N
on, Vichy n’était pas une dicta-
ture d’opérette! » Ces mots de
l’historien Robert Mencherini,
professeur honoraire des universités,
président du musée virtuel de la
Résistance en Paca, rappellent que si
la Provence a vécu en zone « libre » jus-
qu’en novembre 1942 et l’invasion alle-
mande consécutive à l’arrivée des al-
liés en Afrique du Nord, l’État français
de Pétain n’a pas attendu les nazis pour
instaurer un régime de fer contre les
juifs, les « indésirables », les réfugiés
étrangers déversés par l’exode de 1940
à Marseille et en Provence et tous les
opposants politiques.
Dans le même temps, les actes de
Résistance n’ont pas non plus attendu
l’arrivée des Allemands pour démar-
rer. Alors que la population a faim et
vit dans la pénurie sous le régime des
tickets de ravitaillement, dès 1940 des ré-
seaux viennent en aide aux réfugiés,
très nombreux dans la région, au point
que Sanary-sur-Mer fut surnommée
« la capitale culturelle de l’Allemagne ».
Des organisations religieuses anglo-
saxonnes, mais aussi françaises, jui-
ves, catholiques ou protestantes, comme
la Cimade, Varian Fry avec son Comité
Américain de Secours et le consul du
Mexique Gilberto Bosques fournissent
des faux papiers qui permettent via
Marseille, le seul grand port en zone li-
bre, de fuir le cul-de-sac qu’est devenue
la Provence.
« Vichy va profiter du désarroi provoqué
par l’effondrement de l’armée française
pour imposer sa contre-révolution, un “or-
dre nouveau” réactionnaire. Les organisa-
tions syndicales et les loges maçonniques
sont dissoutes, les conseils municipaux
élus sont remplacés par des instances nom-
mées », détaille l’historien Robert
Mencherini, auteur de la série de livres
Midi rouge, ombres et lumières. « La po-
pulation est encadrée par des associations
créées de toutes pièces comme la Légion
Française des Combattants, les chantiers
de jeunesses, les corporations... La “ révo-
lution nationale” va immédiatement se
marquer par des mesures antisémites, an-
ti-tziganes, misogynes en demandant aux
femmes de rester à la maison, xénopho-
bes : tous les fonctionnaires dont le père
n’est pas français sont limogés. Dans le
même temps, la censure touche la presse, la
radio et les actualités cinématographi-
ques. »
De nombreux camps d’internement
parsèment la région, le plus connu étant
celui des Milles et la justice est confiée à
des sections spéciales.
« À l’été 1942, la police française mène
dans la région de grandes rafles de juifs
étrangers, qui seront livrés aux Allemands
en zone occupée puis déportés. C’est l’État
français qui propose de déporter aussi les
enfants », poursuit Robert Mencherini.
« Beaucoup de Français vont aussi proté-
ger les Juifs, ce qui sera, pour certains, un
des premiers actes d’opposition à Vichy. »
La vie quotidienne est marquée par le
rationnement et le marché noir pour ceux
qui en ont les moyens. La moindre par-
celle de terre devient un jardin ouvrier.
« Très vite la situation alimentaire va de-
venir catastrophique, surtout pour les ur-
bains. Les enfants vont souffrir de rachitisme
et de maladies de la faim. La question du
ravitaillement va rester prégnante jus-
qu’après la Libération », reprend Robert
Mencherini.
L’invasion de la zone Sud le 11 novem-
bre 1942 par les Allemands, mais aussi
les Italiens, va encore empirer la situa-
tion. Outre le sabordage de la flotte à
Toulon, il faut désormais nourrir et lo-
ger l’armée d’occupation dont la politi-
que de représailles est impitoyable.
Le 22 janvier 1943, en présence de René
Bousquet, secrétaire général de la police
de Vichy, le quartier de l’Opéra à Marseille
est cerné par des gardes mobiles français
et des soldats allemands : deux cent cin-
quante familles, soit huit cents person-
nes, sont entraînées vers les camps de la
mort de Sobibor et Auschwitz. Il n’y a au-
ra pratiquement aucun survivant. Les
Résistants sont également impitoyable-
ment traqués par la Gestapo et les sup-
plétifs français de la milice, torturés, dé-
portés ou exécutés.
L’aggravation des pénuries provoque
des réactions dans la population. En mai
1944, pour protester contre la réduction
de la ration du pain, ont lieu, à Marseille,
des manifestations de ménagères ac-
compagnées d’une grève, dite « grève du
pain ». Mais le front se rapproche et toute
la région est lourdement bombardée par
l’aviation anglaise et surtout américaine
qui pratique le tapis de bombes pour dé-
truire les voies de communication. Le
27 mai, un bombardement US fait mille
sept cent cinquante-deux morts, deux
mille sept cent soixante et un blessés et
vingt mille sans abris à Marseille. Le
tunnel du boulevard National s’effon-
dre, faisant soixante et dix morts.
Mais la Libération approche et des
insurrections populaires, dont les pré-
mices sont dans les manifestations pa-
triotiques du 14 juillet 1942, vont bientôt
avoir lieu dans quasiment toutes les lo-
calités de Provence.
Marc Bussone
Un grand nombre de documents sur
la Provence pendant la Seconde Guerre
mondiale, Vichy, la Résistance et la
Libération sont consultables librement sur
le site du Musée de la Résistance en ligne
en Paca.
http://museedelaresistanceenligne.org
LIBÉRATION DE LA PROVENCE
IV La Marseillaise / mercredi 14 et jeudi 15 août 2019
1940-1944 : la Provence sous
la francisque et la croix gammée
L’État français de Pétain n’a pas attendu les nazis pour instaurer un régime de fer contre les juifs, les « indésirables »...
et tous les opposants politiques. PHOTO DR
Une guerre mondiale dans la guerre mondiale
À la veille du débarquement de Provence le 14 août
1944, les combats font rage sur le front de
Normandie, notamment dans la poche de Falaise
où les panzers SS ont lancé une contre-attaque.
Saint-Malo est libéré ce jour-là alors que les
Allemands fusillent 42 otages près de Montluçon.
À l’Est, sous les ordres du maréchal Joukov, l’armée
rouge progresse dans les pays Baltes, se rapproche
de Varsovie et s’enfonce profondément dans les
Carpates, bousculant partout la Wehrmacht sur son
passage. En Italie les troupes alliées ont franchi
l’Arno et viennent de s’emparer de Florence. Dans
le Pacifique, les Américains ont pris l’île de Guam
aux termes d’une violente et meurtrière bataille
qui voit les Japonais jeter toutes leurs forces dans
la guerre : seuls cent soldats nippons vont se rendre
sur un effectif de 10 000 hommes.
La Provence est alors une zone stratégique pour
les belligérants du front occidental. Le général
américain Eisenhower veut soulager les troupes en
Normandie avec l’ouverture d’un second front qui
permettra, via la vallée du Rhône, de remonter
rapidement vers l’Allemagne. L’importance du port
de Marseille est aussi cruciale pour la logistique
énorme des armées en campagne.
La Provence va donc être le théâtre d’une véritable
guerre mondiale dans la guerre mondiale! Outre
Américains et Anglais, ce sont des troupes venues
de tout l’empire colonial français qui vont
débarquer dans le Var : tirailleurs sénégalais ou
algériens, goumiers marocains, zouaves tunisiens,
engagés volontaires venus des Antilles ou de la
Réunion, Corses et pieds noirs... Ils vont trouver
face à eux sous uniforme allemand des Arméniens,
des Azéris, des Ukrainiens et des Géorgiens, dont
certains vont changer de camps. Dans la résistance
locale qui va se soulever, on compte outre les
Français, des antifascistes italiens, des républicains
espagnols, des juifs et des persécutés de toute
l’Europe orientale... Tous ont donné ou risqué leur
vie pour la libération de la Provence puis de la
France.
« Beaucoup de Français
vont protéger les juifs,
ce qui sera, pour certains,
un des premiers actes
d’opposition à Vichy. »
Robert Mencherini,
HISTORIEN