Zhang Xiaoming, le chef du bu
reau des affaires de Hongkong et
Macao à Pékin, la détaillait devant
500 responsables économiques et
politiques chinois et hongkongais
réunis à Shenzhen.
Ces responsables sont sommés
par Pékin de soutenir Carrie Lam
sans réserve, et même si les for
ces chinoises intervenaient à la
demande des autorités de Hon
gkong, c’est à cellesci de rétablir
l’ordre par tous les moyens. « Pé
kin nous a donné son feu vert
pour que la police soit plus dure »,
expliquait ainsi Regina Ip, une
responsable politique proPékin,
vendredi 9 août.
Alors que la population de Hon
gkong est majoritairement cho
quée par les violences policières,
la police n’a pas hésité, lundi
12 août, à exhiber sa nouvelle ac
quisition : des camions Mercedes
flambant neufs équipés de puis
sants canons à eau – installés par
une entreprise française.
« Cet enchaînement d’avertisse
ments est typique de la manière
dont les autorités chinoises fonc
tionnent : un document fait auto
rité, toutes les organisations doi
vent ensuite appliquer l’état d’es
prit qu’il a diffusé, analyse Sebas
tian Veg, professeur d’histoire
intellectuelle de la Chine à l’Ecole
des hautes études en sciences so
ciales. C’est une ligne dure qui est
adoptée, avec le refus de toutes les
demandes des manifestants. Cela
va se traduire par l’emploi des for
ces de l’ordre de Hongkong, le sou
tien des “forces patriotiques”,
c’estàdire le ralliement de toutes
sortes de personnalités ou d’indi
vidus cooptés par la Chine et dé
pendant d’elles, des stars de ci
néma aux hommes d’affaires,
puis le recours à des inculpations
très dures par le parquet sur ordre
du département de la justice. »
Au cours de la réunion du
7 août, Zhang Xiaoming avait éga
lement qualifié les événements
de Hongkong de « révolution de
couleur », c’estàdire, dans l’es
prit des dirigeants communistes,
fomentés par l’Occident ou par
les Eglises chrétiennes.
Dans la droite ligne de ce dis
cours, plusieurs entreprises de
Hongkong ont subi les foudres
de Pékin. Le cas le plus spectacu
laire est celui de la compagnie aé
rienne Cathay Pacific, puisque la
Chine exige d’elle la liste de son
personnel qui a fait grève le
5 août, et entend interdire à ces
salariés d’entrer en Chine voire
de survoler son territoire. Au len
demain de la grève, le directeur
général de Cathay disait respec
ter les convictions de ses salariés.
Message reçu
Lundi, changement complet d’at
titude : les personnels qui « sou
tiennent ou participent à des pro
testations illégales » feront face à
des mesures disciplinaires « qui
pourraient inclure la fin de leur
contrat ». Cathay Pacific réalise
environ la moitié de son chiffre
d’affaires avec la Chine et Air
China détient 30 % de son capital.
Mais Cathay n’est pas la seule en
treprise dans le collimateur.
Samedi 10 août, le responsable
du Global Times s’en était pris à la
direction d’un important centre
commercial de Hongkong, le Har
bour City, dont la direction avait
« Désolés pour le dérangement, on se bat pour notre survie »
L’occupation de l’aéroport de Hongkong par les manifestants a provoqué l’annulation des vols lundi 12 août
hongkong envoyé spécial
A
près un sitin massif
lundi 12 août, qui a con
duit à l’annulation dans
l’aprèsmidi de tous les vols au dé
part de l’aéroport de Hongkong,
les manifestants sont revenus
mardi 13 août occuper les halls de
départ et d’arrivée. Cette nouvelle
forme d’occupation vise à dénon
cer les violences policières : « Ne
faites pas confiance à la police de
Hongkong » ou « Police noire [cor
rompue], rendeznous un œil »,
pouvaiton entendre lundi parmi
les slogans scandés par la foule.
La veille, dimanche, une infir
mière avait été éborgnée par un tir
de « sac à pois » effectué par la po
lice lors de l’évacuation d’un ras
semblement près de la station
Tsim Sha Tsui. La photo de la jeune
femme à terre, saignant de l’œil, et
une autre montrant le projectile
encore coincé dans ses lunettes de
protection, ont été largement dif
fusées sur les réseaux sociaux.
D’autres montraient des poli
ciers antiémeute tirant des pro
jectiles « moins létaux », comme
les balles en caoutchouc, à quel
ques mètres de manifestants qui
fuyaient dans un escalier méca
nique, provoquant une bouscu
lade. L’intervention brutale de
policiers déguisés en manifes
tants en plein cœur du quartier
commercial de Causeway Bay a
aussi particulièrement choqué,
ainsi que des tirs de gaz lacrymo
gènes dans une station de métro.
Pour beaucoup de manifestants,
c’est le nouvel épisode de violence
de dimanche qui les a décidés à se
rendre à l’aéroport. Un jeune
homme de 32 ans, ingénieur in
formatique, a posé un jour de
congé pour venir : « Moi, je n’ai pas
participé au mouvement au début.
Je pense qu’il y avait du pour et du
contre au sujet de la loi d’extradi
tion [vers la Chine, à l’origine de la
contestation]. Mais après l’atta
que de Yuen Long, le 21 juillet, j’ai
commencé à manifester aussi. » Ce
jourlà, des membres des triades
de Hongkong ont attaqué des ma
nifestants et des passagers du mé
tro, faisant 45 blessés, sans que la
police intervienne.
« La police et le gouvernement
travaillent main dans la main avec
la mafia, assure le jeune homme.
Hier soir, j’ai suivi les événements
en ligne. J’étais fou de rage. Com
ment peuton tirer sur les gens
comme ça, à quelques mètres? Je
n’en ai pas dormi de la nuit. »
Au plus fort de la mobilisation,
entre 15 et 17 heures, les passagers
devaient se frayer un chemin au
milieu d’une foule épaisse de
contestataires. Beaucoup étaient
surpris, certains agacés. Deux
Américains en voyage d’affaire
avaient l’air perdus, leur contact
censé les accueillir n’ayant pas pu
accéder à l’aéroport.
« Lieu sûr »
A l’arrivée de passagers chinois,
les manifestants passaient de l’an
glais au mandarin pour clamer
leurs slogans. Un couple de chi
nois du Guangdong, la province
qui fait face à Hongkong, avait
connaissance des manifestations.
« Tant que le mouvement est non
violent et ne gêne pas le fonction
nement de l’aéroport, j’approuve
complètement », glissait l’homme,
insistant pour rester anonyme.
Mais alors que tous les vols
avaient été annulés vers 17 heures,
un passager originaire du Fujian,
bloqué à l’aéroport, ne cachait pas
son agacement : « Ce sont des gens
qui ont le ventre plein et qui n’ont
rien à faire. » Plusieurs affiches di
saient « Désolés pour le dérange
ment, mais nous nous battons
pour notre survie ». La plupart des
manifestants ont quitté les lieux
vers 18 heures, après qu’une ru
meur a suggéré que la police se
préparait à évacuer les lieux.
Beaucoup de manifestants paci
fiques, effrayés par la violence de
certains rassemblements, étaient
rassurés par le lieu choisi lundi.
« L’aéroport est un lieu sûr pour dif
fuser l’information de manière
non violente », estimait Yedda, une
jeune assistante sociale, devant
une grande affiche montrant une
photo de l’infirmière surmontée
du slogan « Œil pour œil! »
« Avant ce qui s’est passé hier, je
n’étais pas d’accord avec la vio
lence, mais je comprenais, conti
nue Yedda. Mais hier soir, après
avoir vu des policiers déguisés en
manifestants, je me demande si
certaines actions attribuées à des
manifestants n’ont pas été commi
ses par des agents provocateurs de
la police. » Elle aussi a suivi les af
frontements de la nuit diffusés en
direct par les médias locaux. Elle
n’a pas beaucoup dormi.
simon leplâtre
Des manifestants occupent l’aéroport de Hongkong, lundi 12 août. ISSEI KATO/REUTERS
laissé à deux reprises des mani
festants s’emparer du drapeau
chinois. Elle avait aussi fait coller
sur ses portes une affiche deman
dant à la police d’éviter d’interve
nir dans le centre commercial.
Message reçu : dimanche soir,
Peter Woo, le tycoon de 72 ans
propriétaire du centre, dénon
çait les manifestants et faisait re
marquer que « l’acte de violence
illégal et l’intimidation contre des
civils à des fins politiques corres
pondent, selon certains, à la défi
nition du terrorisme du diction
naire d’Oxford ».
Rien ne dit que cette rhétorique
produise ses effets. Selon des en
quêtes menées au cours de cha
que manifestation depuis le
9 juin par des universitaires de
Hongkong, le soutien des mani
festants à la minorité d’activistes
violents croît régulièrement – jus
qu’à atteindre 95,9 % le 4 août –,
car les manifestants font porter la
responsabilité de la violence à
l’exécutif local et à Pékin.
frédéric lemaître
Pékin a exigé
de la compagnie
aérienne Cathay
Pacific qu’elle
donne la liste
de ses salariés
qui ont fait grève