DE CAPRI À BORA BORA LES ÎLES
L’ÎLE MENTALE
La Tortue rouge,
de Michael Dudok de Wit ()
Naufragé sur une île tropicale
déserte, le héros a ronte
une tortue géante qui détruit
toute nouvelle embarcation : une
métaphore de sa terreur à
reprendre le large. Cette ennemie,
enin apprivoisée, devient pourtant
sa chance, métamorphosée
en femme. Commence alors une
vie de couple, avec, bientôt,
un enfant. Une vie cachée,
autarcique, contemplative, sans
un mot – le ilm est sonore mais
muet. Une vie où l’absence de
société abolit le temps. Michael
Dudok de Wit, sexagénaire
néerlandais inconnu, a réalisé pour
le studio japonais de Miyazaki ce
ilm d’animation inouï, où
l’existence humaine, de la jeunesse
au grand âge, passe comme
un rêve. L’île y est à fois le monde
et une pure projection mentale.
L’ÎLE DE
LA RÉDEMPTION
Stromboli, de Roberto Rossellini ()
Ingrid Bergman arrive sur Stromboli
en épouse d’un pêcheur inconnu,
comme on se résigne à un pis-aller,
au lendemain de la Seconde Guerre
mondiale, et après avoir été la
maîtresse d’un o icier allemand.
Rudesse des habitants, inconfort
du quotidien, violence de la pêche
au gros, menace d’une éruption
volcanique... L’île révèle une femme
autocentrée, calculatrice,
déterminée à fuir, et dans laquelle
il est tentant de deviner, aussi, un
portrait de la star hollywoodienne
brusquée par son amant cinéaste,
le néoréaliste Roberto Rossellini...
Mais l’île devient aussi, à force
de déchaînement cosmique,
le lieu de la rédemption et de la
conversion : une autre femme
naît sur le lanc du volcan, insulaire
et enin reliée aux autres.
L’ÎLE DU DÉNI
Fièvre sur Anatahan, de Josef von Sternberg ()
Inspiré de faits réels, le ilm
de guerre le plus fou. En juin ,
un groupe de soldats japonais
s’échoue dans « l’endroit le plus
reculé du Paciique », une île habitée
seulement par une jeune femme
et un homme. Le groupe restera là
pendant six ans, hors d’atteinte,
ignorant la in du conlit mondial,
puis considérant cette in,
annoncée par avion, comme une
ruse de l’ennemi américain. Avec
son atmosphère torride, sulfureuse,
Anatahan est l’île du déni. La
discipline militaire s’e ace au proit
de l’abus de vin de palme. Les
désirs, tous dirigés vers l’unique
femme, enlamment les rivalités.
Josef von Sternberg sonde
l’étrange propension humaine
à renoncer au monde au proit de
sa miniature, en apparence plus
désirable. Mais l’île devient vite
le siège de la même violence
meurtrière, de la même guerre,
que sur les continents au loin.
DE CAPRI À BORA BORA LES ÎLES
Télérama 3630-3631 07 / 08 / 19