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ÉVASION L’OF F IC I E L
la Seconde Guerre mon-
diale, Ibiza offre aux artistes
et intellectuels un havre de
paix où pratiquer leur activité
librement, dans des conditions
environnementales idéales, et
qui suscitent l’inspiration.
Le Mace, un acteur majeur
Comment expliquer
cependant ce développement
récent de l’art contemporain?
Pilote culturel majeur de l’île,
le Mace (museu d’art contem-
porani d’Eivissa) semble jouer
pour beaucoup dans son essor.
Inauguré en 1970 et à ce jour
l’un des plus anciens musées
publics d’art contemporain en
Espagne, son ambition initiale
était double : transmettre
l’héritage culturel fourni par
l’île et ses artistes résidents,
tout en mettant en avant la
création contemporaine. Une
vocation et une identité réajus-
tées en 2012 après des tra-
vaux d’expansion du musée :
comme l’explique Elena Ruiz,
sa directrice depuis trente
ans, le Mace a alors adopté
une “nouvelle impulsion, mieux
définie et plus ambitieuse”.
Afin de signifier ce tour-
nant lors de sa réouverture,
le musée accueillait alors
deux figures majeures de
l’art contemporain : le plasti-
cien catalan Miquel Barcelò,
originaire de Majorque et
connu pour ses peintures et
fresques monumentales, ainsi
que le sculpteur britannique
Barry Flanagan, qui passa
la dernière partie de sa vie à
Ibiza. Depuis, le Mace a su
mettre à l’honneur de nom-
breux artistes à la renommée
internationale tels que Cy
Twombly, Douglas Gordon ou
Edmund de Waal. Un succès
pour l’institution qui, en plus
de son rôle très ancré dans
l’histoire de l’île, bénéficie
d’un site particulièrement
fréquenté au cœur du quartier
historique de la ville d’Ibiza.
Tisser un réseau artistique
Ouverte en 2013 en plein
centre de l’île, la galerie Parra
& Romero s’est installée quant
à elle bien plus loin des plages
de la capitale. Représentant
des artistes contemporains qui
s’inscrivent dans la lignée de
l’art minimaliste et concep-
tuel, elle propose un regard
sur l’histoire de l’art mettant
en parallèle des pratiques
séparées de plusieurs décen-
nies. L’ancien entrepôt qu’elle
occupe a été choisi afin de
développer des projets à
grande échelle, faisant de la
galerie “un point de rencontre
pour les amateurs d’art contem-
porain”, d’après son directeur
Guillermo Romero. Selon lui,
l’île dispose d’un “contexte très
agréable pour sociabiliser, avec
un rythme moins soutenu et des
rencontres plus personnelles entre
artistes, curateurs, collection-
neurs, chercheurs, etc.” Un cadre
bien plus calme que celui
des grandes métropoles, où
foisonnent biennales et foires
d’art jusqu’à parfois submerger
leurs acteurs.
Depuis l’inauguration de
sa galerie, Guillermo Romero
constate déjà une évolution
avec l’apparition de nouvelles
galeries et de lieux dédiés à
l’art, permettant de tisser un
véritable réseau artistique.
L’an passé, le Mace et Parra
& Romero se sont d’ailleurs
associés dans la production
d’un projet de l’artiste uru-
guayen Luis Camnitzer, l’un
des représentants majeurs de
l’art conceptuel en Amérique
latine. Une évolution réjouis-
sante pour Ibiza, présageant
l’expansion d’un véritable
soft power culturel.
artistes, intellectuels et
théoriciens de l’art. Dans les
années 1930, l’historien et
philosophe allemand Walter
Benjamin y séjourne pendant
quelques années — il men-
tionnera l’île dans plusieurs de
ses textes — tandis que l’écri-
vain et artiste dadaïste Raoul
Hausmann s’y exile, contraint
de quitter l’Allemagne nazie.
À cette même période, l’archi-
tecte allemand Erwin Broner
pose, lui aussi, ses valises à
Ibiza, où il s’installera défi-
nitivement quelques années
plus tard après avoir vécu aux
États-Unis : particulièrement
actif dans la vie culturelle de
l’île, il y laissera son empreinte
avec sa propre maison-atelier
construite en bord de mer,
la Casa Broner, aujourd’hui
devenue musée ouvert au
public. Avant de devenir un
eldorado du mouvement hip-
pie à partir des années 1960,
l’île doit cette vague d’attrac-
tivité à des raisons à la fois
politiques et géographiques :
loin des conflits qui agitent le
Photo Roberto Ruiz continent européen pendant