Afrique Magazine N°395-396 – Août-Septembre 2019

(Marcin) #1
90 AFRIQUE MAGAZINE I 395-396 - AOÛT-SEPTEMBRE 2019

RENCONTRE


dus au côté méditerranéen de nombreux individus, dans la
veine de Marcel Pagnol. C’est pour cela que j’ai passé énor-
mément de temps en amont avec les acteurs, afin de mieux
les connaître, de percevoir leur personnalité, d’instaurer peu
à peu un climat de confiance, car je tenais à insuffler une
belle harmonie. J’aime le mélange, j’ai donc fait appel à des
comédiens confirmés et non professionnels. Pour moi, il était
important de réunir des personnes motivées et talentueuses,
qui donneraient tout face à la caméra. C’est pourquoi j’avais
besoin de m’entourer de gens qui sont généreux au quotidien,
quelqu’un qui ne l’est pas dans la vie ne donnera rien à l’écran.
Vous êtes actuellement à l’affiche de Persona
non grata, un polar en salles depuis le 17 juillet
dernier, réalisé par un acteur également cinéaste,
Roschdy Zem.
Ce long-métrage est le fruit d’une belle rencontre humaine
avec l’un des meilleurs acteurs et réalisateurs de sa généra-
tion. J’ai adoré travailler sous la direction de Roschdy Zem, je
me suis totalement laissée porter, car je me sentais en pleine
confiance avec lui. Il est d’une rare douceur et d’une vraie gen-
tillesse, et il aime réellement les acteurs. C’est important de se
sentir aimée pour une actrice. Il a tenu à définir son casting
lui-même et il y est parvenu, ce qui n’est pas évident, car bien
souvent, la société de production l’impose au réalisateur.
Revenons à Tu mérites un amour. Vous y donnez
la réplique à Anthony Bajon, jeune espoir français
du 7e art depuis La Prière, de Cédric Kahn. Comment
s’est passée votre première rencontre?
Anthony Bajon est l’un de mes coups de cœur artistiques
depuis son impressionnante prestation dans La Prière. Il est
doté d’une extrême sensibilité. Je l’ai rencontré au Festival du
film de Cabourg, lors de la présentation de Mektoub My Love :
Canto Uno, en présence d’Abdellatif Kéchiche. Anthony et moi

AM : Comment est née l’idée de Tu mérites un amour?
Hafsia Herzi : C’est une envie qui couvait en moi depuis de nom-
breuses années. J’ai toujours voulu réaliser un long- métrage,
j’aime jouer, écrire. Adolescente, dès que j’ai eu un ordinateur,
j’écrivais des nouvelles et je ne m’en lassais pas. Je me sou-
viens qu’à cette époque, j’avais une passion pour les scènes
dialoguées. J’aime observer ceux qui m’entourent, les passants
dans la rue, la société, et j’avoue être très sensible aux dif-
férentes personnalités, notamment féminines. Tu mérites un
amour est le fruit d’un fort désir de cinéma. Je me suis levée un
matin avec une pulsion, celle de tourner dans l’urgence, à l’ar-
rache. Je me suis dit que c’était maintenant ou jamais. J’avais
l’habitude de voir beaucoup d’argent dépensé pour rien, lors de
certains tournages auxquels je participais en tant qu’actrice.
J’avais dit à Abdellatif Kéchiche : « Un jour, je vais faire un film
sans argent. » J’avais déjà un premier projet de scénario abouti,
Bonne mère, dédié à ma mère, mais j’étais en attente de finan-
cements. Et j’avais suivi la voie classique pour la réalisation de
mon premier court-métrage, Le Robda. Le projet lié à Tu mérites
un amour sommeillait dans mes tiroirs depuis longtemps, et la
volonté effrénée de le mener a bien coûte que coûte l’a emporté.
Pourquoi avez-vous choisi le quartier de Belleville
comme décor? Est-ce pour sa diversité?
Oui. J’avais envie de montrer un Paris cosmopolite. Belle-
ville me rappelle le Maghreb dans toute sa richesse : la Tunisie,
le Maroc et l’Algérie. La plupart des Bellevillois m’y ont tou-
jours bien accueillie, et c’est, de plus, un quartier d’artistes,
celui d’Édith Piaf ou de Django Reinhardt. La rumeur de la rue
révèle une dimension particulièrement vivante, comme à Mar-
seille dont je suis originaire. Nous ne sommes pas habitués à
voir cela dans le cinéma français aujourd’hui, cette énergie très
chaleureuse. On y perçoit un élan et une dynamique à chaque
instant : ça bouge, ça grouille de vie, ça parle arabe, chinois ou
encore japonais!
La thématique de Tu mérites un amour aborde
en creux plusieurs aspects de la société française,
comme la rupture amoureuse, les rapports
hommes-femmes, les couples mixtes...
Je souhaitais raconter une histoire simple par le biais d’un
film rêveur, en partant de quelque chose qui nous touche et
nous concerne tous, l’amour. J’ai constaté que beaucoup de
personnes éprouvent de la honte à se confier au sujet de leurs
peines de cœur, je voulais briser cette pudeur, et le cinéma
existe aussi pour procurer du bonheur à tous les publics. J’ai
le sentiment qu’il n’est pas aisé de s’exprimer et de se livrer à
la suite d’un profond chagrin et à l’incessant questionnement
provoqué par les ruptures amoureuses que l’on est amenés à
vivre dans la vie. J’aime de plus les échanges très volubiles,

« J’avais besoin de


m’entourer de gens


qui sont généreux


au quotidien.


Quelqu’un qui


ne l’est pas dans


la vie ne donnera


rien à l’écran. »

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