LIBÉRATION DE LA PROVENCE LIBÉRATION DE LA PROVENCE
VI La Marseillaise / mercredi 14 et jeudi 15 août 2019
L
a Résistance provençale a payé le
prix du sang pour la Libération
de la région d’abord, du pays en-
suite! Passée fin 1942 du joug de Vichy
à celui des nazis après l’invasion de la
« zone libre », la Provence voit progres-
sivement ses réseaux puis ses maquis se
fournir en hommes et un peu en armes
grâce à des parachutages. Mais en face,
la répression est féroce : tortures, dé-
portations, exécutions sont le destin
qui attend ces hommes et ces femmes
lorsque leur réseau est démantelé par
un travail de fourmi de la Gestapo, diri-
gée à Marseille par Dunker Delage, et
de ses collaborateurs français.
« J’ai abouti au total de 1 732 victimes.
Il s’agit d’un chiffre plancher. En effet,
il n’intègre pas la cinquantaine de noms
pour lesquels j’estime que les informa-
tions recueillies sont insuffisantes pour
en tenir compte, alors qu’il y a certaine-
ment parmi eux des morts qui correspon-
dent au cadre défini. Autrement dit, le
chiffre 1 732 ne comporte aucune exagé-
ration, au contraire : il est minimal et il
est susceptible d’être augmenté », ana-
lyse l’historien Jean-Marie Guillon,
professeur émérite de l’Université d’Aix-
Marseille, qui compare avec le bilan du
débarquement de Provence : « Les chif-
fres les plus fiables sont de
1 247 Américains tués ou disparus au
28 août 1944 et environ 3 000 à la mi-sep-
tembre, plus 156 Britanniques. Pour l’ar-
mée française, l’Armée B du général
de Lattre, le chiffre avancé est de 1 146 morts
au 15 septembre 1944 sur 5 492 soldats
mis hors de combat. »
Le prix le plus cher sera payé à la fin
de la guerre, quand obéissant à un ordre
de la France Libre, les Résistants se sou-
lèvent après le débarquement de
Normandie. Mais le débarquement de
Provence qui devait être concomitant
n’arrivera que dix semaines plus tard,
laissant aux Allemands et à leurs auxi-
liaires le temps d’attaquer et de massa-
crer les maquis.
De nombreux morts
après le 6 juin 1944
« La répartition de ces tués dans le
temps est significative. On ne compte au-
cun mort de novembre 1942 à juin 1943
et très peu -moins de cinq (y compris morts
en prison)- avant novembre 1942, sous
Vichy seul. Les chiffres ne deviennent si-
gnificatifs qu’à partir de la fin de 1943. On
arrive à 163 tués avant le 6 juin 1944
(moins de 10 % du total) sur l’ensemble
de la région. Mais le nombre de morts
explose après le 6 juin pour arriver à 750
(43,5 % du total) entre cette date et le
14 août, à la veille du débarquement »,
poursuit Jean-Marie Guillon. « C’est
dire le tournant radical que la répres-
sion a pris à ce moment-là mais aussi
l’ampleur de la mobilisation résistante.
Ce sont les jours qui suivent le débarque-
ment de Normandie, le 6 juin, qui sont
les plus meurtriers car la mobilisation de
la Résistance régionale s’est traduite par
des occupations de localités (Valréas par
exemple), la tentative de créer une zone
libérée en Haute Ubaye et la constitution
de “maquis mobilisateurs” (Chaîne des
Côtes entre Lambesc et Charleval, Siou-
Blanc au nord de Toulon, le plateau de
Valensole, etc.) ou la mise en place de
nombreuses “guérillas” un peu partout.
Ce mouvement souvent sous-estimé ré-
pondait aux ordres reçus d’Alger (qui
avait propagé la certitude qu’un débar-
quement en Méditerranée suivrait im-
médiatement celui de Normandie, avec
des parachutages d’armes et d’hommes).
Il fut d’autant mieux suivi que
l’Organisation de résistance de l’armée
(ORA) les a diffusés et a poussé à la mon-
tée au maquis, avec des FTP stimulés
par la ligne insurrectionnelle -l’insur-
rection nationale sur le modèle corse- de
la direction du parti communiste zone
sud qui remplaçait l’état-major de zone
FTP tombé peu avant. Or le débarque-
ment n’a pas eu lieu, les parachutages
ont été sans commune mesure avec ce qui
était attendu et les Allemands ont con-
tre-attaqué à partir du 9 juin, d’où des
pertes dans la Résistance qui s’élèvent
aux environs de 370 hommes en une di-
zaine de jours. »
Des organisations se créent
pour la Libération de la France
Les Résistants sont également pour-
chassés par les hommes de la 8e compa-
gnie Brandebourg, qui compte dans ses
rangs de nombreux Français et qui vont
commettre de véritables massacres et
une série d’assassinats ciblés.
Lorsque les alliés débarquent enfin,
les combats vont encore alourdir le bi-
lan. « La dernière période à prendre en
compte est celle des combats de la libé-
ration, particulièrement meurtrière
-817 morts- d’abord parce que la région
est le cadre du débarquement du 15 août
et que les résistants accompagnent par-
tout (ou les précèdent) les troupes débar-
quées, mais aussi parce que les villes de
la région ont participé à l’ “insurrection
nationale”, Marseille d’abord, mais aus-
si Toulon et Nice, et ceci en présence des
troupes occupantes », poursuit Jean-
Marie Guillon. « Ces trois villes représen-
tent près de la moitié des tués de la pé-
riode. Rappelons qu’à Toulon et Marseille,
les occupants avaient ordre de résister
jusqu’au bout. »
Dans la région, les Résistants n’ont
pas attendu l’invasion allemande pour
se manifester.
« La première forme de résistance dès
1940 a été de s’opposer à la politique de
Vichy et le soutien aux persécutés, mais
des organisations qui ont pour but la
Libération de la France vont aussi se
créer. Henri Frenay créé à Marseille le
groupe Combat avec sa compagne Bertie
Albrecht. Les Aubrac participent à la
création de Libération à Lyon, il y a aus-
si le groupe Franc-tireur. Au plan poli-
tique, le PCF anime le Front National
pour la Libération de la France et les mi-
litants de la SFIO sont dispersés dans
un peu tous les mouvements. En 1943, la
CGT renaît clandestinement. Leur premier
travail va être la contre-propagande par
des tracts et journaux et, pour des ré-
seaux, le renseignement au service des
alliés », rappelle l’historien Robert
Mencherini qui a longuement étudié
la période pour sa tétralogie Midi rouge,
ombres et lumières, publiée chez Syllepse.
« Vichy va réagir en ciblant prioritaire-
ment les étrangers et en fichant les com-
munistes et en faisant juger les militants
par des sections spéciales qui distribuent
de fortes peines de prison ou de travaux
forcés. Dès l’arrivée des Allemands en
1942, la résistance organise ses premiè-
res actions armées, notamment avec les
FTP-MOI (Francs-tireurs partisans-
main d’œuvre immigrée) dont de nom-
breux militants ont déjà l’expérience de
la guerre d’Espagne, et qui attaquent
l’hôtel Splendid au pied des escaliers de
la gare Saint-Charles de Marseille dès
janvier 1943. Les sabotages vont aussi se
multiplier, de même que les attaques con-
tre les “collaborationnistes”. Les
Allemands réagissent en fusillant à tour
de bras, en particulier à partir de juin
- »
Aujourd’hui, monuments aux morts,
stèles et plaques de rue rappellent 75 ans
après le sacrifice de ces combattants de
l’ombre.
M.B.
Résistance et répression, un combat à mort
Le débarquement de
Provence qui devait
être concomitant avec
celui de Normandie
n’arrivera que dix
semaines plus tard,
laissant aux Allemands
et à leurs auxiliaires le
temps d’attaquer et de
massacrer les maquis.