VILLE DE CHALON-SUR-SAÔNE
Nés des deux côtés
de la Méditerranée,
l’émir Abd el-Kader
et le maréchal
Bugeaud se sont
aff rontés pendant
plus de dix ans
au cours de la
conquête
Par NATHALIE FUNÈS
L
a guerre d’Algérie s’est soldée
par un échange de statues. A
l’indépendance, en juillet 1962,
le bronze du maréchal Tho-
mas-Robert Bugeaud, l’homme
de la conquête, a été déboulonné de son
piédestal, place d’Isly, juste en face du
Milk Bar, que deux jeunes militantes
du FLN avaient fait exploser en sep-
tembre 1956. Lui qui trônait là, en plein
centre d’Alger, depuis un siècle, une main
posée sur le cœur, l’autre agrippée à son
épée, a fi lé fi ssa à bord d’un cargo pour
accoster à Marseille, de l’autre côté de la
Méditerranée. A sa place, une nouvelle
statue a été érigée, celle de l’émir Abd
el-Kader ibn Muhieddine, le père du
nationalisme algérien, l’incarnation de la
résistance à l’armée coloniale. Juché sur
son cheval, sabre pointé vers le ciel,
comme en signe de victoire.
Les deux hommes s’étaient aff rontés
cent trente années plus tôt. Côté français,
donc, Thomas-Robert Bugeaud, natif de
Limoges, marquis de la Piconnerie, engagé
dans l’armée napoléonienne à 20 ans,
enrôlé dans les campagnes de Prusse, de
Pologne, dans la guerre d’Espagne, et la
répression des émeutes parisiennes
d’avril 1834. Côté algérien, Abd el-Kader
ibn Muhieddine, né près de Mascara, dans
une famille aristocratique qui dit des-
cendre de Mahomet. Fils du cheikh de la
confrérie soufi e de Qadiriyya, il a étudié la
théologie, la jurisprudence et la gram-
maire arabe, il est parti en pèlerinage à
La Mecque à 20 ans, a voyagé en Irak, en
Syrie, en Egypte.
La conquête a commencé sans eux. Le
5 juillet 1830, les troupes de Charles X
prennent la régence d’Alger, alors ratta-
chée à l’Empire ottoman, après seulement
trois semaines de combat. Le pavillon du
roi fl otte désormais sur le palais du dey.
Mais tout le reste du territoire est aux
mains des tribus algériennes. La résistance
s’organise. La « première » guerre d’Algé-
rie commence. « Un bataillon a été massa-
cré presque en entier par une horde de
Bédouins », rapporte la presse de l’époque.
L’armée française débarque à Oran en jan-
vier 1831. Poussé par son père qui veut
mener une guerre sainte – djihad – contre
les envahisseurs chrétiens, Abd el-Kader
a tout juste 22 ans quand il rejoint les pre-
miers attaquants. Intronisé ensuite émir à
la grande mosquée de Mascara, il réussit à
unir les tribus de la province d’Oran et
devient l’ennemi public n° 1 de la France.
L’ é m i r
Abd el-Kader ibn
Muhieddine
en 1856.