Le Monde - 16.08.2019

(Romina) #1
0123
VENDREDI 16 AOÛT 2019 | 17

J


ean Bosco et François de
Sales, saints patrons respec­
tifs des éditeurs et des écri­
vains, doivent être forts sol­
licités. En cette veille de ren­
trée, l’atmosphère, dans le milieu
littéraire, est fébrile – pour dire le
moins. Fin juin, le Syndicat natio­
nal de l’édition (SNE) livrait les
chiffres peu réjouissants de
l’année 2018 avec une baisse du
marché global de 4,38 % par rap­
port à 2017, et un étiolement du
nombre d’exemplaires écoulés
(– 2,5 %), malgré une augmenta­
tion de la production (+ 2 %). La
catégorie « littérature » a connu
une baisse de 5,7 % de ses ventes
en valeur. La rentrée (avec en li­
gne de mire les prix, remis en no­
vembre, et les fêtes de fin d’an­
née) est une période d’autant
plus stratégique, représentant un
quart des ventes de romans en
grand format, selon une étude de
l’institut GFK.
Sans être désespérée, la situa­
tion paraît suffisamment grave
pour avoir amené les éditeurs à
admettre que le problème de la
surproduction n’est peut­être pas
seulement celui de leurs concur­
rents, et à réduire le nombre de
titres proposés. Ainsi, ce sont
524 romans qui seront publiés en­
tre mi­août et fin octobre, selon le
décompte de l’hebdomadaire
professionnel Livres Hebdo – con­
tre 567 l’année précédente. Soit
188 ouvrages en littérature étran­
gère, un nombre stable, et 336
pour le domaine francophone
(dont 82 premiers romans) : le
plus bas depuis vingt ans.
Avec ces programmes plus rai­
sonnables, l’un des casse­tête
consiste à mettre en majesté les
« têtes d’affiche » de son cata­
logue, tout en laissant l’espace
nécessaire pour émerger aux
découvertes et jeunes pousses.
L’équation est particulièrement
complexe dans une industrie où
les noms connus rassurent, mais
aussi où plus rien ne semble aller
de soi, où un précédent succès
n’est plus un gage de réitération,
et où les prix littéraires ne vien­
nent plus forcément récompen­
ser les auteurs s’étant patiem­
ment constitué une place sur
la scène littéraire : en 2018, les
Goncourt, Renaudot et Goncourt
des lycéens ont coiffé chacun le
deuxième livre de leurs auteurs,
Nicolas Mathieu (Leurs enfants
après eux, Actes Sud), Valérie
Manteau (Le Sillon, Le Tripode) et
David Diop (Frère d’âme, Seuil).

Têtes d’affiche
Preuve tout de même que les lec­
teurs peuvent encore compter
sur un certain nombre de repè­
res, Amélie Nothomb participera
(avec Soif) pour la vingt­huitième
fois consécutive au rituel de la
rentrée chez Albin Michel. S’il a

choisi pour protagoniste d’Une
partie de badminton (Flamma­
rion) un écrivain en perte de vi­
tesse, Olivier Adam fait égale­
ment partie des auteurs attendus
par un large public, tout comme
Laurent Binet (Civilizations, Gras­
set), Sorj Chalandon (Une joie fé­
roce, Grasset), Marie Darrieus­
secq (La Mer à l’envers, P.O.L),
Jean­Paul Dubois (Tous les hom­
mes n’habitent pas le monde de la
même façon, L’Olivier), Lionel
Duroy (Nous étions nés pour être
heureux, Julliard), Sophie Fonta­
nel (Nobelle, Robert Laffont), Luc
Lang (La Tentation, Stock), Léo­
nora Miano (Rouge impératrice,
Grasset), Yann Moix (Orléans,
Grasset), Olivia Rosenthal (Eloge
des bâtards, Verticales), Jean­Phi­
lippe Toussaint (La Clé USB, Mi­
nuit), Karine Tuil (Les Choses hu­
maines, Gallimard)... Début octo­
bre, Patrick Modiano publiera
Encre sympathique (Gallimard).

D’ailleurs
Du côté de la littérature étran­
gère, si le sixième tome de la saga
Millenium, La Fille qui devait
mourir, de David Lagercrantz (Ac­
tes Sud) s’annonce comme un
raz­de­marée, on peut citer,
parmi les écrivains très suivis,
l’Anglais Jonathan Coe (Le Cœur
de l’Angleterre, Gallimard), l’Ita­
lien Paolo Giordano (Dévorer le
ciel, Seuil), l’Irlandaise Edna
O’Brien (Girl, Sabine Wespieser),
le Cubain Luis Sepulveda (His­
toire d’une baleine blanche, Mé­
tailié), l’Islandaise Audur Ava
Olafsdottir (Miss Islande, Zulma),
l’Espagnol Javier Marias (Berta
Isla, Gallimard) et les Américai­
nes Joyce Carol Oates (Un livre de
martyrs américains, Philippe Rey)
et Siri Hustvedt (Souvenirs de
l’avenir, Actes Sud).
Certaines maisons ont fait le
choix de mettre en avant des
auteurs devenus « identitaires »
de leur catalogue. Ainsi, chez Ac­
tes Sud, de Claro (Substance) et
Valentine Goby (Murène) ; ainsi
de Yannick Grannec chez Anne
Carrière (Les Simples), de Jean­
Philippe Blondel (La Grande Esca­
pade) chez Buchet­Chastel, d’Hu­
bert Haddad pour Zulma (Un
monstre et un chaos), de Valérie
Tong Cuong chez JC Lattès (Les
Guerres intérieures)...
Alors que le paysage éditorial a
connu de nombreux bouleverse­
ments, entre rachats de maisons
et passages d’éditeurs de l’une à
l’autre, entraînant certains
auteurs avec eux, il faut aussi
veiller à valoriser les nouveaux
arrivés, tels Olivier Rolin (Exté­
rieur monde) et Monica Sabolo
(Eden) chez Gallimard, Cécile Cou­
lon (Une bête au paradis) à L’Ico­
noclaste, Alban Lefranc (L’Homme
qui brûle) chez Rivages, Hubert
Mingarelli (La Terre invisible) chez
Buchet­Chastel ou encore Charly
Delwart (Databiographie), qui a
quitté le Seuil pour Flammarion.
Ce dernier, qui expose dans son
texte les chiffres et données de sa
vie, s’inscrit, en cherchant à le re­
nouveler, dans la veine du récit
de soi. Cette année encore, nom­
bre d’ouvrages ressortissent à
cette catégorie : leurs jeunesses
respectives inspirent Yann Moix,
Gilles Rozier (Mikado d’enfance,
L’Antilope) ou Michaël Ferrier
(Scrabble, Mercure de France),
quand Violaine Huisman relit
son histoire amoureuse dans
Rose désert (Gallimard), et que Pa­
trick Deville remonte le cours de

sa vie le long d’Amazonia (Seuil).
Les familles restent un terrain
d’exploration privilégié, notam­
ment à travers des récits de deuil,
comme Le Peuple de mon père, de
Yaël Pachet (Fayard), Avant que
j’oublie, d’Anne Pauly (Verdier),
Petit Frère, d’Alexandre Seurat
(Rouergue)... La vie des parents et
aïeux des auteurs nourrit Si je
t’oublie, de Morgan Sportès
(Fayard), Boy Diola, de Yancouba
Diemé (Flammarion), Mon ancê­
tre Poisson, de Christine Montal­
betti (P.O.L), La Part du fils, de
Jean­Luc Coatalem (Stock), Le
Ghetto intérieur, de Santiago
Amigorena (P.O.L). Notons que
paraîtront deux récits sur des
hommes politiques écrits par
leurs enfants : La Mustang rouge
de mon père, d’Isabelle Miller (JC
Lattès) sur Jacques Dominati, et
L’Ennemi, de Georges Buisson
(Grasset), qui surnomme ainsi
son géniteur, Patrick Buisson.

Exofictions
Les textes inspirés des vies
d’hommes ou de femmes plus ou
moins illustres, les « exofic­
tions », restent eux aussi une
tendance forte de cette rentrée.
Nombre d’écrivains figurent
parmi ces muses, comme Virgi­
nia – Woolf –, que raconte Emma­
nuelle Favier (Albin Michel),
Christopher Marlowe, héros de
D’innombrables soleils, d’Emma­
nuelle Pirotte (Cherche­Midi),
Chateaubriand, celui de La Petite
Sonneuse de cloches, de Jérôme
Attal (Robert Laffont), Jean
Giono, vu par Emmanuelle Lam­
bert dans Giono, furioso (Stock),
Jack London, sur les traces duquel
part Bernard Chambaz dans Un
autre Eden (Seuil)...
Du côté des artistes, citons
Camille Claudel, au cœur d’Un été
à l’Islete, de Géraldine Jeffroy (Ar­
léa), et Frida Kahlo dans Rien n’est
noir, de Claire Berest (Stock).
Parmi les personnages histori­
ques, Winston Churchill traverse
Je reste roi de mes chagrins, de
Philippe Forest (Gallimard), Joa­
chim Murat, Roi par effraction, de
François Garde (itou), et Magnus
Hirschfeld – médecin allemand
défenseur des homosexuels face
aux nazis –, Jour de courage, de
Brigitte Giraud (Flammarion)...
Travaillée par la question du
« réel », la littérature se collette
aussi au présent, et aux grandes
questions auxquelles il doit faire
face. Celle du terrorisme, d’abord,
qu’évoquent sur le mode du té­
moignage Thierry Vimal, qui a
perdu sa fille le 14 juillet 2016 à
Nice, dans 19 tonnes (Cherche­
Midi), et Riss, le directeur de
Charlie Hebdo, dans Une minute
quarante­neuf secondes (Actes
Sud) ; le sujet du djihadisme
nourrit aussi les fictions d’Atten­
dre un fantôme, de Stéphanie Kal­

fon (Joëlle Losfeld), La Dernière
Fois que j’ai vu Adèle, d’Astrid
Eliard (Mercure de France), Sœur,
d’Abel Quentin (L’Observatoire),
Une fille sans histoire, de Cons­
tance Rivière (Stock)...
Autre thématique très présente,
celle de la migration, hier et au­
jourd’hui. Elle est centrale dans

Ceux qui partent, de Jeanne Bena­
meur (Actes Sud), La Mer à
l’envers, de Marie Darrieussecq
(P.O.L), Nafar, de Mathilde Cha­
puis (Liana Levi), Sur le bout de la­
langue, d’Ahmed Kalouaz (Le Mot
et le reste), Mur Mediterranée, de
Louis­Philippe Dalembert (Sa­
bine Wespieser) ou un roman sur

le génocide des Tutsis Tous tes
enfants dispersés, de Beata Umu­
byeyi Mairesse (Autrement).
Il y a, sur ces 524 livres
annoncés, de grands romans, de
belles surprises, des découver­
tes... « Le Monde des livres » en
rendra compte dès le 22 août.
raphaëlle leyris

OLIVIER ADAM, SORJ 


CHALANDON, MARIE 


DARRIEUSSECQ, SOPHIE 


FONTANEL, LÉONORA 


MIANO, YANN MOIX, 


PATRICK MODIANO FONT 


PARTIE DES AUTEURS 


FRANÇAIS ATTENDUS 


D’UN LARGE PUBLIC


Un avant-goût de


rentrée littéraire


Plus de 500 romans paraissent d’ici aux prix littéraires de


novembre : panorama, tendances et auteur(e)s attendu(e)s.


Une forte actualité éditoriale dont « Le Monde des livres »


rendra compte, sur 12 pages, dès la semaine prochaine


Parmi les têtes d’affiche : (de gauche à droite et de haut en bas) Marie Darrieussecq, Joyce Carol Oates,
Léonora Miano et Sorj Chalandon. THOMAS SAMSON/AFP. KENZO TRIBOUILLARD/AFP. THOMAS SAMSON/AFP. JOËL SAGET/AFP

PARMI LES ROMANCIERS 


ÉTRANGERS DE CETTE 


RENTRÉE SE SIGNALENT 


JONATHAN COE, PAOLO 


GIORDANO, EDNA O’BRIEN, 


AUDUR AVA OLAFSDOTTIR, 


JAVIER MARIAS, 


JOYCE CAROL OATES 


OU SIRI HUSTVEDT


L’ÉTÉ DES LIVRES


Crédit photo 1ereligne de gauche à droite :©Francesca Mantovani -©Astrid di Crollalanza -©Ed Alcock -©Charles Freger
Crédit photo 2eligne de gauche à droite :©Patrice Normand -©Valérie Lebrun -©JF Paga -©Richard Dumas
Crédit photo 3eligne de gauche à droite :©Sylvain Cherkaoui -©Eric Garault

RETROUVEZLELAURÉAT
DANS « LE MONDE DES LIVRES » DU JEUDI 5 SEPTEMBRE

Titre

GALLIMARD

AURÉLIENBELLANGER
DELELACONDOTINUCEURENT
roman

LeContinent
deladouceur
Aurélien Bellanger

UnautreEden
Bernard Chambaz

Unebête
auparadis
Cécile Coulon

LaMeràl’envers
Marie Darrieussecq

Tousleshommes
n’habitentpas
lemondede
lamêmefaçon
Jean-Paul Dubois

Querelle
Kevin Lambert

Rouge
impératrice
Léonora Miano

LePeuple
demonpère
Yaël Pachet

Forêt-Furieuse
Sylvain Pattieu

LaCléUSB
Jean-Philippe
Toussaint

LASÉLECTION
Free download pdf