Télérama Magazine N°3630 Du 10 Août 2019

(Nancy Kaufman) #1
99

lundi 12


y 20.50 Arte Film

Soupçons


| Film d’Alfred Hitchcock (Suspicion, USA, 1941) | Scénario : Samson Raphaelson, Joan Harrison
et Alma Reville, d’après Francis Iles | 110 mn. NB. VM | Avec Cary Grant (John Aysgarth),
Joan Fontaine (Lina McKinlaw), Nigel Bruce (Beaky), Cedric Hardwicke (le général McKinlaw).
| GeNRe : L’oMBRe d’UN doUte.
On se souvient, surtout, du verre de lait (empoisonné ?) que Cary Grant, impassible, ap-
porte à sa femme, terrorisée (oscar un peu immérité pour Joan Fontaine). Pour rendre
la scène plus angoissante, Hitchcock a eu l’idée — géniale — d’y dissimuler une ampoule.
Lina, fille d’un général en retraite, épouse le beau Johnnie, à la réputation déplo-
rable : joueur et coureur de dot. Très vite, elle en arrive à se demander si son mari ne
cherche pas à la tuer pour hériter de sa fortune. Hitchcock joue à merveille de la fausse
tranquillité des paysages anglais, de la lente montée de la névrose dans l’esprit de Lina.
Névrose masochiste, puisqu’elle finit par accepter son destin (Ingrid Bergman agira de
même dans Les Enchaînés).
Le réalisateur est persuadé que la cohésion du monde ne peut naître qu’au sein d’un
couple. Dans Soupçons, pour le puritain génial, pour le moraliste moralisateur qu’était
Hitchcock, la faute de Lina, c’est de céder aux apparences, de se laisser envahir par le
mal. De pécher contre l’espoir. Le film est d’une virtuosité évidente, mais vaine. Et
moins profond que les chefs-d’œuvre à venir sur la faute — Sueurs froides et Pas de prin-
temps pour Marnie. — Pierre Murat
Rediffusion : 22/8 à 13.35.

t 21.05 W9 Film

Un monstre à Paris


| Film d’animation d’eric Bergeron (France, 2011)
| 80 mn | Avec les voix de M, Vanessa Paradis,
Matthieu Chedid, Gad elmaleh, François Cluzet,
Ludivine Sagnier, Julie Ferrier.
| GeNRe : LANteRNe MAGIqUe.
Imaginez le Fantôme de l’Opéra, grim-
pant sur les toits de Paris tel un Bossu de
Notre-Dame et poussant la chansonnette
déguisé en Aristide Briand, et Amélie
Poulain se baladant dans un Jardin des
Plantes façon Tardi... Le tout durant la
grande crue de 1910. Le film commence,

y 0.3 5 Arte Documentaire

Entrée du personnel


| documentaire de Manuela Frésil (France, 2011)
| 60 mn. Rediffusion.
« Bravo la viande! » Au fronton d’un abat-
toir breton, le slogan tient de la provoca-
tion quotidienne pour les centaines d’em-
ployés qui y travaillent. Eux que le
désossage des carcasses, la manipulation
des chairs ou la mise en barquettes fi-
nissent par user jus qu’à l’os. C’est la vio-
lence des ima ges qui, d’abord, saute aux
yeux : les cadavres sanguinolents au bout
des crocs, les chairs roses tressautant sur
les chaînes, ces humains indifférenciés
sous la blancheur clinique des blouses.
Puis, c’est la parole de ces hommes et de
ces femmes de tous âges, lucide et forte,
qui frappe. Recueillis anonymement
(peur des représailles), lus en voix off par
des comédiens, leurs témoignages
rendent compte d’une totale aliénation.
Des entrailles de cette usine à viande,
qui broie les travailleurs aussi sûrement
que les bêtes, on ressort éreinté. La réali-
satrice nous fait ressentir les ravages du
travail à la chaîne. En demandant aux vo-
lontaires de mimer le geste qu’ils doivent
accomplir à leur poste, huit heures du-
rant, elle démontre la métamorphose de
l’humain en automate. Cadences dé-
mentes, cynisme d’un management qui
se fiche d’épuiser sa main-d’œuvre tant
que la crise lui fournit son comptant de
« chair fraîche »... Ce brûlot dénonce
l’une des pires aberrations de notre
temps : les progrès de la mécanisation,
loin d’aider les ouvriers, les maintiennent

© ŒIL SAUVAGE | RKO | ©JEAn-PIERRE en enfer. — Mathilde Blottière


MéchIn-Ad LIbItUM


Souvenez-vous,
c’est ce cauchemar
avec un redoutable
verre de lait éclairé
de l’intérieur...

Travailler dans le sang des bêtes est abêtissant.

d’ailleurs, dans une salle de projection
au temps du muet : on y voit les actuali-
tés sur Paris inondé. Eric « Bibo » Berge-
ron, revenu de son expérience améri-
caine au sein des studios Disney (Gang de
requins), lance une déclaration d’amour
à la capitale et au septième art, en mélan-
geant références cinématographiques,
littéraires et musicales.
Dans des paysages impressionnistes,
une puce géante terrifie les Parisiens, mais
une chanteuse de cabaret sexy découvre

que le monstre cache, sous sa carapace,
un vrai don de musicien. La serre du Jardin
des Plantes d’où s’échappe la bête res-
semble à celle où Méliès avait installé son
studio de tournage — de là à voir dans cette
créature qui terrorise puis fascinera son
public une allégorie du cinéma même...
Vanessa Paradis et Matthieu Chedid
prêtent leur voix à ces deux héros mélo-
manes. Et, même si le scénario est un peu
chancelant, c’est une belle bal(l)ade en
leur compagnie. — Anne Dessuant

Télérama 3630-3631 07 / 08 / 19
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