LIBÉRATION DE LA PROVENCE
mercredi 14 et jeudi 15 août 2019 / La Marseillaise V
Soixante-seize ans après
la destruction de la rive
Nord du Vieux-Port de
Marseille et l’évacuation
de 20 000 Marseillais,
plusieurs octogénaires
ou leurs descendants ont
déposé une plainte.
Une enquête a été
ouverte par le parquet
de Paris pour « crimes
contre l’humanité ».
U
n crime contre
l’Humanité! La destruc-
tion quasi-totale de la
rive Nord du Vieux-Port sur
14 hectares, l’évacuation de
20 000 Marseillais, l’envoi de
12 000 d’entre eux dans un camp
militaire à Fréjus et la dépor-
tation dans les camps de la mort
de 1 642 personnes le 22 janvier
1943 n’est pas seulement un
crime de guerre.
Après la plainte de plusieurs
victimes, aujourd’hui octogé-
naires, ou de leurs descen-
dants, déposée par leur avo-
cat marseillais, Me Pascal
Luongo, le parquet de Paris a
ouvert le 29 mai dernier une
enquête pour « crimes contre
l’humanité », des faits impres-
criptible et donc condamna-
ble en justice même 76 ans
après. Les plaignants de-
vraient être rapidement en-
tendus par les enquêteurs spé-
cialisés de l’Office central de
lutte contre les crimes contre
l’humanité, les génocides et
les crimes de guerre.
C’est désormais à la justice
de déter miner s’il reste des
responsables de ce crime en-
core en vie.
Car l’ordre pour cette
« Opération Sultan » est venu
directement de l’état-major
d’Hitler, confirmé par une di-
rective d’Heinrich Himmler :
détruire les vieux quartiers
de Marseille entre le quai du
port et le Panier, considérés
comme le « chancre de
l’Europe », alors que des « at-
tentats » de la Résistance début
janvier ont coûté la vie à des of-
ficiers et des soldats allemands.
Présents depuis fin 1942 et l’in-
vasion de la zone non occu-
pée, les nazis vont trouver des
collaborateurs français pour
les aider dans cette basse be-
sogne. Ce sont en effet le gé-
néral SS Von Oberg et René
Bousquet, le secrétaire géné-
ral de la police de Vichy en-
voyé par Pierre Laval, qui vont
diriger la manœuvre : les ra-
fles commencent le 22 janvier
et le 26 tout le quartier est cer-
né par 12 000 policiers fran-
çais et 5 000 SS.
Avant sa destruction, ce
quartier Saint-Jean accueillait
le « quartier réservé » où se
concentraient prostituées,
voyous derrière Carbone et
Spirito, mais surtout une po-
pulation venue de Corse ou
ayant immig ré d’Italie, no-
tamment de la région de
Naples, ainsi que des juifs.
« Criminels de race
étrangère »
« Cette population pauvre et
cosmopolite de pêcheurs, de tra-
vailleurs et de petits commer-
çants, qualifiés de “criminels
de race étrangère” a été expul-
sée pour laisser place à un pro-
jet de réaménagement urbain,
le plan Beaudoin, prêt dès 1941 »,
dénonce l’historien Michel
Ficetola, qui a accompagné la
plainte des survivants. « Les
autorités françaises se sont ser-
vies des Allemands en prenant
le prétexte d’un “attentat” de
la résistance. Les voyous du
quartier qui collaboraient
avaient bien évidemment été
prévenus, de même que les ré-
sistants. »
La destruction partielle du
Pont Transbordeur par les
Allemands peu avant la libé-
ration de Marseille a parache-
vé l’œuvre nazi qui a définiti-
vement rayé de la carte l’an-
cien visage du Lacydon.
Rentrés des camps de Fréjus,
les anciens habitants de Saint-
Jean ont dû se débrouiller par
leurs propres moyens dans
cette période de pénurie et de
manque de lo gements.
Certains d’entre eux, seule-
ment les propriétaires, seront
faiblement indemnisés. Le
quartier, lui, prendra son vi-
sage d’aujourd’hui en 1954 avec
la fin des travaux de recons-
truction supervisés par l’ar-
chitecte Fernand Pouillon.
M.B.
Le 22 janvier 1943 débute l’évacuation de 20 000 Marseillais et le 26 tout le quartier est cerné par
12 000 policiers français et 5 000 SS. PHOTO DR
CAMP DES MILLES
campdesmilles.org
Seul grand camp français d’internement et
de déportation (1939-1942) encore intact, le
Camp des Milles est l’un des rares lieux té-
moins préservés en Europe qui raconte l’his-
toi re tragique des internements, des dépor-
tations et desré sistances durant la Seconde
Guerre mondiale.
Le Site-mémorial, situé sur les lieux mêmes de
l’ancien camp, est aujourd’h ui un important
Musée d’Histoire et d’éducation à la citoyen-
neté, unique au monde dans sesdis positifs
pédagogiques qui présentent les mécanismes
humains qui peuvent mener au pire et ceux
qui permettentd’ y ré sister.
Ses actions et missions sont destinées à ap-
porter aux publics les plus divers des clés de
compréhension du présent tirées de l’Histoire,
et à re nforcer la vigilance et laré silience de cha-
cun face aux engrenages mortifères des extré-
mismes, des racismes et del’antisémitisme.
Site-mémorial du Camp des Milles
40, Chemin de la Badesse
13290, Aix-en-Provence (Les Milles)
04 42 39 17 11
Ouvert tous les jours de 10h à 19h
(Fermeture de la billetterie à 18h)
Fondation du Camp des Milles – Mémoire et Éducation. Reconnue d’intérêt public.
Chaire UNESCO : « Éducation à la citoyenneté, sciences de l’homme et converg ence des mémoires »
(couvrant20 pays de quatre continents).
A consulter :le P ETIT MANUEL DE SURVIE DÉMOCRATIQUE sur :www. ca mpdesmilles.org
Le Vieux-Port victime
d’un crime contre l’Humanité
L’ordre de l’Opération Sultan est venu
directement de l’état-major d’Hitler :
détruire les vieux quartiers
de Marseille, considérés comme
le « chancre de l’Europe », alors que
des « attentats » de la résistance début
janvier ont coûté la vie à des officiers
et des soldats allemands.