Temps - 2019-08-07

(Barry) #1
MERCREDI 7 AOÛT 2019 LE TEMPS

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moins droit à un bonjour, à une salutation
presque amicale.


J.: Il est vrai qu’en prison, on oublie com-
plètement la notion de pudeur. Je me
souviens d’un établissement péniten-
tiaire où certains détenus utilisaient des
draps afin de cacher les vitres du parloir
pour être tranquilles avec leur compagne.
Certains gardiens fermaient les yeux,
d’autres bien moins. Ce qui est aussi très
dur, c’est de ne pas pouvoir agir sur le
dehors. On se trouve totalement impuis-
sant. La vie rythmée à la seconde près
nous abrutit vite sans que l’on s’en rende
compte. Tout cela n’aide pas à faire des
projets...


C.: Pour moi, il fallait assumer dès le
début si on voulait se lancer dans une
histoire. Mes parents l’ont assez mal pris,
ils connaissaient déjà Jef de réputation
donc ç’a été assez difficile de leur faire
comprendre. Mais je n’ai jamais eu de
tabou, j’ai toujours répondu aux ques-
tions, j’en ai toujours parlé ouvertement.
J’ai toujours dit à mes amis que je com-
prendrais s’ils n’acceptaient pas. La plu-


part d’entre eux étaient dubitatifs: ils
connaissaient ma relation passée avec
Jef mais, quelque part, je me suis toujours
dit qu’il s’agissait de ma vie, de mes
choix. J’ai deux enfants issus de relations
précédentes. Ils ont ressenti à un moment
le besoin de rendre visite à Jef, un peu
comme pour se rassurer du choix que
j’avais fait et l’ont accepté.

J.: Mes enfants sont aussi venus me voir
pendant toute la durée de ma détention
par le biais des associations. Une fois par
mois. Nous avons pu garder un semblant
de contact, mais il était compliqué de
communiquer. Les parloirs se dérou-
laient toujours en présence d’un bénévole
du relais. Ils ont 18 et 20 ans aujourd’hui
et nous entretenons des rapports assez
distants. Quand on se retrouve en mode
taulard d’un coup, en vieux jogging, ce
n’est plus la même chose, on se montre
sous un jour à peine humain. C’est très
difficile. Céline, par exemple, m’a rencon-
tré à un moment de ma vie où j’étais
encore patron de bar. A l’époque, tout
allait bien, je me montrais sous mon meil-
leur jour.

C.: J’avais souvent tendance à dire: «La
prison c’est dur, mais la sortie, c’est
encore plus dur.» Le fait qu’on soit
ensemble deux ans après sa libération,
ça donne pas mal d’espoir. La plupart des
couples se séparent peu de temps après.
Quand Jef est sorti, ils étaient 12 à avoir
été libérés. Nous sommes le seul couple
à avoir tenu, mais ce n’est pas toujours
simple. Pour celui qui a été enfermé, il
n’y a pas eu de progression dans son his-
toire. Lui, au final, est rentré tel jour et
c’est comme s’il était sorti le lendemain.
Celui qui est libre se retrouve à tout
gérer seul mais continue à avancer en fin
de compte. Ce choc est très violent entre
un détenu et sa compagne. Et selon moi,
celui qui sort va forcément péter les
plombs. Il y a tellement de frustration,
de rage, de colère par rapport à la société,
par rapport à tout ce qu’il a enduré, par
rapport à cette incompréhension, c’est
comme s’il était dans une cage et que tout
à coup on le laissait tout gérer seul: la
paperasse, retrouver un travail. Il devient
une bombe qui doit exploser.
D’un côté, Jef m’a protégée. Pendant un
an quasiment après sa sortie, il a essayé

de me montrer une reconnaissance en
contrôlant son désarroi mais il m’a très
vite vue comme la prolongation du gardien
de prison, comme si on m’avait donné les
clés de la cellule et qu’elle avait été redé-
corée en appartement plus grand. Au final,
pendant un an, j’étais sa gardienne, à
contrôler ses moindres faits et gestes par
peur qu’il ne respecte pas toutes les condi-
tions de sa liberté, les rendez-vous avec
les juges, avec les conseillers péniten-
tiaires d’insertion... Je suis devenue la
seule personne qui le renvoyait à la prison.

J.: Quelque part, on s’en veut et on en veut
à tout le monde, y compris à la personne
qui nous a vu dans cette situation d’échec
et de souffrance. Je peux comprendre ces
hommes qui, après la prison, ont envie
de se séparer de leur compagne, comme
pour faire table rase du passé. Tout ce
ressentiment, toute cette haine il faut
qu’ils ressortent et le témoin qui nous a
vu sous nos faces les plus sombres, c’est
la compagne, donc c’est un peu sur elle
qu’on se venge, qu’on défoule sa colère,
en lui manquant de respect, en devenant
très agressif verbalement.

Puis il y a la déception aussi. Quand on
est dedans, on se dit que tout se passera
nécessairement mieux dehors et que ce
sera la fête. Et puis là on se retrouve dans
des situations où la compagne devient
soit votre gardienne, soit votre mère. Il
faut gérer les proches, les beaux-enfants
qu’on ne connaît pas forcément. On
arrive dans une famille déjà constituée
avec ses rites et ses codes, on devient un
peu l’intrus et on le comprend vite, à
partir de là, il arrive que certains pètent
les plombs. C’est la même logique pour
ceux qui retrouvent leur famille, même
quand ils retrouvent leurs propres
enfants, le sentiment d’abandon se paie.
Aujourd’hui, j’arrive à voir les plaisirs
sur le court terme. Sur le long terme, la
route est un peu barrée. Pour l’heure, je
ne peux me déplacer qu’en France et en
Suisse.

C.: J’ai toujours pensé qu’on allait m’ap-
peler un jour pour m’annoncer qu’il était
mort, qu’on l’avait retrouvé dans un cani-
veau, c’était sa vie, c’était lui, c’était
comme ça. Alors oui, la prison actuelle
n’a pas de raison d’être, tout est à changer,
c’est ignoble tout ce qu’ils vivent. Mais
quand je vois l’homme qu’il est
aujourd’hui, je me dis que c’est comme si
la vie lui avait donné une seconde chance.
Oui, il est passé par d’horribles chemins
de traverse. Quand je le vois découvrir
des gens, s’ouvrir au monde, je me dis que
tout ça, il ne l’avait pas vécu avant et je
me dis qu’il nous reste encore beaucoup
de choses à vivre. ■

Demain: Quand l’amour transcende
les genres

SOUTIEN AUX FAMILLES

Active dans toute la Suisse romande,
la Fondation REPR (Relais enfant pa-
rents romands) soutient les familles,
les proches et les enfants de détenus.
L’association remplace en 2012 l’ini-
tiative Carrefour-Prison née en 1995
à Genève. Composée d’une dizaine de
professionnels et d’une soixantaine
de bénévoles, le REPR accompagne les
enfants et les familles dans leur rela-
tion avec leur parent détenu. La Suisse
compte à ce jour 6943 personnes
incarcérées. ■

(KIM ROSELIER POUR LE TEMPS)
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