Marseillaise - BouchesRhoneVar - 2019-08-14-15

(Ron) #1

LIBÉRATION DE LA PROVENCE


mercredi 14 et jeudi 15 août 2019 / La Marseillaise XV


Avant la victoire finale,


les combats vont durer


près de neuf mois avec


la 1
ère
Armée française

qui prendra le nom


« Rhin et Danube ».


Une armée qui n’est plus


la même que celle qui a


posé le pied sur les plages


de Provence.


P


our célébrer ses victoires
ultérieures, la 1ère Armée
française qui débarque en
Provence aux côtés des Alliés
prendra le nom de « Rhin et
Danube ». Mais pendant ces près
de neuf mois de combats jus-
qu’à la capitulation de
l’Allemagne le 8 mai 1945, ce se-
ra d’ailleurs le général de Lattre
qui y représentera la France,
cette armée va profondément
changer.
Car avant la victoire finale,
la campagne militaire va encore
être longue même si les événe-
ments s’accélèrent. Le 3 septem-
bre, la 1ère Armée a déjà remon-
té la vallée du Rhône et entre
dans Lyon en compagnie des
Américains. Dès le 12 elle fait
sa jonction près de Dijon avec
la 2
e
DB de Leclerc qui a débar-
qué en Normandie, même si les
deux armées vont ensuite se sé-
parer. Sa progression est stop-
pée le 4 octobre par la bataille
des Vosges, puis à partir de no-
vembre par la longue et meur-
trière bataille d’Alsace qui va
durer jusqu’en mars 1945 et pen-
dant laquelle les soldats fran-
çais participent à la Libération
de Mulhouse et de Colmar face
à des Allemands qui ont cessé
de reculer.

Plus de 50 000 tués
et blessés
L’armée franchit enfin le Rhin
et la ligne Siegfried fin mars, en-
tre le 4 avril dans Karlsruhe et le
24 à Ulm sur le Danube. Le 8 mai
1945, le bilan est de 50 432 tués
et blessés dans cette armée qui
n’est plus la même que celle qui
a posé le pied sur les plages de
Provence.
Dès le 23 septembre 1944, un
décret fond la 1ère Armée avec les
Forces Françaises de l’Intérieur,
les FFI, c’est-à-dire les résistants
des maquis qui s’engagent dans
l’armée au fur et à mesure de la
libération du territoire natio-
nal. Ceux de Marseille, réunis
dans le bataillon « La
Marseillaise », rejoindront la
1
ère
division française libre dans
les Vosges dès l’automne. Si le
général de Lattre salue « l’âme
commune de l’armée Rhin et
Danube née de l’amalgame in-
time et fraternel des 250 000 sol-
dats venus de l’Empire et des
137 000 FFI », l’armée va connaî-
tre une « opération de blanchi-
ment » au fil de sa remontée vers
le Nord. Les troupes FFI rem-
placent peu à peu les tirailleurs,
ce blanchiment étant une déci-

sion politique au croisement de
trois facteurs : la volonté de de
Gaulle d’engager une « armée
française » pour peser dans
l’après-guerre, l’expérience de
14-18 qui avait montré que les
troupes coloniales supportaient
mal le froid, mais aussi le main-
tien de l’ordre colonial. L’état-
major note d’ailleurs que « le con-
tact étroit et prolongé avec la po-
pulation française a inculqué aux
Noirs l’esprit de revendication ».
Ainsi, dès l’automne 1944, plus de
quinze mille tirailleurs sénéga-
lais sont retirés du front de la
1
ère
Armée française dans la ré-
gion de Belfort et transférés dans
le Sud de la France.

Français et indigènes
« Si les Français, soldats ou
résistants, sont galvanisés par
la Libération du pays, cette fiè-
vre patriotique est-elle partagée
par les indigènes? Ils sont les té-
moins de la ferveur de leurs frères
d’armes français mais la France
n’est pas leur patrie. Ils vivent en
fait une tout autre expérience.
Pour la comprendre, il faut par-
tir de l’empire colonial et du sta-
tut qui est le leur : être un indi-
gène, ce n’est pas seulement la
conscience de l’inégalité -un in-
digène n’a pas les mêmes droits
qu’un citoyen- c’est le sentiment
de l’infériorité, inscrite dans la
loi et vécue jour après jour », ana-
lyse l’historien de l’association
Le groupe Marat, Grégoire
Georges-Picot. « Or, tout à coup,
au fur et à mesure qu’ils libèrent
la France, ces êtres, soi-disant in-
férieurs, sont accueillis par les
Français comme des libérateurs,
comme des sauveurs! L’admira-
tion, la fraternisation boulever-
sent la donne. Ils sont traités d’égal
à égal. Les relations qui se nouent
entre indigènes et français -dans
ces liens qui se créent, il y a des
histoires d’amour qui ne sont pas
des amourettes- inquiètent telle-
ment les officiers français qu’ils
demandent que l’on retire les trou-
pes coloniales du front. Pour eux,
ces amours entre Françaises et
indigènes sont dangereuses ; elles
ruinent le prestige du blanc, du
Français. Ces ‘‘conquêtes’’ fémi-
nines subvertissent l’ordre colo-
nial. »

Blanchiment de l’armée
Française
Lors de son engagement dans
la France Libre après avoir quit-
té la Martinique, Frantz Fanon
professait : « Chaque fois que la
dignité et la liberté de l’homme
sont en question, nous sommes
concernés, Blancs, Noirs ou
Jaunes, et chaque fois qu’elles se-
ront menacées en quelque lieu
que ce soit, je m’engagerai sans re-
tour ». Mais il est ensuite le té-
moin du blanchiment de l’ar-
mée française, ce qui ne peut
que le conforter dans son cons-
tat, nourri depuis son engage-
ment en août 1943, d’une armée
française raciste. De Gaulle or-
donne d’ailleurs en février 1945
le retrait des 1 600 soldats an-

tillais et réunionnais du front.
Cette question coloniale va
d’ailleurs très vite se poser pour
les militaires, quelles que soient
leurs origines. Peu après leurs
arrivés en Allemagne, les sol-
dats de Rhin et Danube vont en
effet être envoyés en Indochine
où Vichy a voulu pactiser avec le
Japon qui finit par envahir la
péninsule. Le Viet Minh d’Ho
Chi Minh a reçu des armes amé-
ricaines pour lutter contre les
Japonais et prend le pouvoir
dans la péninsule en août 1945.
Le 2 septembre, « Oncle Ho » pro-
nonce l’indépendance du
Vietnam. Dès novembre 1946, il
va se heurter au corps expédi-
tionnaire français pour le dé-
part d’une nouvelle guerre, celle
d’Indochine, qui durera jusqu’en


  1. Certains soldats de la
    Libération participeront en-
    suite à la guerre d’Algérie, mais
    dans les deux camps opposés
    cette fois.
    Ce sera le début d’une autre
    histoire, celle des luttes contre
    les guerres coloniales à laquelle
    participera La Marseillaise de-
    venue légale et où le port de
    Marseille aura un enjeu central.
    M.B.


À l’assaut de l’Allemagne!


Un groupe de soldats de la première Armée française, devenue
Rhin et Danube, dans un village allemand. PHOTO DR
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