LE TEMPS LUNDI 19 AOÛT 2019
4 Actualité
MARION MARCHETTI
t @letemps
Une petite pression sur la
tablette. Un léger tremblement de
la main. La vitesse du tracé d'une
lettre. Sous les doigts de l'élève,
chaque mouvement du stylet est
divisé en 53 paramètres par les
algorithmes de Dynamico. En
moins de quinze secondes, cet
outil d'intelligence artificielle (IA)
repère si l'enfant présente des dif-
ficultés liées à l'écriture, définit les
aspects qui lui posent problème et
propose des jeux pour y remédier.
«Dans la situation actuelle, entre
neuf et douze mois sont requis
pour que le corps enseignant
identifie les élèves nécessitant
une assistance professionnelle
pour améliorer leur écriture»,
explique Thibault Asselborn, doc-
torant de l'EPFL et responsable
de l'élaboration de l'application
Dynamico. C'est un long délai:
entre-temps, les difficultés d'ap-
prentissage s'accumulent, car les
problèmes d'écriture monopo-
lisent la concentration de l'élève
et l'empêchent d'améliorer ses
autres compétences.
Cela peut diminuer la confiance
en soi des enfants. Ceux qui pré-
sentent des difficultés adoptent de
plus une stratégie d'évitement
dans toute activité impliquant
l'écriture. «Il ne s'agit pas de cas
exceptionnels, précise Thibault
Asselborn; 25% de la population a
des difficultés d'écriture et 8,6%
des enfants francophones
connaissent des troubles sévères,
on parle alors de dysgraphie.»
Un avatar maladroit
Les thérapeutes utilisent actuel-
lement un test nommé BHK
(Brave Handwriting Kinder),
requérant quinze minutes d'ana-
lyse à l'œil nu de phrases reco-
piées par les enfants. Si le tracé
statique des lettres permet de
repérer les problèmes de formes
selon des critères prédéfinis, il ne
donne pas accès aux aspects dyna-
miques de l'écriture. Cette impré-
cision entrave l'efficacité du test
et mène à des résultats différents
selon les responsables de la cor-
rection, qui arrivent à des conclu-
sions similaires dans seulement
60% des cas.
Dynamico revendique une préci-
sion de 97% dans l'analyse de l'écri-
ture. Ses exercices de remédiation
sont ludiques, afin d'éviter que
l'élève ne se crispe face à un jeu
rappelant les expériences dévalo-
risantes de la formation des lettres.
Par exemple, pour travailler le
tremblement, le stylet guide un
avatar dans un circuit dont les
bords ne doivent pas être touchés.
«Si l'IA repère que la lettre a pose
problème à l'élève, elle sera dissi-
mulée dans l'un des virages du che-
min», montre Thibault Asselborn.
Un autre exercice permet d'aug-
menter l'estime de soi des enfants
face au défi de l'écriture: l'appli-
cation repère les difficultés de
l'élève, puis un robot virtuel lui
demande de l'aider à écrire des
mots, contenant les lettres pro-
blématiques. L'avatar se
débrouille moins bien que l'élève,
qui pourra lui enseigner l'écri-
ture, tout en s'entraînant sur ses
propres faiblesses. C'est le méca-
nisme de «l'effet protégé», qui
rassure et motive l'enfant en lui
donnant la responsabilité d'une
autre personne.
Au fil de son utilisation, l'appli-
cation collecte des données per-
mettant aux responsables des
élèves de suivre leurs progrès,
mais aussi à l'IA d'adapter les
remédiations selon les
besoins. Actuellement en phase de
test, l'outil est employé par diffé-
rents thérapeutes suisses et fran-
çais; il sera lancé à grande échelle
en 2020. «L'idée n'est pas de rem-
placer les professionnels, mais de
leur offrir un moyen d'optimiser
le temps qu'ils passent avec les
enfants», explique Pierre Dillen-
bourg, responsable du laboratoire
CHILI travaillant sur Dynamico.
Plus de temps en seul à seul
Voilà qui pourrait s'avérer utile
dans les milieux scolaires, avance
Christian Fantoli, professeur en
technologies éducatives à la Haute
Ecole pédagogique (HEP) vau-
De plus en plus de moyens sont déployés pour repérer les éventuels problèmes d’écriture des élèves. (DESIGNER OF CHANGE)
Une tablette pour repérer la dysgraphie
HANDICAP Une application développée à l’EPFL détecte en un temps record les problèmes d’écriture des élèves du primaire.
Lancé officiellement en 2020, cet outil marquera peut-être l’intégration de l’intelligence artificielle dans les écoles suisses
L’école
de demain
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Omniprésence du numérique,
augmentation de la
sédentarité, volonté de mieux
intégrer les élèves à besoins
spécifiques, toutes ces
évolutions métamorphosent
l’enseignement. A l’heure de la
rentrée, «Le Temps» se penche
cette semaine sur plusieurs
innovations pédagogiques.
Ayant fait leurs preuves dans
certains établissements, elles
pourraient être étendues à
d’autres et dessiner les
contours de l’école de demain.
LT
Rentrée
doise: «Les recherches de John
Hattie montrent que les interac-
tions individuelles entre un élève
et son enseignant constituent l'un
des plus grands facteurs d'effica-
cité sur l'apprentissage. Cette
application offre plus de temps
aux explications en seul à seul, ce
qui est particulièrement utile
pour les enfants qui présentent
des difficultés.»
Pour qu'un outil fonctionne en
milieu scolaire, encore faut-il qu'il
génère l'enthousiasme des élèves.
Cela semble être le cas des nou-
velles technologies, selon Jean-
Louis Dubler, directeur de l'Ecole
du Haut-Lac. Cet établissement
bilingue de la Riviera vaudoise a
intégré des tablettes dans l'ensei-
gnement depuis plusieurs années
dans le cadre d'un projet mené
par la HEP Vaud: «Les jeunes sont
motivés quand ils emploient des
outils informatiques, nous avons
remarqué une différence. Cela
permet aussi d'adapter au mieux
les vitesses d'apprentissage de
chaque élève, tout en libérant l'en-
seignant pour un meilleur suivi
individuel de chaque enfant.»
Dans l'état actuel des choses,
Dynamico serait utilisable dès le
début de l'apprentissage de l'écri-
ture. Thibault Asselborn
pense que l'outil pourrait aller
plus loin: «Nous avons remarqué
que l'application fonctionnait éga-
lement sur des lettres de l'alpha-
bet cyrillique, car la plupart des
paramètres mesurés ne
dépendent pas de la forme repro-
duite.» La prochaine étape consis-
terait donc à appliquer cette IA
sur des dessins, ce qui permettrait
aux enfants d'améliorer leur dex-
térité dès le début de leur scola-
rité, limitant encore davantage les
dégâts liés à la dysgraphie. n
PROPOS RECUEILLIS PAR SYLVIA REVELLO
t @letemps
Directement visée par les manifestations
dénonçant la prise en charge insuffisante
des mineurs non accompagnés (MNA), la
conseillère d'Etat Anne Emery-Torracinta,
responsable du Département de l'instruc-
tion publique genevoise, répond aux cri-
tiques. Alors qu'un nouveau lieu d'héber-
gement est prévu pour cet
automne, elle rappelle qu'une
délégation du gouvernement
planche sur une solution depuis
le début de l'année, bien avant que le col-
lectif Lutte des MNA ne se mobilise sur la
scène publique.
Depuis bientôt deux ans, de jeunes migrants
mineurs errent dans les rues de Genève. Les
autorités ont-elles tardé à réagir? Il est très
facile de donner des leçons dans ce dossier
extrêmement émotionnel. Sur le terrain,
la réalité est plus complexe. Lorsque le
Service de protection des mineurs (SPMi)
m'a signalé une augmentation des arrivées
de jeunes mineurs, au printemps 2018, mes
services se sont trouvés démunis face à des
situations sanitaires, des troubles psy-
chiques et des toxicodépendances parfois
extrêmes. J'ai immédiatement alerté le
Conseil d'Etat, mais les premières solutions
envisagées n'ont pas donné satisfaction.
L'entier du gouvernement est à présent
conscient du problème et a accepté la créa-
tion d'une délégation aux migrations dont
l'objectif premier est d'élaborer une
réponse adéquate.
La situation actuelle est-elle pour autant
satisfaisante? Non, mais elle illustre la dif-
ficulté d'agir face à une population
insaisissable. Certains jeunes ont
dû être logés à l'hôtel parce qu'au-
cune structure d'hébergement
existante n'était en mesure de les accueillir.
Ils ont souvent beaucoup de peine à res-
pecter des règles à cause de leur parcours
de vie antérieur souvent traumatisant. Les
tentatives de les faire rentrer dans les
cadres habituels ont jusqu'ici échoué. Il faut
donc imaginer une solution sur mesure.
Nous avons finalement trouvé un lieu d'hé-
bergement adéquat, en collaboration avec
le milieu associatif concerné.
A quoi ressemblera cet espace? Il s'agit
d'un lieu sécurisant qui offrira un
accueil d'urgence pour permettre aux
jeunes de souffler, de recevoir des soins
de base, ainsi qu'un encadrement
socio-éducatif léger. La priorité est de
créer un lien de confiance. D'après notre
expérience, la majorité de ces jeunes ne
sont à Genève que pour quelques
semaines ou quelques mois. Les chiffres
du SPMi illustrent ce flux continu:
durant le mois de juillet, 38 jeunes ont
été suivis. Parmi eux, 13 sont arrivés et
8 sont partis. Dans un deuxième temps,
il s'agira d'élaborer avec ceux qui le
veulent un projet d'avenir réaliste et
individualisé. Le cadre sera bien entendu
adapté en fonction des besoins. Il faut
avancer avec humilité sur cette problé-
matique qui dépasse les frontières gene-
voises. Toutes les collectivités publiques
européennes y sont confrontées et per-
sonne n'a encore trouvé la solution
miracle.
Pas de scolarisation en vue pour cette ren-
trée? Il faut être réaliste, l'immense majo-
rité de ces jeunes ne peut pas, en l'état,
intégrer des classes d'accueil. Leurs
lacunes scolaires, linguistiques et de
socialisation sont trop grandes. Les
confronter à un cadre scolaire rigide ne
ferait que les mettre à nouveau en échec.
La priorité actuelle est de les stabiliser
dans un lieu, pour leur permettre ensuite
d'envisager un projet d'avenir.
Le collectif Lutte des MNA, qui n’a cessé de
revendiquer un accès à l’école, risque donc
de déchanter... C'est très bien que ces étu-
diants se mobilisent, car c'est un sujet
important, mais je regrette la tournure
très personnalisée que le débat a prise.
Lorsqu'ils s'attaquent au SPMi ou au DIP,
ils se trompent de cibles, ce ne sont pas
mes services qui sont responsables des
politiques migratoires en Suisse.
A leur majorité, ces jeunes seront précisé-
ment illégaux aux yeux de la loi. C’est la chute
libre annoncée... A partir de 18 ans, l'Etat
n'a effectivement plus d'obligation légale
de les prendre en charge de la même
manière. On ne peut pas faire davantage
pour les MNA devenus majeurs que pour
les autres jeunes adultes du canton. Vu
leur vulnérabilité, le grand risque pour
ces jeunes, s'ils entrent dans la clandesti-
nité, c'est de tomber dans des réseaux
d'exploitation, de drogues ou de prostitu-
tion. C'est très inquiétant. D'où la néces-
sité de réfléchir avec chacun à un projet
d'avenir concret.
Avez-vous peur d’un appel d’air si l’accueil
proposé à Genève devient trop attractif? Je
ne crois pas. Mettre en place une structure
d'urgence pour accueillir des jeunes en
déshérence est une réponse humaine à
un problème humain. Genève n'est d'ail-
leurs souvent pas la destination finale de
ces jeunes.
Savez-vous comment réagissent les autres
cantons face aux MNA? Nous n'avons pas
eu vent d'une problématique de même
ampleur dans les autres cantons. Au-delà
de la prise en charge cantonale, il serait
toutefois souhaitable que la Confédéra-
tion se saisisse de cette question migra-
toire qui dépasse largement nos fron-
tières et relève aussi bien de la coopération
internationale que de l'aide au dévelop-
pement. n
«Berne doit s’occuper des mineurs non accompagnés»
GENÈVE A l’approche de la rentrée, la
conseillère d’Etat genevoise Anne
Emery-Torracinta revient sur les critiques
concernant la prise en charge des
migrants mineurs. Elle rappelle les efforts
fournis depuis le début de l’année
ANNE EMERY-TORRACINTA
CONSEILLÈRE D‘ÉTAT
GENEVOISE, CHARGÉE DE
L‘INSTRUCTION PUBLIQUE
INTERVIEW
Sous les doigts
de l’élève, chaque
mouvement
du stylet est divisé
en 53 paramètres
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