É
coutez, écoutez la nouvelle la Corse
est libérée Répétez vite autour de vous,
ELLE, La Corse s’est libérée! »
En octobre 1943, André Remacle, ré-
sistant de la première heure, poète et
journaliste qui écrira dans les premiers
numéros de La Marseillaise clandestine,
puis libre, célèbre l’incroyable nouvelle :
l’Île de Beauté s’est soulevé et avec l’aide
de l’Armée Française de la Libération
vient de se délivrer du joug de l’occupant
après de durs combats contre les
Allemands.
Le 8 septembre 1943, la nouvelle de la
capitulation sans condition de l’occu-
pant italien, présent depuis le 11 novem-
bre 1942, face à l’avancée des Anglo-
Américains est confirmée. Dès le lende-
main, le Front National proche des com-
munistes, dont l’un des organisateurs
Jean Nicoli vient d’être décapité le 30 août
par les fascistes à Bastia et qui peut comp-
ter sur 12 000 maquisards, lance l’ordre
d’insurrection. Face à eux, une brigade
SS et la 90
e
Panzergrenadier Division ve-
nue de Sardaigne. Dès la nuit du 8 au 9
septembre, des marins italiens bascu-
lent et attaquent des Allemands à Bastia.
Les résistants prisonniers sont libérés
mais les Allemands ripostent face aux
Italiens et prennent Bastia le 9 septem-
bre. Le 17, les patriotes et des Italiens re-
tour nés bloquent l’avancée de la
Wehrmacht à Lévie, protégeant ainsi le
port d’Ajaccio. C’est par là que les Forces
Françaises Libres venus d’Alger,
6 500 hommes essentiellement des
Marocains, vont débarquer pour prêter
main-forte aux insurgés. Les premiers
renforts, 109 hommes du 1
er
Bataillon pa-
rachutiste de Choc, sont débarqués dès
le 13 septembre du sous-marin Casabianca.
C’est le général Giraud qui prépare cette
opération « Vésuve », laissant de Gaulle
dans l’ignorance. Ce dernier ne lui par-
donnera jamais ce soutien militaire à
une insurrection à direction commu-
niste, même s’il admet qu’il fallait secou-
rir les patriotes. Il visitera d’ailleurs la
Corse du 5 au 8 octobre pour rendre hom-
mage au premier département libéré.
La bataille pour Bastia va durer du
27 se ptembre au 4 octobre quand le
73
e
Goum du 6
e
Tabor entre le premier
dans la ville à l’aube. La Corse est libé-
rée et les Allemands, qui embarquent
vers l’Italie, ont laissé sur le terrain plus
de 2 000 tués. 170 résistants et 75 militai-
res français sont tués dans les combats.
13 000 Corses vont alors s’engager dans les
Forces Françaises Libres et l’île devien-
dra la base avancée des FFL et des alliés
jusqu’au débarquement de Provence.
L’exemple de la jonction entre une insur-
rection de la résistance et les forces ré-
gulières y sera alors appliqué. Jean Nicoli
laissera une lettre d’adieu à ses enfants
griffonnée sur un paquet de cigarettes.
LIBÉRATION DE LA PROVENCE LIBÉRATION DE LA PROVENCE
mercredi 14 et jeudi 15 août 2019 / La Marseillaise VII
Résistance et répression, un combat à mort
Après le
débarquement
de Normandie,
la mobilisation
résistante a pris de
l’ampleur en Provence.
Mais ce sera aussi
les jours les plus
meurtriers tant
la répression sévit.
Lorsque les alliés
débarquent enfin
en Méditerranée, les
combats vont encore
alourdir le bilan.
PHOTOS DR
I
l est reconnu comme nécropole natio-
nale depuis 1996, devenant Le vallon des
fusillés et une cérémonie du souvenir y a
lieu tous les 18 juillet. Durant l’été 1944, le
petit vallon de Signes, dans le Var, a été le
lieu, en deux fois, du massacre de 37
Résistants provençaux qui s’étaient sou-
levés et d’un officier américain, passés
par les armes et enterrés dans des fosses
communes. Par mi eux, Robert Rossi,
Levallois, le chef militaire des FFI de la
région provençale.
Ces Résistants exécutés proviennent
principalement de Marseille, des Basses
Alpes dont le Comité départemental de la
Libération (CDL) a été pris à Oraison, et du
Var. Leurs réseaux infiltrés, ils sont tom-
bés dans plusieurs guets-apens, avant d’être
transférés au siège de la Gestapo mar-
seillaise, au 425 rue Paradis, où ils seront
torturés.
Fusillés à trois jours
du débarquement
Tous sont amenés ensuite à Signes, où
après un simulacre de jugement militaire,
ils seront fusillés. 29 Résistants sont exé-
cutés le 18 juillet et encore neuf autres le
12 août, à trois jours du débarquement.
Quatre des victimes n’ont jamais été iden-
tifiées de façon formelle (1). Certains griè-
vement blessés, ces Résistants vont pourtant
chanter « La Marseillaise » en creusant la
fosse commune où ils seront ensevelis.
Maurice Seignon de Possel-Deydier, dit
« Erick », le traître qui avait vendu ces ré-
seaux à la Gestapo contre 2 millions de
francs, sera lui aussi abattu par Dunker
Delage le 7 août près des Baumettes à
Marseille.
Ernst Dunker, alias Delage, terrifiant
chef de la Gestapo, fuira avec la débâcle
allemande. Arrêté en mai 1945 à Paris, il se-
ra condamné à mort à Marseille en 1947
et fusillé le 6 juin 1950. Durant l’occupa-
tion, il avait bénéficié des services des
voyous du clan Carbone et Spirito sous les
ordres du chef PPF Simon Sabiani, mais
aussi pour sa chasse aux Résistants, dont
Signes ne sera que l’une des exactions (on
dira plutôt des crimes).
« Ce sont les unités régulières de l’armée
allemande, en particulier les régiments de
sécurité ou les “groupes de chasse” (jagd-
kommando), plus la Feldgendarmerie et
les hommes de la 8
e
compagnie Brandebourg,
qui portent la responsabilité principale de
cette répression. Dans cet ensemble, les hom-
mes de la 8e compagnie Brandebourg tien-
nent une place particulièrement impor-
tante », analyse l’historien Jean-Marie
Guillon. « Sous bénéfice d’inventaire plus
précis, j’évalue leur responsabilité à 72 meur-
tres qu’ils commettent seuls dans notre seule
région, plus les 242 morts faits dans des opé-
rations auxquelles ils participent avec mi-
litaires et policiers allemands. Ceci sans te-
nir compte de leurs forfaits de l’autre côté
du Rhône, de l’Ardèche à la Lozère, ni des cri-
mes commis dans la Drôme... C’est de loin
la principale bande de tueurs qui aient sé-
vi dans la région. »
M.B.
(1) Pour plus d’informations, voir le site du
Dictionnaire Maitron des fusillés
http://maitron-fusilles-40-44.univ-paris1.fr/
Le vallon de Signes, nécropole nationale
Octobre 1943 : la Corse étrenne la liberté
Le vallon des fusillés de Signes est aujourd’hui un lieu de mémoire et d’hommages
aux résistants qui ont sacrifié leurs vies pour la libération du pays. PHOTO DR
« À mes enfants,
tout à l’heure je partirai. Si vous
saviez comme je suis calme,
presque heureux de mourir
pour la Corse et pour le parti.
Ne pleurez pas, souriez-moi.
Soyez fier de votre papa. Il sait
que vous pouvez l’être, la tête
de Maure et la fleur rouge,
c’est le seul deuil que je vous
demande. Au seuil de la tombe,
je vous dis que la seule idée
qui, sur notre pauvre terre,
me semble belle, c’est l’idée
communiste. Je meurs pour
notre Corse et pour mon parti. »
JEAN NICOLI